Les orthodoxes grecs violemment opposés
Grèce: Suppression de la mention de la religion sur les cartes d’identité grecques
Athènes, 30 mai 2000 (APIC) Des responsables d’Eglises minoritaires de Grèce appuient la proposition du gouvernement de supprimer la mention obligatoire de l’appartenance religieuse sur les cartes d’identité des citoyens. Une pratique discriminatoire, mais appliquée en raison des pressions exercées par l’Eglise orthodoxe de ce pays. L’archevêque Christodoulos, qui réclame un référendum sur la question, y voit «un crime contre la nation». Les millions de touristes qui entrent chaque année en Grèce en prendront bonne note, commentent les observateurs de la vie politique dans ce pays.
Cette proposition de réforme gouvernement est d’ailleurs une nouvelle fois énergiquement contestée par l’Eglise orthodoxe de Grèce, pays où 97 % des 10,2 millions d’habitants sont orthodoxes. Les désaccords sur cette question administrative mettent une fois de plus le doigt sur la délicate question des relations oecuméniques en Grèce.
Antoni Koulouris, secrétaire général de l’Eglise réformée de Grèce, a rappelé que «cette clause obsolète a causé de sérieux problèmes», Pour lui, elle doit être supprimée. «Notre Etat, dit-il, peut être libéral de certaines façons. Mais il y a toujours le danger qu’un représentant des autorités, constatant que vous n’êtes pas orthodoxe, réagisse à votre encontre et vous interroge sur votre nationalité», a-t-il relevé, en commentant la volonté de réforme du gouvernement de centre-gauche de Costas Simitis, dont le parti socialiste (PASOK) est revenu au pouvoir à la suite des élections du mois dernier.
Après l’élection, le ministre de la Justice, Michalis Stathopoulos, a critiqué la «protection exagérée» dont bénéficie l’Eglise orthodoxe. L’article 3 de la Constitution grecque stipule que l’orthodoxie est la «religion dominante» et interdit les traductions de la Bible sans le consentement préliminaire de l’Eglise orthodoxe.
Selon Antoni Koulouris, les responsables de la plus ancienne Eglise protestante, l’Eglise évangélique grecque, soutiennent aussi la suppression de la mention de l’appartenance religieuse dans les cartes d’identité, comme d’ailleurs les catholiques, les musulmans et les plus petites minorités non orthodoxes.
Emplois: mesures discriminatoires
D’après lui, il existerait même des directives secrètes recommandant que les postes de haut niveau dans les institutions gouvernementales soient réservés aux orthodoxes. Une information encore largement vérifiée au cours de ces dernières années.
«Même si certains membres du clergé orthodoxe pensent que nous devrions nous employer à promouvoir l’engagement des chrétiens plutôt que nous soucier des cartes d’identité, ces voix dissidentes n’ont pas été publiquement exprimées. Beaucoup de personnes pensent que le gouvernement devrait aller de l’avant avec cette réforme, car les problèmes seront encore plus grands si les cartes d’identité ne sont pas changées».
«L’Eglise orthodoxe exercera toutes les pressions possibles sur le gouvernement et certains parlementaires du PASOK pourraient ne pas y résister. Les cartes d’identité sont la seule preuve qu’une grande majorité de la population est orthodoxe. En réalité, pas plus de 3% de cette population très laïcisée va à l’église le dimanche».
Pour le président de la Conférence épiscopale de Grèce et archevêque catholique d’Athènes, Nikolaos Foscolos, la mention de l’appartenance religieuse sur les papiers d’identité enfreint la liberté religieuse et est en contradiction avec les normes légales en vigueur dans la plupart des pays de l’Union européenne, dont la Grèce est membre.
«L’appartenance religieuse ne concerne pas l’Etat, qui est tenu de produire de bons citoyens, et non de bons chrétiens», a déclaré l’archevêque à l’Agence œcuménique ENI. «Nous vivons dans une situation bizarre. Les Grecs déclarent être religieux même s’ils ne pratiquent pas, et les ministres prêtent serment sur l’Evangile même s’ils sont athées».
La virulence de l’archevêque Christodoulos.
Le 14 mai, l’archevêque Christodoulos, responsable de l’Eglise de Grèce, a publiquement condamné la proposition de réforme, en la qualifiant de «crime contre la nation». Il a réclamé la tenue d’un référendum pour régler la question. «Les néo-intellectuels attaquent l’Eglise comme des chiens sauvages. Nous sommes Européens, personne ne le nie, mais nous ne céderons pas, uniquement pour obtenir l’approbation de quelques modernistes et progressistes», a déclaré Christodoulos, connu pour son peu d’ouverture à l’œcuménisme.
Mgr Foscolos estime toutefois que cette position extrême n’est pas partagée par l’ensemble des évêques orthodoxes grecs. Selon lui, certains d’entre eux pensent en effet que la mention de la religion sur les cartes devait être volontaire. «Pourtant, les catholiques romains estiment que toute référence à la religion engendre une certaine discrimination contre les Grecs non orthodoxes. En avril deux recrues catholiques de l’armée grecque avaient été averties qu’elles «ne pouvaient s’attendre à une promotion à cause de leur religion».
«L’Eglise orthodoxe a réveillé le fanatisme en s’élevant contre le gouvernement, et c’est pourquoi il est difficile de prévoir le résultat d’un référendum», a encore fait remarquer Mgr Foscolos, dont l’Eglise compte 50’000 membres d’origine grecque, et 150’000 résidents étrangers. «La Grèce semble destinée à rester une exception, car les mentalités sont différentes ici, et l’Eglise orthodoxe s’oppose vigoureusement à l’Union européenne et à l’Occident».
Le 26 mai, le Synode de l’Eglise de Grèce a tenu une réunion spéciale sur la question des cartes d’identité, à l’issue de laquelle il a averti que l’Eglise n’était pas décidée à céder. Le Synode a aussi rappelé que l’Eglise a été la gardienne de l’hellénisme pendant quatre siècles de régime ottoman.
La Grèce accueille chaque année plusieurs millions de touristes, au point que le tourisme figure parmi les principaux éléments de l’économie du pays. Des touristes qui, pour l’heure, ne sont pas encore dans l’obligation de décliner leur appartenance religieuse, à l’entrée du pays, notent avec agacement les milieux touristiques, en désaccord avec la hiérarchie orthodoxe. (apic/eni/pr)