Saillon: Soeur Emmanuelle a sulfaté jeudi la «vigne à Farinet»

Un chèque pour les enfants des rues de Khartoum

Jacques Berset, APIC

Saillon (VS), 22 mai 2003 (Apic) Arrivée sur le coup de midi à bord d’un pimpant tacot décapotable de couleur verte, Soeur Emmanuelle a fait sensation, jeudi, à la «vigne à Farinet», au-dessus de la bourgade valaisanne de Saillon. La célèbre chiffonnière des bidonvilles du Caire était attendue par un groupe de fans et force journalistes pour sulfater «La Vigne de la Paix», propriété du Dalaï Lama.

Secondée par la main charitable du Genevois Michel Bittar, président de l’Association suisse des Amis de Soeur Emmanuelle, et par celle de Kamal Tadros, le diacre catholique soudanais qui supervise ses foyers pour orphelins à Khartoum, la frêle religieuse de 94 ans a rempli consciencieusement son devoir de «vigneronne». Avant de servir aux convives la soupe apprêtée dans un grand chaudron. Et de leur offrir aussi un grand message d’amour et de solidarité.

Croire en l’homme

«Je me sens un peu comme Farinet, confie-t-elle à l’Apic, car le combat est le même: Nous avons tous les deux voulu aider les plus pauvres, ceux que tout le monde méprise, c’est ce lien d’amour qui nous rattache. Un bandit au grand coeur ? Le mot ’bandit’ ne m’intéresse pas, les moyens qu’il prend, ce n’est pas mon affaire! Ce qui m’intéresse, c’est le coeur de l’homme, c’est de croire en l’homme et de se battre pour l’homme».

Accompagnée par les roulements de tambour, sulfateuse en mains, la facétieuse nonne a copieusement arrosé. la photographe et les trois ceps de la «plus petite vigne de la terre». Cette vigne fameuse, travaillée chaque année par des personnalités du monde entier, permet, grâce à la vente d’une dôle du Valais (assemblage pinot-gamay) appelée du «Sang de la Terre», l’octroi à des oeuvres humanitaires du Prix «Farinet» d’un montant de 20’000 francs suisses.

Ces trois ceps à la récolte miraculeuse sont même cadastrés par Berne, prétendaient jeudi les amis de Farinet, le faussaire au grand coeur qui distribuait il y a un peu plus d’un siècle sa fausse monnaie aux pauvres. Un grand coeur et un esprit libre, ce Farinet, tout comme Soeur Emmanuelle. Sauf que la religieuse française n’a pas été poursuivie à mort par les gendarmes dans les gorges de la Salentze. Pour faire vivre les milliers d’orphelins et d’enfants des rues qu’elle a recueillis dans ses foyers et ses fermes au Soudan, elle se contente de faire appel à la générosité du public.

«Au contact des pauvres, vous gardez une éternelle jeunesse»

Comme à l’accoutumée, le journaliste et écrivain Pascal Thurre, le maître des cérémonies qui a l’habitude d’inviter les grands de ce monde sur la colline dominant la bourgade moyenâgeuse pour leur communiquer un message de paix, de fraternité et de liberté, avait parfaitement réglé la chorégraphie. Au sommet du sentier balisé de vitraux qui mène à la fameuse vigne, on pouvait lire en grandes lettres sur la pierre: «Soeur Emmanuelle chez Farinet, la pauvreté plus forte que la monnaie!»

C’est Benjamin Roduit, président de la commune de Saillon, qui avait le premier salué la célèbre religieuse. Dans un bref discours empreint d’émotion, il a lui a dit: «Au contact des pauvres, vous gardez une éternelle jeunesse.En voyant votre visage, qui témoigne de tout ce qui peut transfigurer un homme ou une femme, c’est-à-dire l’amour, la charité, la joie, je me dis que nous allons vivre avec vous des moments privilégiés».

Moins de 25 centimes par jour pour nourrir un enfant au Soudan

Au nom de la municipalité de Saillon, il lui a remis un chèque. Il ne sera pas de trop pour financer les projets que les Amis de Soeur Emmanuelle soutiennent depuis 1986 au Soudan: dans ce pays où les fondamentalistes islamiques ont pignon sur rue, l’oeuvre de la religieuse n’a pas toujours la vie facile. Ainsi, il y a quelques années, Kamal Tadros a été jeté en prison et torturé. Aujourd’hui, le secrétaire de la Société Saint Vincent de Paul à Khartoum n’a pas renoncé à venir en aide aux enfants du Soudan.

«Depuis 20 ans, nous avons aidé des dizaines de milliers d’enfants des rues ou des orphelins rescapés de la guerre au Sud-Soudan, souligne pour sa part Michel Bittar, car avec moins de 25 centimes suisses par jour, on peut fournir un repas à ces enfants. Certains d’entre eux mettent même de côté un peu de nourriture pour en apporter à d’autres qui n’ont rien. Recueillis dans les rues à l’âge de 6 ou 7 ans, ils vont à l’école, sont soignés et hébergés dans des foyers et soutenus par des parents adoptifs. Déjà 170 d’entre eux vont à l’Université, c’est dire le chemin parcouru!». JB

Association suisse des Amis de Soeur Emmanuelle, 19, rue du Rhône, 1204 Genève

Tél. ++41 22 311 20 22 Fax ++41 22 310 21 93 Site internet: www.asase.org

Le bandit au grand coeur séduit Soeur Emmanuelle

A Saillon, au coeur du Valais, se perpétue la mémoire enjolivée du bandit bien-aimé, véritable «Robin des Alpes», symbole des libertés montagnardes. Pourchassé par la maréchaussée, il finit à 35 ans, le 17 avril 1880, au fond des gorges de la Salentze. Héros mythique et populaire en Valais, son souvenir a été ravivé l’année du centenaire de sa mort, en 1980, avec la création d’une vigne de 1,618 m2. Ses trois ceps ont été tour à tour la propriété de l’acteur Jean-Louis Barrault, de l’Abbé Pierre et du Dalaï- Lama.

Soeur Emmanuelle nous dit être séduite par le personnage de Farinet, qu’elle découvre, parce que cet homme a laissé parler son coeur. Pour elle, il ne suffit pas de se payer de mots, car l’amour se traduit en actes. Cette ancienne prof. au style pétulant, née Madeleine Cinquin en 1908 à Bruxelles, de père français et de mère belge, va enseigner les lettres et la philosophie sous le nom de Soeur Emmanuelle. Et ce durant 40 ans à Istanbul, Tunis, Alexandrie. A l’âge de la retraite, elle s’installera au milieu des chiffonniers du Caire, avant d’obéir enfin à ses supérieures, et de rentrer en France. à l’âge de 85 ans! (apic/be)

22 mai 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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