Interview du Cardinal Ratzinger : «Je crois plus (280789)

au courage des minorités qu’aux phénomènes de masse»

Rome, 28juillet(APIC/CIP) Dans une interview accordée à l’agence de presse catholique CIC à Rome le 27 juillet, le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation du Vatican pour la Doctrine de la Foi, réagit à

quelques-unes des questions qui ont marqué l’actualité de la vie ecclésiale

ces derniers mois; depuis les critiques émises par divers théologiens face

aux tendances «autoritaires» du Vatican jusqu’aux rapports avec les croycroyants traditionalistes, en passant par les défis de la bioéthique.

C’est justement par une question de bioéthique que débute l’interview du

cardinal allemand. Et un des problèmes urgents que l’Eglise va devoir

empoigner durant les prochaines années est celui de l’euthanasie, estime le

cardinal Ratzinger. Il faudra, dit-il, que les chrétiens s’engagent

davantage pour offrir aux mourant un accompagnement humain qui, dans la

médecine actuelle, trop souvent, tourne court.

Mais on ne peut combattre le «caractère cruel et inhumain» de

l’euthanasie que par des mesures «positives», souligne le préfet de la

Congrégation pour les Doctrine de la Foi. «Ce qui rend compréhensible, aux

yeux de beaucoup, la demande d’euthanasie, c’est l’effroi devant la

technologie de la mort», observe le cardinal, là où «le mourant est livré

aux appareils comme s’il était déjà un cadavre qu’il faut maintenir en vie.

L’homme, alors, risque fort de mourir seul avec ses problèmes.

Rome et les théologiens critiques

Le «sentiment antiromain» que l’on constate aujourd’hui dans certains

pays, entre autres dans le monde germanophone, a son origine, selon le

cardinal Ratzinger, dans des problèmes de communication et dans une

«insatisfaction à l’égard de Rome». Il ne faudrait cependant pas,

ajoute-t-il, négliger le fait qu’en Allemagne, notamment, «on prend plaisir

à rejeter Rome et à manifester son autonomie, et même à en tirer autant que

possible les conséquences». Ces tendances vont jusqu’à vouloir «bâtir un

tout autre christianisme, un christianisme ’bourgeois’, et à saisir pour

cela toutes les occasions qui se présentent». Or, il y a une différence

fondamentale entre «la prétention morale du christianisme et l’idée qu’on

se fait de la vie aujourd’hui».

Ceux qui pensent que la hiérarchie ecclésiale est en train de se couper

de sa base se trompent, insiste le cardinal Ratzinger. Les groupes qui

partagent cette opinion, constate-t-il, ont déjà leur place ou jouent un

rôle non négligeable dans les commissions, les instances administratives ou

dirigeantes, ou dans le monde académique. On ne peut donc pas admettre leur

prétention de s’identifier avec la «base». La grande majorité des prêtres

et des fidéles se sentent «en connivence avec l’Eglise catholique».

Quand à la Déclaration de Cologne, publiée en janvier dernier avec les

signatures de 163 théologiens catholiques critiquant l’autoritarisme et

l’excès de centralisation dans l’Eglise, le cardinal Ratzinger estime que

c’est une querelle montée en épingle, beaucoup estimant que l’heure était

venue de pousser Rome dans la défensive pour en tirer avantage. Mais on a

plutôt masqué les vraies questions, estime le cardinal.

La liberté indispensable de la théologie

Ce que déplore particulièrement le cardinal Ratzinger dans la

Déclaration de Cologne, c’est la globalisation des problèmes. «Il y a

aujourd’hui encore en Allemagne un grand nombre de théologiens, qui

peut-être ne sont pas toujours commodes, mais qui accomplissent un travail

positif et très important pour l’Eglise universelle.

L’Eglise, pour la théologie, ne représente pas une autorité

«antiscientifique», souligne le préfet de la Congrégation pour la Doctrine

de la Foi, et le magistère appartient à l’essence même de l’Eglise.

Affirmer cela n’équivaut nullement à restreindre la liberté scientifique

des professeurs de théologie. «Pour l’Eglise, la théologie, qui fait

l’objet d’un travail réel et méthodique et qui s’interroge et réfléchit en

profondeur sur la vérité est tout à fait essentielle. Dès lors, on ne peut

absolument pas supprimer la liberté de la théologie.»

Par ailleurs, le Saint-Siège n’est pas là pour corriger toutes les thèses aberrantes des professeurs de théologie, précise le cardinal Ratzinger.

On prêtait notamment au moraliste romain Caffarra l’assimilation de la contraception à un meurtre, ce que l’intéressé lui-même avait démenti. Revenant sur la question, le cardinal Ratzinger ajoute : «Il faut savoir faire

la différence entre l’enseignement du pape et l’enseignement académique.

Mais je m’insurge contre une identification entre Caffarra et le pape. Caffarra enseigne dans une institution pontificale, comme il y en a beaucoup à

Rome. «Et de s’étonner que l’opinion de Caffarra soit restée inaperçue pendant des mois et qu’on l’ait ressortie comme par hasard à un moment très

proche de la Déclaration de Cologne. Quant à savoir si le pape a l’intention de faire un dogme de l’encyclique «Humanae Vitae», le cardinal Ratzinger ajoute qu’il n’en sait rien.

Le fanatisme de Mgr Lefèbvre

Pourra-t-on un jour combler le fossé qui sépare, depuis son schisme, Mgr

Lefèbvre et l’Eglise catholique ? «Le cercle s’est tellement refermé sur

lui-même et Mgr Lefèbvre et ses partisans se sont si bien retranchés dans

une sorte de fanatisme de ceux qui croient être dans leur droit, que je ne

vois pas comment ça pourrait évoluer. Leurs opinions sont devenues assez

rigides. Ils disent qu’il faudrait entreprendre de nouvelles négociations,

mais dans le sens inverse de celles qui ont été entreprises : à présent,

c’est Rome qui devrait accepter les conditions d’Econe et abandonner le

’modernisme’ pour la ’tradition’.»

Quant aux «concessions» faites par Rome en faveur de la nouvelle

Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, fondée à Wigradzbad en Bavière pour

les prêtres traditionalistes qui entendent rester fidéles à l’Eglise

catholique, le cardinal Ratzinger trouve qu’elles ne vont «pas trop loin».

Elles ne «dépassent pas un pluralisme raisonnable, comme il y en a toujours

eu dans la période moderne décriée comme uniforme». «Si nous voulons un

tant soit peu que l’oecuménisme aboutisse à des résultats concrets, ajoute

le cardinal, nous devons nous accomoder de bien d’autres formes plus

exigeantes de pluriformité dans l’unité. Au lieu de «pousser les hauts

cris» et de voir dans les «concessions» faites aux catholiques

traditionalistes des «menaces pour l’unité et pour le Concile», on devrait

y voir «un test pour la capacité de réconciliation dans l’Eglise, capacité

qui semble malheureusement très faible».

Le courage des minorités

En ce qui concerne le rassemblement oecuménique européen à Bâle pour la

Justice, la Paix et la Sauvegarde de la Création, le cardinal Ratzinger se

réjouit que des chrétiens puissent ainsi s’engager en commun face au grands

défis actuels de l’humanité. «On ne peut que souhaiter instamment, dit-il,

que les chrétiens, surmontant leurs divisions, adoptent à partir de leur

foi une position commune dans cette mission éthique essentielle.»

Il ne faudrait pas pour autant qu’on en arrive à créer «une sorte de

parlement des religions». Cela ne ferait pas droit à la spécificité des

religions, «déséquilibrerait le rapport entre religion et politique et

provoquerait une fuite de la religion dans la politique, ce qui fausserait

et la religion et la politique».

Enfin, le cardinal Ratzinger ne croit pas que l’Eglise a perdu le

courage et l’ouverture qu’elle avait à l’époque du Concile Vatican II. Il

est faux de penser «qu’on est dans la ligne de Jean XXIII ou du Concile

quand on épouse tout ce qui passe pour moderne», précise le cardinal

allemand. Et il conclut : «Le courage, c’est aussi d’être non conformiste,

de s’opposer à quelque chose qui plaît à tout le monde, quitte à occuper,

sur le moment, une position minoritaire. Ce qui est décisif pour le monde,

en définitive, c’est toujours le courage des minorités, qui ont réellement

quelque chose à donner, et non n’importe quel phénomène de masse

superficiel.» (apic/cip/mg)

28 juillet 1989 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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