Arménie: Le pape a rendu hommage aux victimes du génocide de 1915

95ème voyage de Jean Paul II hors d’Italie

Le terme génocide évité: déception arménienne

De notre envoyée, Sophie de Ravinel

Erevan, 26 septembre 2001 (APIC) Le pape Jean Paul II a rendu hommage aux victimes du massacre des Arméniens par les Turcs en 1915. Il l’a fait en visitant le monument qui leur est consacré à Erevan. Mais il s’est abstenu d’utiliser le terme même de génocide. Cela a déçu certains Arméniens présents, notamment ceux venus de l’étranger. De son côté, le chanteur français d’origine arménienne Charles Aznavour a chanté son «Ave Maria» dans l’enceinte même du monument. «Je suis optimiste, la visite du pape m’apporte l’espoir», a-t-il déclaré.

Le pape Jean Paul II s’est en effet rendu au mémorial de Tzitzernagaberd où il a récité une prière en mémoire des victimes du génocide de 1915, au cours de la seconde étape de son 95e voyage hors d’Italie, en Arménie. A aucun moment, le pape n’a utilisé directement le mot génocide, il a parlé de «Metz Yeghern» qui est la parole arménienne correspondante. Cette prière en compagnie de Karekin II et d’une soixantaine de religieux catholiques ou arméniens apostoliques, s’est conclue par un Ave Maria chanté par Charles Aznavour.

«Ecoute, O seigneur les plaintes qui s’élèvent de ce lieu, l’invocation des morts de l’abîme du `Metz Yeghern’», a récité Jean Paul II à l’intérieur du monument construit dans un lieu de verdure, sur les hauteurs d’Erevan. Autours de la flamme perpétuelle et alors que la soixantaine de religieux a déposé des oeillets en mémoire des victimes, le pape n’a pas parlé de «génocide», mais de «Metz Yeghern», et qui se traduit littéralement par «grande catastrophe».

A propos de Benoît XV

Au cours de sa prière, Jean Paul II a fait allusion à son prédécesseur, Benoît XV qui, au début du siècle, «a élevé la voix en défense du peuple arménien gravement blessé et conduit au seuil de l’anéantissement». Une plaque a d’ailleurs été placée sur le mur du mémorial avec le nom de Benoit XV, à côté de celui d’Anatole France.

«Profondément éprouvés par les terribles violences infligées au peuple arménien, a poursuivi le pape, nous nous demandons avec effroi comment le monde peut encore connaître des aberrations aussi inhumaines». Jean Paul II a enfin demandé à Dieu «la guérison pour les blessures encore ouvertes».

Un peu plus d’une heure après son arrivée, Jean Paul II a béni un arbre qui sera planté dans le jardin du mémorial, puis est reparti en direction du «Saint-Siège» arménien apostolique, Etchmiadzine. En fin il s’est rendu dans la cathédrale arménienne apostolique pour une célébration oecuménique.

Encadré

Quelques rencontres avec Charles Aznavour

De sa voix puissante et timbrée, le chanteur français d’origine arménienne a conclu la cérémonie de prière au mémorial. De religion arménienne apostolique, il est venu à Erevan pour les célébrations du 1700ème anniversaire et aussi pour rencontrer Jean Paul II «qu’il admire beaucoup». Interrogé par les journalistes sur le sens de la visite du pape dans ce mémorial, il a affirmé: «Je suis un optimiste et cette visite est un espoir pour moi. Le fait que le pape se soit dérangé jusqu’ici est un symbole trs fort. Dans le passé, j’ai pu regretter qu’il tarde à venir, mais je crois qu’il a en fait choisi le meilleur moment, celui des deux anniversaires, du baptême et de l’indépendance».

Mes parents, a-t-il poursuivi en expliquant les raisons de sa présence, «ne m’ont pas élevé dans un esprit de haine mais dans un esprit de souvenir». Tout en riant, Aznavour a glissé que si les cardinaux connaissaient ses chansons, le pape, ne l’avait visiblement jamais entendu. Le chanteur lui a alors donné la veille, le texte de son Ave Maria et «il a été très touché par les paroles». Charles Aznavour a affirmé que Jean Paul II l’avait «beaucoup impressionné» et que s’il se sentait arménien apostolique, il ne voyait aucune différence entre les Eglises.

Jacquelin Basmajian et Hovic

Française d’origine arménienne et habitant à Paris, Jacqueline est venue avec beaucoup d’autres membres de la diaspora pour la venue du pape et les célébrations. «Dans la famille de mon père, a-t-elle affirmé, ils étaient 96, tous habitants de Sivas, en Anatolie. Après le génocide, il n’en restait que 4 dont un bébé qui a été abandonné, recueilli et dont on a retrouvé la trace en 1965. Alors que nous sommes tous en Argentine, en France ou aux Etats-Unis, lui habite dans un minuscule village des montagnes du Nord. Et nous sommes de la même famille. Malgré l’abîme qui sépare notre formation et notre vie, nous avons la même culture et le même amour du pays». Jacqueline de voit aucune différence entre les deux Eglises et «les rites sont identiques alors que jongle entre les deux. J’ai été baptisée catholique par une mère arménienne apostolique car mon frère, très malade, a été guéri par des soeurs catholiques Je suis mariée dans l’autre Eglise et mes enfants dans l’Eglise catholique. Vraiment, pour moi, il n’y a pas de différences». Concernant le mot en arménien du pape pour parler du génocide, Jacqueline dit être contente. «Pour moi, c’est encore plus fort que s’il avait prononcé le mot génocide selon les critères du droit international. Ici, il s’adresse au peuple arménien. Et le mot génocide, il l’a déjà prononcé à Rome en 2000. D’ailleurs, je pense que ce voyage sera l’occasion d’une nouvelle déclaration commune. Ils en parleront alors sûrement».

A ses côtés, Hovic, un jeune catholique habitants de l’Arménie de 25 ans la regarde incrédule. Pour lui, l’amour du pays, cela ne représente pas grand chose et les considérations religieuses le dépassent. Il ne rêve que de quitter ce pays, «où il n’y a aucun espoir, où la vie est trop dure et où il est impossible de travailler si l’on ne plonge pas dans «le système», celui du gouvernement, de la mafia». (apic/imed/sdr/pr)

26 septembre 2001 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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