Paris: La chaîne ARTE cède aux pressions, le film «Jénine, Jénine» déprogrammé

Le diffuseur israélien Niv Adi très déçu, Mohamed Bakri «écoeuré»

Paris, 2 avril 2003 (Apic) Cédant à une campagne bien orchestrée, la chaîne ARTE a déprogrammé mardi 1er avril le documentaire «Jénine, Jénine», du réalisateur arabe israélien Mohamed Bakri. Ce film – dont la Cour suprême israélienne pourrait bien Iever la censure d’ici deux semaines – exprime les souffrances des survivants du siège par l’armée israélienne du camp de réfugiés palestiniens de Jénine, en avril 2002. En Israël, le film peut être vu dans les cinémathèques et les universités.

Niv Adi, le distributeur israélien de «Jénine, Jénine», atteint mercredi en Israël par l’Apic, est très déçu par l’attitude d’ARTE et évoque une possible rupture de contrat. Mohamed Bakri, qui s’est envolé pour un festival à Copenhague, s’est pour sa part dit «écoeuré» et pense retirer le film à ARTE s’il n’est pas reprogrammé dans un délai d’un mois.

Espoir mis dans la Cour suprême israélienne

«Les responsables d’ARTE sont conscients d’avoir commis une grosse erreur en cédant à une campagne bien orchestrée des communautés juives en Europe. Les gens réagissent à des rumeurs et je suis persuadé qu’au moins 99% d’entre eux n’ont même pas vu le film! Les responsables communautaires à l’étranger affirment parler en notre nom, mais ils ne connaissent pas notre réalité, ils font beaucoup de dégâts», lâche le jeune diffuseur, responsable de l’agence FPAD à Tel Aviv.

«Les réactions contre le film ne sont pas le fruit d’une réaction spontanée, mais d’une action menée de façon quasi militaire, témoigne Niv Adi. J’ai reçu les copies de ce qui a été envoyé: il n’est pas difficile, si l’on est bien organisé, d’inonder de 500 fax et de 500 e-mail la chaîne ARTE, le cabinet du Premier ministre et la présidence française!»

Justifiant la distribution en Israël de ce film qui montre le point de vue palestinien, Niv Adi relève qu’en Israël, «on ne voit pas du tout ce qui se passe à quelques kilomètres de chez soi, c’est proprement incroyable; nous nous sommes habitués à ne rien voir du tout, parfois sans faire exprès, parfois par un réflexe de défense. Le camp de réfugiés de Jénine et sa dévastation, c’est tout près de chez nous, et cela fait peur!» Niv Adi se dit triste que ce film soit censuré en Israël, mais après les auditions de fin mars devant la Cour suprême israélienne, il se dit confiant que le public israélien pourra le voir. Ce qui serait une triste ironie, alors qu’il resterait interdit pour le public d’autres pays démocratiques.

ARTE mal à l’aise

A ARTE, Marie-Danielle Boussières, directrice de la communication de la chaîne, est visiblement gênée par ce couac qui met à mal la réputation d’indépendance dont elle se targue. Elle justifie la déprogrammation de «Jénine, Jénine» par la «situation internationale» – la guerre contre l’Irak – et par le «souci de ne pas accroître les tensions entre les communautés, qui se sont exprimées lors des manifestations contre la guerre». ARTE a donc décidé de modifier le contenu de la soirée thématique «Dialogues israélo-palestiniens» et de diffuser à la place de «Jénine, Jénine» le reportage «Les encerclés de Jénine», une enquête de Deborah Davies qualifiée de «peut-être plus objective et plus factuelle». Pour Marie-Danielle Boussières, qui n’a pas vu le film contesté, l’oeuvre de Bakri est très personnelle et subjective, et il valait mieux à l’heure actuelle présenter quelque chose de plus objectif.

«Jénine, Jénine» devrait être programmé à une date ultérieure, accompagné d’un débat. «C’est la première fois que nous faisons cela, mais je souligne que la chaîne a pris sa décision en toute indépendance, en prenant ses responsabilités face à toute la vague d’émotion et de sensibilité qui se développe actuellement. Nous ne voulions pas exacerber les tensions intercommunautaires «. JB

Encadré

Plus de courage à Fribourg qu’à Paris

A la fin mars dernier, le Festival International de Films de Fribourg (FIFF) avait été plus courageux que la chaîne culturelle franco-allemande et avait projeté le documentaire malgré les protestations de la communauté juive de Suisse. La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) avait exercé une forte pression sur le FIFF. Elle avait qualifié «Jénine, Jénine» de film de propagande incitant à la haine raciale et à l’antisémitisme. Le jury du FIFF s’est distancié de cette appréciation, se déclarant au contraire «touché par le cri de souffrance de ’Jénine, Jénine’».

Le professeur Alfred Donath, président de la FSCI, avait reconnu dans une interview à l’Apic n’avoir pas personnellement vu le film décrié. Il avait pourtant signé le communiqué affirmant qu’»en patronnant le Festival, nos autorités engagent leur responsabilité et participent à l’installation d’un climat antisémite en Suisse». (apic/be)

2 avril 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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