Témoignage du Professeur Jean Bernard sur la vieillesse

Bulle: Lancement de la Fondation Marguerite Plancherel

Bulle, 17 mars 2002 (APIC) La Fondation Marguerite Plancherel, du nom d’une résistante française vivant à Fribourg, a été inaugurée vendredi 15 mars au Collège du Sud de Bulle. Son but : promouvoir des recherches de collégiens fribourgeois sur la résistance et les droits de l’homme.

L’anniversaire des 200 ans de l’Ordre de la Légion d’honneur a été l’occasion choisie pour baptiser cette Fondation à la mémoire d’une culture de la résistance où, comme l’a rappelé dans son allocution Marguerite Plancherel, la Suisse a également sa place. Le baptême de la Fondation a été précédé d’une conférence du professeur Jean Bernard, médecin et résistant qui, à 95 ans, rend témoignage d’un siècle riche en progrès de la médecine autant qu’en défis.

Quelque 300 personnes, dont le nouvel ambassadeur de France en Suisse, Michel de Bonnecorse, et Isabelle Chassot, cheffe de l’Instruction publique du canton de Fribourg, étaient présentes à la conférence du professeur Jean Bernard, puis à la cérémonie d’inauguration de la Fondation Marguerite Plancherel.

Française d’origine et Suissesse de coeur, Marguerite Plancherel, qui connu lors de la seconde guerre mondiale les geôles du III reich et ses couloirs de la mort, a témoigné devant les nombreux collégiens et devant quelques- uns de ses coreligionnaires de la Légion d’honneur, toute sa gratitude aux Suisses qui ont soutenu la Résistance, apportant ainsi «le plus pur démenti aux accusations dont la Suisse a fait l’objet de la part de certains historiens ou sociologues».

Quant à la conférence du professeur Jean Bernard, elle a porté sur le thème de la vieillesse. Jean Bernard est un des rares intellectuels français à cumuler un siège à l’Académie et des sciences (dont il fut président) et à l’Académie française.

Auteur de nombreux ouvrages dont «De la biologie à l’éthique» ou «Médecin dans le siècle», ce médecin et chercheur humaniste n’a pas hésité à briser un des plus grands tabous de notre société nord-occidentale: parler de la vieillesse, et de l’inégalité des personnes devant le vieillissement au moment où la durée de vie s’allonge.

Injustices des politiques financières

Lorsque le prof. Jean Bernard a débuté sa médecine, les hôpitaux n’étaient que le lieu où les pauvres venaient mourir. Il a été le témoin privilégié de l’apparition des antibiotiques, qui ont enfin permis de guérir des maladies auparavant mortelles, ainsi que la contribution de la biologie moléculaire à la validité des diagnostics.

Déplorant l’attitude irréfléchie de certains responsables politiques qui négligent d’apporter à la recherche le soutien qui lui revient, Jean Bernard a rappelé que lorsque l’argent est là, le progrès suit. Il a fallu hélas la première guerre mondiale et sa multitude de blessés – sans parler des morts – pour que soient mis en oeuvre le fruit des travaux sur les groupes sanguins, qui étaient pourtant au point depuis quinze ans. De même, comme le lui racontait Fleming, l’inventeur de la pénicilline qui permit de sauver tant de vies, cette nouvelle découverte a dû attendre les nécessités imposées par la seconde guerre mondiale pour sortir du laboratoire où elle avait été conçue plusieurs années plus tôt.

Ces deux exemples n’illustrent que trop les injustices des politiques financières qui visent un terme toujours trop court. Comme il l’a déclaré à l’APIC, Jean Bernard estime qu’une modeste correction des budgets des pays occidentaux permettrait une application équitable des progrès de la médecine au monde entier. Il souligne que l’égoïsme occidental n’est pas sans rappeler l’arrogance d’un empire romain à la veille des invasions barbares… La pandémie du sida en Afrique pourrait être enrayée s’il y avait une véritable volonté politique dans les pays riches, relève-t-il.

Les retraités de demain auront encore plus de trente ans à vivre

Autre question pressante mise en avant par l’académicien: que vont faire les retraités, alors que l’espérance de vie a pour ainsi dire doublé en un siècle? A 55 ans, en France, il est déjà possible de prendre sa retraite dans certaines professions. Si la perspective peut sembler réjouissante au premier abord, elle ne va pas sans poser bien des problèmes. En effet, si vieillir est irrévocable, bien vieillir n’est de loin pas un acquis. La médecine seule ne peut résoudre actuellement l’entier des atteintes à la qualité de vie générées par l’âge. Jean Bernard ne peut que constater les limites de la science sur le cerveau, organe ô combien essentiel, qui rechigne à livrer ses secrets et se garde ainsi de toute thérapie vraiment efficace.

Témoin de tant de révolutions médicales en l’espace d’une vie, le scientifique humaniste estime qu’il n’est pourtant pas impossible qu’un jour ou l’autre le cerveau finisse par livrer ses secrets, ce qui serait une nouvelle révolution médicale.

Guérir de la peur de mourir

En conclusion, après un clin d’oeil à Kant, Bergson et Einstein, sur la pertinence de ne pas considérer le temps comme une réalité absolue, Jean Bernard a confié au public son absence de peur face à la mort. C’est alors qu’il était prisonnier – il a passé l’année 1943 dans la prison de Fresnes – que Jean Bernard, ne sachant jamais s’il allait être le prochain – les nazis exécutaient régulièrement ses camarades de cachot -, a appris à ne plus craindre celle qu’il n’a cessé de combattre comme médecin. (apic/sh/pr)

17 mars 2002 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
Partagez!