El Salvador: Il y a vingt ans, Mgr Romero tombait sous les balles des tueurs d’extrême-droite
«Saint Romero des Amériques» est déjà canonisé par le petit peuple
San Salvador, 20 mars 2000 (APIC) Il y a tout juste vingt ans, le 24 mars 1980, le monde est frappé de stupeur: Mgr Oscar Romero, le populaire archevêque de San Salvador, vient de tomber sous les balles des tueurs d’extrême-droite. Pour ajouter à la dimension symbolique de cet «odieux crime sacrilège», selon les mots d’alors de Jean Paul II, le prélat de 62 ans a été assassiné à l’autel tandis qu’il célébrait la messe. Le pape aurait personnellement voulu qu’il soit canonisé pour l’an 2000, mais le fantôme de l’évêque martyr réveille les mauvaises consciences.
Oscar Arnulfo Romero, «saint Romero des Amériques» pour le petit peuple salvadorien qui se rend en masse en pèlerinage sur sa tombe dans la crypte de la cathédrale, n’a pas toujours été en odeur de sainteté à Rome. Cet évêque d’extraction modeste, plutôt traditionnel et conservateur, s’est converti à la cause des pauvres après l’atroce assassinat en 1977 de son ami le Père Rutilio Grande, fondateur de dizaines de communautés ecclésiales de base (CEB). Mgr Romero a aussitôt été dénoncé à Rome comme «évêque rouge»… par des confrères «bien intentionnés» de la hiérarchie ecclésiale alliés au pouvoir en place.
En 18 mois, pas moins de trois visiteurs, des contrôleurs envoyés par le Vatican, ont été chargés d’enquêter sur son compte. Ses adversaires à la curie «occupent encore des postes influents au Vatican», écrit le Père jésuite allemand Martin Maier, rédacteur en chef de la revue «Stimmen der Zeit» à Munich, dans la revue des jésuites «Choisir» (Genève) de mars 2000.
Des haines sournoises contre Mgr Romero subsistent dans certains milieux ecclésiaux
Serait-ce en raison des haines sournoises qui persistent dans certains milieux ecclésiaux contre cet évêque des pauvres qu’ont surgi de nouveaux obstacles pour sa canonisation ? Des attitudes du genre de celle de cet ancien haut responsable du CELAM, aujourd’hui cardinal de curie, au lendemain de l’assassinat le 16 novembre 1989 des six jésuites de l’UCA, l’Université catholique de San Salvador. Des troupes du Bataillon «Atlacatl», une unité d’élite de l’armée salvadorienne encadrée par des conseillers militaires américains avaient abattu froidement les six religieux, leur cuisinière et sa fille dans l’enceinte de l’Université. Le commentaire du prélat latino-américain confié à l’APIC: «Ceux qui sèment le vent récoltent la tempête!»
Toujours est-il que si la canonisation de Mgr Romero était, semble-t-il, un souhait personnel de Jean Paul II, il n’en est pas de même de tous les évêques salvadoriens. Lors de sa visite le 8 février 1996 à San Salvador, Marco René Revelo, un adversaire déclaré de Mgr Romero, alors évêque de Santa Ana, a déclaré sans sourciller que Mgr Romero «est responsable de la mort de 70’000 personnes». C’est ce que rapporte le Père Martin Maier, qui a lui-même vécu plusieurs années dans ce pays d’Amérique latine. Une déclaration qui avait alors fait scandale et suscité l’incrédulité, mais qui montre comment la figure de Mgr Romero est encore perçue aujourd’hui dans les milieux de la droite salvadorienne.
Y a-t-il moins de risques à honorer les morts que les vivants ?
Commentant il y a quelques années la mise en route du procès de béatification de Mgr Romero, le théologien français Maurice Barth déclarait qu’»il y a moins de risques à honorer les morts que les vivants !». Et de rappeler que le journal de Mgr Romero, et plus encore les récits des témoins, révèlent à quel point l’archevêque de San Salvador a souffert de l’incompréhension romaine, lui qui était profondément attaché à l’autorité du pape. A la curie, les «monsignori» des bureaux romains lui conseillaient la prudence, à l’exemple de Jésus-Christ. A quoi il lui fut facile de répondre: «S’il fut si prudent que cela, comment se fait-il qu’ils l’aient tué ?» Homme profondément spirituel, Jean Paul II a certainement été impressionné par le mouvement populaire proclamant spontanément, dans toute l’Amérique latine, la sainteté de l’archevêque martyr.
Le dimanche 23 mars 1980, dans sa cathédrale de San Salvador, Oscar Romero prononce son homélie dominicale, véritable acte d’accusation contre la junte militaire au pouvoir qui massacre la population et en appelle à la désobéissance aux ordres iniques: «Un soldat n’est pas obligé d’obéir à un ordre qui va contre la loi de Dieu. Une loi immorale, personne ne doit la respecter… Au nom de Dieu et du peuple souffrant, je vous en supplie, je vous l’ordonne: cessez la répression.» Le lendemain, les Escadrons de la mort exécutent le prélat d’une balle dans le cœur, pendant qu’il dit la messe. Ni les auteurs matériels, ni les commanditaires ne seront jamais arrêtés.
Victoire électorale des anciens guérilleros «communistes»
Ironie de l’histoire: ces jours-ci, les «communistes» ont remporté une éclatante victoire lors des élections démocratiques du 12 mars dernier. Il s’agit pourtant de ceux-là mêmes auxquels l’oligarchie salvadorienne a si rapidement assimilé Mgr Romero pour mieux le dénigrer, ceux-là même que voulait à tout prix exterminer la puissante armée salvadorienne, financée et encadrée par les Etats-Unis, dans une cruelle guerre civile qui a fait près de 100’000 morts…
Les anciens guérilleros du Front Farabundo Marti de Libération Nationale (FMLN), qui ont déposé les armes et transformé leur mouvement en parti démocratique, sont devenus la première force politique du pays. Au grand dam de l’oligarchie d’extrême-droite, cette poignée de riches familles qui a mis la main sur les richesses de ce petit pays d’Amérique Centrale, et qui a armé la main du tireur d’élite qui a abattu l’»évêque rouge» pendant la messe qu’il célébrait dans la chapelle de l’hôpital de la Divine Providence.
Les armes se sont tues, les causes du conflit restent
Après les élections du 12 mars, les anciens rebelles du FMLN, qui ont déposé les armes en 1992, sont devenus le premier parti au Congrès et ont conquis la plupart des villes du pays, dont la capitale San Salvador. Malgré la fin de la guerre, le pays connaît une situation sociale très tendue, avec un taux de criminalité très élevé et un chômage endémique. Après quatre mois de grève, les médecins et les travailleurs de la sécurité sociale viennent de reprendre le travail, après un accord entre syndicats et gouvernement. Ce dernier a dû revenir en arrière, abandonner son projet de privatisation d’une partie du système de santé et promettre d’améliorer les salaires. La Cour suprême salvadorienne doit encore se prononcer sur la réintégration de plus de 200 grévistes mis à pied au début de la grève.
Certes, les armes se sont tues, il y a eu plusieurs fois des élections – plus ou moins démocratiques, malgré le pourcentage élevé d’abstentions – mais les structures sociales injustes qui ont engendré le conflit n’ont pas été changées. Le pouvoir réel est toujours entre les mains de ceux qui ont fomenté tant d’assassinats et qui n’ont nullement fait amende honorable. Les «Pinochet» salvadoriens, sûrs de leur immunité, ont encore de beaux jours devant eux. Au plan ecclésial, malgré leur sacrilège, les auteurs de l’assassinat de Mgr Romero n’ont pas été publiquement excommuniés…
En bonne place parmi les martyrs du XXème siècle
Malgré les efforts des milieux ultraconservateurs pour effacer sa mémoire ou dénigrer son engagement, la figure de Mgr Romero est toujours vivante dans le cœur des Salvadoriens. Dépassant les frontières de ce petit pays d’Amérique centrale, elle est devenue un symbole non seulement pour tout le continent latino-américain, mais également pour le monde entier, par delà les frontières confessionnelles. Sans conteste, l’archevêque assassiné fait désormais partie de la grande cohorte des martyrs du XXe siècle. Un siècle tourmenté, témoin des plus grands cataclysmes, mais aussi d’une féconde moisson de prophètes, de mystiques, de saints, d’intellectuels et de théologiens, qui ont aidé leurs Eglises à franchir le cap de la modernité, à les réconcilier avec la raison, les droits de l’homme et la liberté, relève le journal «Le Monde» du 25 juillet 1999, dans son dossier «2000 ans de christianisme».
Ces témoins de la foi appartiennent à une variété de confessions chrétiennes toujours divisées, comme Martin Luther King, un pasteur baptiste noir des Etats-Unis, Dietrich Bonhoeffer, pasteur protestant allemand exécuté par les nazis en 1945. Parmi ces martyrs, siège en bonne place Mgr Oscar Romero, archevêque catholique de San Salvador, assassiné par les Escadrons de la mort en 1980.
Pour honorer ces martyrs de l’époque moderne, on a placé leur statue dans des niches de l’Abbaye de Westminster à Londres, vides depuis le Moyen Age. Ces 10 figures emblématiques de tous les continents, appartenant à diverses Eglises, ont été dévoilées le 9 juillet 1998 par la reine d’Angleterre et le prince d’Edimbourg, en présence de responsables religieux du monde entier, dont l’archevêque de Canterbury, le Dr George Carey, et feu le cardinal Basil Hume. Ces personnalités ont été choisies par l’Abbaye de Westminster pour représenter les victimes de l’oppression religieuse sous le nazisme et le communisme et de la persécution religieuse en Afrique. Aux cotés de la Grande Duchesse Elisabeth de Russie, tuée par les bolchéviques en 1918, et de Martin Martin Luther King, on trouve justement Mgr Oscar Romero, assassiné il y a exactement 20 ans. (apic/be)