Fribourg: Pour la théologienne Brigitte Fuchs, la spiritualité a des effets thérapeutiques
Interview
Guérison corps et âme: la foi est bonne pour la santé
Stéphan Moser, APIC
Fribourg, 20 février 2001 (APIC) La spiritualité et la foi ont des effets thérapeutiques. Mais rares sont les malades qui connaissent et exploitent le pouvoir de guérison de leurs convictions religieuses. Une théologienne allemande de 42 ans, qui enseigne à l’Université de Fribourg, a établi ce constat en soignant des malades du cœur. Professeur de pédagogie religieuse et de kérigmatique, Brigitte Fuchs souligne qu’il n’est pas de guérison véritable sans guérison de l’âme, à la veille du symposium sur l’influence de la religion sur la santé, qu’elle animera le 24 mars à l’Université des bords de la Sarine.
«Les gens qui vont régulièrement à l’Eglise vivent plus longtemps que les autres.» La conclusion de cette récente étude américaine avait fait grand bruit: Brigitte Fuchs se montre réservée et se demande si la recherche n’a pris en compte que les fidèles en mesure de se rendre à l’Eglise, à l’exclusion donc des invalides et des malades. Pour illustrer l’influence de la religiosité sur la santé, la chercheuse allemande préfère se référer à des études de longue haleine et portant sur des milliers de personnes.
Ces travaux reconnus attestent que la religion, quand elle règle le quotidien et le mode de vie, contribue plus au bien-être que toute forme de soutien social ou d’assurance financière. Brigitte Fuchs cite des études cliniques montrant que les patients en phase terminale de leur maladie ressentent d’autant moins la douleur que leur foi était grande.
Il semble également que les personnes «religieuses» soient moins sensibles aux affections que la moyenne, relève encore Brigitte Fuchs qui a elle-même mené une recherche sur les effets de la méditation sur les patients atteints de troubles vasculaires. Elle répond aux questions de l’agence APIC, en prélude au symposium du 24 mars qui confrontera à Fribourg partenaires du monde de la santé et de la théologie autour des effets thérapeutiques de la spiritualité.
APIC: Brigitte Fuchs, comment expliquer les effets bienfaisants de la religiosité sur la santé?
Brigitte Fuchs: La réponse est complexe et se joue à plusieurs niveaux. On peut dire d’abord que la pratique religieuse est un facteur d’intégration dans une communauté et que ces liens sociaux sont un rempart contre la solitude et la dépression. La religiosité a aussi des effets purement physiques. Lorsque l’on prie, que l’on médite, on se détend et on se libère un peu du stress. Il a été prouvé que les patients qui méditent avant une opération sont plus vite sur pied et ont besoin de moins de médicaments que la moyenne.
On a remarqué en outre que les gens qui avaient des convictions religieuses développaient des stratégies efficaces pour faire face aux expériences douloureuses. Elles mettent leur confiance dans une puissance d’amour, au-dessus des vicissitudes de la destinée humaine. Cette vision d’une force divine aide à donner un sens à des événements traumatisants et à les intégrer au quotidien. La religion peut apporter un grand réconfort et éviter de sombrer dans l’absurde lorsque les coups du sort et la fatalité s’acharnent. La foi nous aide à conserver l’estime de soi et ne pas être écrasé sous la culpabilité.
APIC: Si la foi en une puissance aimante peut préserver la santé, que se passe-t-il si l’on croit en un dieu vengeur qui punit les erreurs?
Brigitte Fuchs: Il existe aussi des images divines morbides, qui peuvent rendre malades. La représentation d’un dieu implacable, qui envoie aux hommes maladies et fléaux en punition de leurs péchés, est mauvaise pour l’équilibre psychique et physique. Tout au contraire, la vision d’un dieu plein de bonté et de miséricorde renforce les défenses immunitaires.
APIC: Existe-t-il des religions ou des confessions plus particulièrement bonnes pour la santé?
Brigitte Fuchs: Impossible de vous donner le palmarès des religions «les plus saines» ou les plus intéressantes en terme de promotion de la santé. Néanmoins, des études existent selon lesquelles des religions agiraient positivement sur certaines maladies, ou plus exactement préviendraient certaines affections. Ainsi, certaines formes de cancer sont moins fréquentes chez les musulmans que chez les catholiques. Le rapport entre l’occurrence de certaines pathologies et la religion n’est pas encore complètement élucidé. On peut cependant penser que le rôle préventif de certaines religions a un lien direct avec les règles de vie de leurs fidèles, comme la tempérance ou le jeûne.
APIC: Quelles sont les vertus spécifiques de la foi chrétienne?
Brigitte Fuchs: Je pense que l’attitude spirituelle chrétienne qui a le plus grand pouvoir de guérison est le pardon. Celui remâche sa rancune, incapable de pardonner, se charge d’un lourd fardeau. Un poids psychique qui peut le rendre malade ou empêcher sa guérison. Une autre attitude libératrice du christianisme est l’ouverture aux autres et l’altruisme. Comme le dit l’expression «un cœur de pierre», on s’expose réellement à des affections cardiaques en s’endurcissant. S’abandonner, savoir que l’on ne peut pas tout faire ni tout décider soi-même est de la plus haute importance pour rester en bonne santé. Celui qui est persuadé que sa guérison ne tient qu’à lui-même risque de se mettre sous une pression insupportable si ses efforts n’aboutissent pas. Le désespoir est à la porte si l’on pense que l’on ne doit ses succès et ses échecs qu’a soi seul.
APIC: Comment la médecine réagit-elle au fait que la science, les appareillages sophistiqués et les médicaments ne sont pas seuls à pouvoir soigner les malades et que la religion a également un rôle à jouer?
Brigitte Fuchs: Les médecins qui voient le corps comme une mécanique à réparer ont de la peine à entrer dans ce genre de considérations. Mais une partie grandissante des professionnels de la santé prend cette réalité en compte. L’Allemagne et la Suisse connaissent déjà les naturopathes ou les médecins anthroposophes. Quant aux Etats-Unis, ils ont une bonne longueur d’avance par rapport au vieux continent.
APIC: La médecine s’intéresse à guérir le corps mais ne se préoccupe pas de l’âme. Comment la théologie comble-t-elle cette lacune?
Brigitte Fuchs: C’est à la théologie de dire que soigner, ce n’est pas seulement remettre le corps en état. L’homme est plus qu’une machine dont il faut réparer ou changer les pièces défectueuses. Je vous donne l’exemple du père d’une connaissance, obligé de prendre de puissants médicaments. Les substances chimiques sont venues àà bout de sa maladie organique mais elles ont changé sa personnalité jusqu’à le conduire au suicide. On ne peut vraiment guérir quelqu’un qu’en soignant à la fois son corps et son âme.
APIC: Vous avez pratiqué des thérapies comportant aussi l’aspect spirituel. Quel succès avez-vous obtenu en traitant le corps et l’esprit?
Brigitte Fuchs: Il y a trois ans, j’ai travaillé dans une clinique de réhabilitation cardiaque en Allemagne où je proposais aux patients des méditations à but thérapeutique. J’avais établi un programme en m’appuyant sur les expériences de soignants des Etats-Unis et en y intégrant des attitudes chrétiennes dont les bienfaits avaient été vérifiés. Tout le projet a bénéficié d’un suivi scientifique. L’évaluation définitive n’est pas terminée mais les patients ont ressenti d’emblée des effets positifs. Les symptômes comme les troubles du sommeil ou les maux de tête ont diminué. Il y a même eu des cas de guérisons spontanées.
APIC: Améliorer sa santé par la méditation est-il réservé à ceux qi ont la foi?
Brigitte Fuchs: Bien sûr que non. La méditation exerce un puissant effet relaxant, même si l’on ne croit pas en Dieu. A titre d’exemple, un tiers des patients d’un cardiologue américain, qui avaient commencé à méditer sans avoir de fond religieux, ont fait des expériences spirituelles durant ces moments de retraite en soi-même. Ils ont bénéficié d’effets thérapeutiques plus prononcés que ceux qui s’étaient contenté de «méditer». L’expérience atteste que la force de guérison de la méditation est plus efficace lorsque l’on peut mobiliser sa foi.
APIC: Pourquoi les Eglises ne vantent pas les vertus thérapeutiques de la foi dans un monde fanatique de la santé?
Brigitte Fuchs: Cela ne fonctionnerait pas et pour deux raisons: l’homme contemporain exige des effets rapides et spectaculaires. La religion et la foi ne sont pas des pastilles à avaler et qui nous font nous sentir mieux dans les cinq minutes. L’effet thérapeutique de la religiosité est indissociable du travail sur soi. Il diffère de personne à personne: chez certains, la foi guérit. Chez d’autres, elle aide à supporter la maladie.
La séparation institutionnalisée entre le corps et l’esprit constitue une difficulté supplémentaire. Depuis des siècles, la médecine s’occupe de la chair alors que l’âme est du ressort de l’Eglise. J’espère que le dialogue entre la médecine et la théologie, comme il se déroulera durant notre symposium à Fribourg, mettra en lumière des possibilités et des formes de thérapie qui dépasse ce clivage millénaire.
APIC: Comment un croyant chrétien peut-il s’y prendre pour «utiliser» la force de guérison de sa spiritualité?
Brigitte Fuchs: Le christianisme connaît plusieurs formes de médiation entre les hommes et Dieu. Mais les Eglises chrétiennes n’ont pas réussi à les faire fructifier. J’ai connu beaucoup de patients qui, bien que croyants, n’arrivaient pas à faire le lien entre leur foi et leur mal, entre leur esprit et leur corps. Cela m’a bouleversé de les voir si démunis, ne sachant comment appliquer la force de leur religiosité.
Je leur conseillerais de trouver quelqu’un qui travaille dans cette direction pour les accompagner. De nombreux livres ont été écrits sur le sujet mais il faut rester très prudent. Il y a aussi beaucoup de charlatans, comme ceux qui vous promettent de recouvrer la santé en deux semaines de méditation ou qui proposent des produits miracle. La voie de la guérison, par le truchement de la foi chrétienne, n’est pas rectiligne. Elle demande du temps et l’engagement de toute la personne. (apic/mos/traduction Marie-José Portmann)
Notes aux rédactions: Des photos couleur de Brigitte Fuchs peuvent être commandées auprès de l’agence APIC (tél. 026 426 48 11, fax 026 48 00, e-mail: apic@dm.krinfo.ch)
Qu’en est-il du pouvoir de guérison de la foi?
La question des effets thérapeutiques de la spiritualité sera au centre du symposium international que l’Université de Fribourg organise le 24 mars. Ce congrès interdisciplinaire confrontera médecins et théologiens au sujet des thérapies, de la métaphysique dans la naturopathie ou encore de l’actualité des principes actifs bibliques dans la médecine moderne. Brigitte Fuchs, professeur de pédagogie religieuse et de prédication de l’Université des bords de la Sarine, animera la manifestation à laquelle sont invités non seulement les professionnels de la santé et de la théologie mais aussi les étudiants. On y parlera également de la méthode Kneipp, de la méditation à but thérapeutique et de la signification de la spiritualité dans la médecine chinoise traditionnelle. (apic/mos/mjp)