Bruxelles: Des experts préconisent la création d’un groupe de «gouvernance mondiale»
Présentation d’un rapport demandé par la COMECE
Bruxelles, 25 octobre 2001 (APIC) Des experts européens ont rédigé pour les évêques de l’Union Européenne un rapport dans lequel ils préconisent la création d’un groupe de «gouvernance mondiale». Ce rapport a été présenté le 24 octobre à Bruxelles au siège de la COMECE, la Commission des épiscopats de la Communauté européenne. Il plaide pour la création d’un «Groupe de Gouvernance Globale» (GGG) en vue de «faire de la globalisation une opportunité pour tous».
Ce rapport sur «la gouvernance mondiale» avait été demandé par les évêques des quinze pays de l’Union européenne en avril 2000, dans le sillage d’un Congrès social organisé à Bruxelles pour les vingt ans de la COMECE. «Aidez-nous à jeter les bases d’une politique de gouvernance mondiale!», avaient alors demandé les évêques en présence de nombreux experts. Ces derniers ont saisi la balle au bond. Le fruit de leur travail tient en un rapport d’une trentaine de pages. Il a été coordonné par Michel Camdessus, ancien directeur général du Fonds Monétaire International (FMI) et président des Semaines sociales de France. Cet expert, qui est aussi membre du Conseil pontifical Justice et Paix, est venu lui-même présenter le rapport au siège de la COMECE.
Un grand défi s’impose à tous en ce début de XXIe siècle, montre le rapport: surtout ne pas laisser la globalisation se développer au profit d’intérêts privés et au détriment du bien commun. Inutile de refuser la globalisation: l’interdépendance est trop engagée au plan mondial pour revenir en arrière. Mais il est inadmissible qu’elle fasse des exclus. Des valeurs de base doivent lui servir de référence. Les plus hautes valeurs ne suffiront cependant pas à protéger les plus faibles. Il faut «un système de gouvernance mondial», bâti sur la coopération politique supranationale et multilatérale.
Le rapport remis à la COMECE ne conçoit pas la gouvernance mondiale sans la participation de chefs de gouvernements, ni de responsables de grandes organisations planétaires comme l’ONU, le FMI, l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les experts ne bénissent pas pour autant tout ce qui s’y fait. Ils voudraient notamment que les règles soient redéfinies dans l’OMC pour favoriser l’accès des plus pauvres au développement économique. Ils recommandent même la création d’une Organisation Internationale de l’Environnement.
Sujets de préoccupation mondiale
Concrètement, ce rapport préconise la création d’un GGG, qui associerait les chefs des vingt-quatre gouvernements représentés au FMI ainsi que les directeurs des grandes organisations internationales. Le groupe aurait à s’occuper des sujets de préoccupation mondiale et assurerait un minimum de coordination et de cohérence au sein du système.
Le rapport a été préparé par un groupe interdisciplinaire présidé par Michel Camdessus et comprenant: Matthias Meyer, responsable de la direction des politiques publiques au sein de la Conférence épiscopale allemande, secrétaire du groupe «Gouvernance globale»; Simona Beretta, professeur d’économie auprès d’organisations internationales à Milan (Italie); Rudolf Dolzer, professeur de droit international; Franz Eckert, conseiller européen auprès de la Conférence épiscopale autrichienne; Reinhard Felke, administrateur à la Commission européenne; Flaminia Giovanelli, membre du Conseil pontifical Justice et Paix; Michel Hansenne, député européen, ancien directeur général de l’OIT; Charlotte Kreuter-Kirchhof, maître de conférences de droit international à Bonn; Stefan Lunte, assistant du secrétaire général de la COMECE; Onno Ruding, vice-président de Citibank et ancien ministre des finances aux Pays-Bas; Peter Sutherland, président de British Petroleum, ancien commissaire européen et ancien directeur général de l’OMC; Paul Tran Van Thinh, ancien négociateur en chef de la Communauté européenne auprès de l’OMC; Noël Treanor, secrétaire général de la COMECE.
Ce rapport sera soumis pour adoption aux évêques de la COMECE, qui tiendront leur seconde session annuelle les 22 et 23 novembre à Bruxelles. Il n’existe actuellement qu’une version anglaise du texte intégral du rapport et un résumé en français.
Encadré
La gouvernance mondiale: «pour faire de la globalisation une opportunité pour tous»
L’APIC publie un résumé du rapport présenté mercredi à Bruxelles, dont voici les principaux points:
Aujourd’hui, la recherche du bien commun est le principal défi de tous ceux qui sont concernés par la gouvernance. La responsabilité en incombe à chacun de nous, les individus, les familles, les entreprises, mais aussi les Etats et leurs dirigeants. Jusqu’à présent, la plupart de ces acteurs n’ont agi qu’en fonction de leurs intérêts propres. Dans le futur monde globalisé, l’homme va devoir accepter de nouvelles valeurs pour améliorer le sort des déshérités. C’est l’espoir de cette nouvelle vision qui a inspiré ce rapport sur la gouvernance mondiale. Il a été rédigé à l’instigation des membres de la Commission des Conférences épiscopales de la Communauté européenne (COMECE) à la suite du Congrès social sur La responsabilité de l’Europe pour le développement mondial qui s’est tenu à Bruxelles, les 31 mars-1er avril 2000,juste quelques mois après que les ministres du commerce aient échoué à lancer une nouvelle Conférence sur le commerce lors de la conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Seattle.
Déchiffrer les signes du temps
En l’espace d’une génération, l’interdépendance économique mondiale s’est extraordinairement développée. Ce phénomène de mondialisation est la conséquence d’un énorme progrès technologique et de la détermination politique d’ouvrir les économies nationales à la concurrence, tant à l’intérieur des Etats qu’entre les Etats. Ce processus va continuer, il ne s’arrêtera pas ni ne reviendra en arrière. La mondialisation a créé des améliorations et des opportunités pour beaucoup d’entre nous dans de nombreuses parties du monde. Cependant, beaucoup n’ont pas su s’y adapter, et ainsi ont été exclus de ses bénéfices. En conséquence, ils sont désavantagés. Même si elle permet de bénéficier d’une plus grande diversité et d’une plus grande efficacité, la mondialisation éveille des peurs sur la perte de notre identité culturelle. Un système de gouvernance mondiale est essentiel si nous voulons garantir les impacts positifs de la mondialisation et limiter ses éventuelles répercussions négatives.
Pendant que l’interdépendance économique se renforçait les années passées, le nombre absolu de très pauvres n’a cessé d’augmenter dans le monde, au même titre que les inégalités matérielles, au sein des pays et entre les pays. De plus, des risques écologiques significatifs ont fait leur apparition au niveau mondial. Jusqu’à présent, les efforts pour réduire la pauvreté et les inégalités à travers l’aide officielle au développement, qui de toute façon se réduit, n’ont produit que de maigres résultats. Quant aux actions internationales pour réduire les dégâts écologiques au niveau mondial, elles se sont avérées tout aussi vaines.
Aujourd’hui, le monde et l’humanité – qui sont l’oeuvre de Dieu – requièrent et méritent une approche plus cohérente. L’ouverture des économies n’est pas viable si les Etats ne manifestent pas aussi une volonté d’ouverture politique. Dans un monde marqué par l’interdépendance grandissante, l’Union européenne est un exemple unique et convaincant d’un système de gouvernance basé sur la coopération politique supranationale et multilatérale. La volonté politique de créer et de maintenir un système de gouvernance mondiale doit être soutenue par des fermes convictions et des valeurs.
Dans un monde où aucun pouvoir unique – aussi fort soit-il – ne peut ou ne devrait exercer le plein contrôle, il est primordial d’aboutir à un consensus mondial sur une liste de valeurs et de principes fondamentaux.
Valeurs et principes fondamentaux pour une gouvernance mondiale
Ce rapport propose une série de valeurs et de principes fondamentaux qui devraient régir une politique mondiale commune: respect de la dignité humaine, sens des responsabilités, solidarité, subsidiarité, cohérence, transparence et respect. Les Eglises et les autres communautés religieuses ont un rôle vital à jouer dans la promotion de ces valeurs.
L’importance croissante de l’interdépendance économique doit être contrebalancée par une interaction politique au niveau mondial. Cela permettra de traiter efficacement les aspects financiers et commerciaux qui ne peuvent être résolus au niveau national ou régional et de consentir de nouveaux efforts conjoints pour réduire la pauvreté dans le monde et limiter les risques écologiques qui menacent la planète. Ce système de gouvernance mondiale ne pourra toutefois évincer les gouvernements nationaux ni les organisations régionales comme l’Union européenne, par exemple. Il ne peut les remplacer, il doit plutôt y chercher sa légitimité. Quant à savoir si les pays les plus défavorisés pourront développer leur économie et si les pays industrialisés réussiront à relever le double défi d’une concurrence internationale de plus en plus âpre et d’un taux démographique en baisse, cela dépendra avant tout de la qualité de leurs politiques nationales.
Un système de gouvernance mondiale doit, en plus des gouvernements, impliquer différents acteurs qui partagent un certain nombre de valeurs de base. Le secteur professionnel doit s’efforcer de conjuguer ses intérêts à long terme avec le bien commun mondial. La contribution responsable des organisations internationales non gouvernementales apporte une aide significative à l’émergence d’une opinion publique mondiale.
Propositions à l’intention des institutions internationales existantes
En termes institutionnels, la création d’un système de gouvernance mondiale requiert le réexamen des mandats des organisations internationales existantes, afin d’identifier les objectifs contradictoires, les entraves à un comportement cohérent et les lacunes au sein de l’infrastructure institutionnelle.
Les difficultés que rencontre actuellement l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dans sa tentative de lancer un nouveau cycle de négociation illustre bien les problèmes actuels de gouvernance. L’accord de l’OMC sur l’agriculture doit être révisé et modifié pour améliorer l’accès au marché des pays en développement. Des accords sur l’investissement, sur les principes d’une politique en matière de concurrence et des règles sur les achats publics sont nécessaires pour lutter contre les distorsions possibles résultant d’actions unilatérales, pour améliorer les conditions d’investissements dans le monde, y compris dans les pays en développement et pour aider à lutter contre la corruption. De tels accords pourraient émaner des travaux de l’OMC. La question des droits sociaux et celle des critères environnementaux mérite une réponse. En dernière instance, elles doivent être confiées aux organisations internationales compétentes.
Les initiatives récentes adoptées au sein de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE) contre le blanchiment d’argent et contre certaines pratiques douanières défavorables doivent être rigoureusement poursuivies. Tout autant que des initiatives visant la stabilité des marchés financiers lancées par les institutions financières internationales.
L’Organisation Internationale du Travail (OIT) devrait disposer d’une plus grande autorité pour pouvoir défendre certaines normes standard, comme celles qui visent à garantir le droit d’association et les négociations collectives, à interdire toute forme de travaux forcés, à abolir le travail des enfants et à supprimer toute discrimination en matière d’emploi et d’occupation. A l’ère de la mondialisation, l’OIT devrait être mandatée pour pouvoir traiter efficacement les grands problèmes sociaux, notamment celui du chômage et des travailleurs immigrés.
L’infrastructure institutionnelle présente une autre lacune, à savoir sa faiblesse en matière d’environnement. Ce problème mérite qu’on s’y attache en priorité, en réformant profondément le PNUE ou mieux encore en créant une organisation mondiale de l’environnement afin de lui permettre d’initier et de superviser les efforts internationaux de lutte contre la dégradation du climat, la désagrégation de la couche d’ozone, la perte de la biodiversité, le déboisement excessif, la désertification et pour la fourniture de suffisamment d’eau potable pour tous. D’autres manques ou faiblesses dans les organisations internationales existantes peuvent apparaître lors de futures analyses, mais celles qui sont mentionnées ci-dessus apparaissent les plus urgentes.
Création d’un Groupe de Gouvernance Globale (3G)
Ce rapport recommande la création d’un Groupe de Gouvernance Globale (3G). Celui-ci s’occuperait des thèmes horizontaux au niveau mondial et assurerait un minimum de coordination et de cohérence au sein du système. Sa contribution à ce niveau est essentielle parce que même après une révision en profondeur de l’infrastructure institutionnelle existante, il y a fort à parier que le problème de la cohérence, des orientations et de l’arbitrage persistera. Le système de gouvernance du monde ne sera pas finalisé tant qu’on n’aura pas trouvé la clé de voûte.
Pour que ce Groupe de Gouvernance Globale soit efficace, les chefs de gouvernement doivent en être les membres. Ce sont en effet les seuls acteurs qui traitent les problèmes horizontaux de façon crédible et efficace. Un Groupe de Gouvernance Globale trouve sa légitimité dans une représentation équitable de tous les pays. Il devrait donc être composé des vingt-quatre chefs de gouvernement représentés au conseil d’administration du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale. Les mécanismes de sélection de ces institutions se basent sur un nombre restreint de circonscriptions qui représentent chacun un groupe de pays entretenant un lien géographique, historique ou économique entre eux. Les mécanismes de sélection ont déjà fait leurs preuves et bénéficient du soutien et du respect de leurs pairs depuis plus de cinquante ans. Ils pourraient donc participer au moins à la phase initiale. Le Groupe de Gouvernance Globale pourrait également compter sur la participation du Secrétaire général des Nations Unies et du Directeur général du FMI, de la Banque mondiale, de l’OMC, de l’OIT et de l’éventuelle nouvelle Organisation mondiale de l’Environnement (OME). (apic/cip/pr)