Un pays marqué par des siècles de domination et de dictatures

Rome: Le 100e voyage de Jean Paul II se déroule bientôt en Croatie

Rome, 30 mai 2003 (Apic) Jean Paul II s’apprête à repartir en voyage apostolique, cette fois-ci en Croatie, du 5 au 9 juin. Ce sera le 100e depuis le début de son pontificat et le troisième dans ce pays qui ne s’est pas encore relevé complètement de près d’un millénaire d’occupations diverses. Outre la béatification d’une religieuse croate, Marie Petkovic, le soutien politique de Jean Paul II à l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne est fortement attendu. Mais le pape devrait surtout insister sur l’urgence de la reconstruction sociale et religieuse d’un pays ruiné par plusieurs totalitarismes.

Sur place, les journaux locaux commencent déjà à parler de cette prochaine visite, soulignant particulièrement la fierté du pays d’accueillir le souverain pontife pour son 100e voyage. L’intégration européenne de la Croatie – prévue pour 2007 – sera le principal sujet de préoccupation du président de la République, le socialiste Stjepan Mesic, lorsqu’il rencontrera Jean Paul II le 5 juin à Rijeka, sur la côte adriatique. Pour leur part, les évêques du pays devraient insister sur la volonté de l’Eglise croate de participer à la reconstruction du pays.

Les deux dernières visites du pape en Croatie, – en 1994 et 1998 -, avaient été placées sous le signe de l’unité, du pardon et de la paix, quelques années après l’indépendance du pays – proclamée en 1991 – et dans le contexte délicat de la guerre contre les Serbes (1991-1995). Le prochain séjour de Jean Paul II sera l’occasion pour lui d’inviter les Croates à prendre de la distance avec leur passé et de s’occuper de l’avenir de la population et plus particulièrement de l’Eglise.

D’après les chiffres officiels, l’Eglise catholique de Croatie compte 3,77 millions de fidèles, sur 4,66 millions d’habitants – soit 80,9% de la population. Mais le pays déplore depuis quelques années un manque de vocations et une baisse sensible de la pratique religieuse. De nombreux prêtres arrivent toutefois encore de Bosnie-Herzégovine, où vit une bonne partie des catholiques croates – 17% de la population bosniaque. Ces derniers sont en effet aujourd’hui encore disséminés à travers tous les Balkans, en raison de l’histoire mouvementée de la région et d’importantes émigrations forcées.

1991: première indépendance depuis un millénaire

L’histoire de la Croatie est liée principalement à l’histoire du peuple croate, arrivé au 7e siècle des Carpates. Celui-ci fonda au 10e siècle un royaume indépendant de l’empire romain, mais un siècle plus tard, il entra dans une longue période de dominations, italienne, hongroise, turque, française, allemande et finalement communiste. Ce n’est qu’en 1991 que le pays a retrouvé son indépendance, pour la première fois depuis près d’un millénaire. Depuis, après une dernière guerre sanglante contre les Serbes de Yougoslavie, les Croates tentent d’apprivoiser leur nouvelle liberté.

Sur le plan religieux, la période de transition ne s’est pas faite sans difficultés. «Après les deux dernières dictatures nazies puis communistes, l’Eglise catholique a dû chercher à se libérer des vieux systèmes», a affirmé à l’Apic le père Petar, prêtre diocésain croate vivant à Rome. Après la guerre serbo-croate, «il faut, en plus de la reconstruction morale, reconstruire la plupart des églises détruites et s’occuper des réfugiés encore très nombreux». Sur ce plan, la Caritas – ONG catholique – de Croatie joue un rôle «très important», en particulier en raison du fait que l’Eglise catholique a toujours été considérée comme le symbole de l’unité du peuple croate. Jean Paul II aura particulièrement l’occasion d’encourager les diverses organisations humanitaires catholiques lors de son passage à Osijek et à Djakovo – proches de la province serbe de la Voïvodine -, le 7 juin, et à Dubrovnik – proche du Monténégro -, le 6 juin.

Un très fort sentiment nationaliste

«L’Eglise doit également transmettre un message d’ouverture aux Croates chez qui a circulé un très fort sentiment nationaliste», a estimé le père Petar. Pour lui, «il est légitime qu’il puisse y avoir une ferveur patriotique après plusieurs siècles de dominations et que l’on puisse enfin chanter librement un hymne national en portant fièrement le drapeau». Dans les paroisses reculées des campagnes ou des montagnes, il n’est pas rare, encore aujourd’hui, d’entendre des sermons teintés de couleurs politiques. «Mais il faut maintenant aller au-delà des sentiments en acceptant de se réconcilier avec nos ennemis, et passer à la pratique en luttant contre les maux sociaux du pays».

Parmi ces derniers, selon Stjepan Bagaric, conseiller de l’ambassade de Croatie près le Saint-Siège, se trouvent principalement la pauvreté, le chômage – qui a atteint le taux de 20,4% -, et la reconstruction des infrastructures civiles. «Le gouvernement actuel est le premier à être vraiment démocratique et à respecter la liberté politique», a-t-il expliqué à l’Apic. «Mais c’est pour nous une chose complètement nouvelle et il nous faut apprendre à assumer nos responsabilités». Ce catholique d’une cinquantaine d’années espère que la prochaine visite de Jean Paul II puisse être l’occasion d’encourager les laïcs à s’engager dans la vie sociale. La béatification de Marija Petkovic (1892-1966), le 6 juin sur le port de Dubrovnik, sera précisément l’occasion pour le pape de présenter son action caritative comme exemple pour tous les laïcs engagés dans la reconstruction sociale et religieuse du pays.

Conséquence du voyage sur la nation

Dans une lettre pastorale publiée ces derniers jours en vue de la visite de Jean-Paul II dans leur pays, les évêques catholiques de Croatie reconnaissent les conséquences que pourra avoir ce voyage pontifical, non seulement sur la vie de l’Eglise, mais aussi de la nation. Ainsi, écrivent- ils, le souverain pontife effectuera cette visite pour «nous aider à résoudre les nombreux problèmes qui font obstacle au progrès». Les évêques croates ont particulièrement tenu à placer cette visite sous le thème de «La famille, chemin de l’Eglise et de la nation». Commentant leur choix dans ce message, les prélats font notamment part de leurs inquiétudes face «à la grave crise démographique qui pourrait mettre en danger l’avenir de la Croatie, ainsi que sa capacité à être un interlocuteur de poids dans la communauté des nations européennes».

La candidature de la Croatie au sein de l’Union européenne sera en effet également à l’ordre du jour, en particulier à l’arrivée du souverain pontife en Croatie, lors de la cérémonie de bienvenue sur l’île de Krk – où se trouve l’aéroport. «Comme le Saint-Siège a soutenu la Croatie lors de son indépendance en 1991, nous espérons qu’il soutiendra notre pays dans son désir de participer à la construction de l’Union européenne», a expliqué à I.MEDIA Jelena, jeune Croate vivant à Rome. «D’ailleurs, pour les Croates, la Croatie est déjà, géographiquement parlant, dans l’Europe». La présence du Mgr Josip Bozanic, archevêque de Zagreb, comme vice- président du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe, est perçue comme un atout supplémentaire à cette intégration européenne.

La culture croate, un pont entre l’Europe occidentale et orientale

«La culture du peuple croate, d’origine slave mais de rite latin, pourrait être proposée par le souverain pontife comme un ’pont’ entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale», a affirmé pour sa part le père Petar. «Mais il nous faudra d’abord trouver un équilibre au sein du pays, pour faire face notamment au danger du consumérisme qui nous menace». Selon lui, il est notamment «urgent» de permettre une plus grande collaboration entre l’Eglise et l’Etat, en particulier concernant la situation des réfugiés se trouvant en-dehors des frontières. Jean Paul II devrait insister sur ce point lors de son prochain voyage, prévu le 22 juin à Banja Luka, la partie serbe de la Bosnie-Herzégovine, où la proportion de catholiques croates a diminué de près de deux-tiers par rapport aux années 80.

Le dialogue oecuménique sera un autre point sur lequel Jean Paul II devrait insister, après ses appels à la réconciliation avec les Serbes des Balkans – en majorité orthodoxes -, lors de ses précédents voyages en Croatie. Le métropolite serbe orthodoxe de Zagreb, Jovan Pavlovic, devrait notamment rencontrer le pape, le 7 juin à Osijek, marquant ainsi la volonté d’au moins une partie du Saint-Synode de Serbie de renouer avec l’Eglise catholique, après la guerre des années 90. Les Serbes, qui constituent aujourd’hui la plus importante minorité du pays avec 4,5% de la population de Croatie, avaient en effet accusé le Saint-Siège de favoriser cette guerre en reconnaissant l’indépendance de la Croatie, en 1991. Même si le patriarche serbe Pavle refuse toujours de rencontrer le souverain pontife, il a toutefois lui aussi montré des signes d’ouverture en envoyant des représentants au Vatican ces dernières années pour diverses occasions. AS

Encadré:

Marija Petkovic, 7e bienheureuse croate

Marija Petkovic (1892-1966) est originaire de Blato, sur l’île de Korcula en Croatie. A l’âge de 14 ans, elle décide de rentrer chez les Servantes de la Miséricorde. En 1919, alors qu’elle a seulement 24 ans, elle devient responsable du couvent, avant de fonder la Congrégation des Filles de la Miséricorde de saint François, première communauté franciscaine originaire de Croatie.

Elle consacre alors une partie de sa vie au service des orphelins et des pauvres en Dalmatie, avant d’être envoyée diriger un orphelinat en Voïvodine, -province qui se trouve actuellement en Serbie. Elle fonde par la suite de nombreux autres centres d’accueil pour enfants en Croatie, Voïvodine, Macédoine et Serbie.

Alors que la Congrégation s’étend jusqu’en Amérique latine, Mère Marija Petkovic se rend en Argentine de 1940 à 1952 pour poursuivre son oeuvre auprès des enfants, dans les écoles et les hôpitaux. Elle meurt à Rome où elle était rentrée après avoir quitté sa charge de supérieure de l’ordre. Celui-ci compte aujourd’hui quelque 450 soeurs, présentes dans douze pays sur trois continents. AS

Rome: Programme du 100e voyage de Jean-Paul II:

A Rijeka, Zadar, Dubrovnik, Osijek et Djakovo

Rome, 30 mai 2003 (Apic) Au cours de ses cinq jours de voyage – le plus long qu’il n’ait jamais effectué en Croatie -, Jean Paul II ne perdra pas de temps. En effet, du 5 au 9 juin, il visitera cinq villes différentes : Rijeka, Zadar, Dubrovnik, Osijek et Djakovo. A l’issue de son 3e séjour en Croatie, il aura ainsi visité tous les diocèses du pays, en 25 ans de pontificat.

Jean Paul II partira le 5 juin de Rome à 15h30 pour atteindre Rijeka, à l’Ouest du pays, sur la côte Adriatique et non loin de la frontière Slovène. A Rijeka, là où il passera les quatre nuits de son séjour, le pape sera accueilli à 16h45 par le président Stipe Mesic ainsi que par les autorités politiques et religieuses de ce pays à majorité catholique. Après son discours sur le tarmac de l’aéroport, Jean-Paul II sera transféré en catamaran jusqu’au grand port de Rijeka avant d’accueillir le président pour une visite privée au sein du séminaire diocésain.

Dubrovnik, l’ancienne Raguse

Le lendemain matin, le souverain pontife partira à 8h45 pour son premier transfert en avion, en direction de Dubrovnik, l’ancienne Raguse. Cette ville splendide fondée au 7e siècle et riche d’un grand patrimoine culturel est située à l’extrême sud du pays, sur la côte dalmate. Sur la grande place du port, il y béatifiera à 11h00, soeur Marija de Jésus Crucifié Petkovic, fondatrice de la Congrégation des filles de la miséricorde. A l’occasion de son passage dans cette petite ville médiévale redevenue très touristique après la guerre, Jean-Paul II devrait insister sur l’importance de conserver l’identité chrétienne du pays malgré les fortes pressions du consumérisme. Après une après-midi de repos à Dubrovnik, le pape regagnera Rijeka en début de soirée.

Le samedi 7 juin, nouveau transfert d’une heure en avion, cette fois en direction d’Osijek et Djakovo, à l’Est du pays. Le pape célébrera une messe à Osijek à 10h45 sur le terrain de l’aéroport. Après une nouvelle après- midi de repos, il se rendra à la cathédrale de Djakovo pour une visite privée et, à 18h10, il reprendra l’avion en direction de Rijeka.

Rencontres avec les évêques et le premier ministre de Croatie

Le dimanche, Jean Paul II restera sur place et célébrera une messe au bord du delta de Rijeka. Il accueillera ensuite, lors d’un repas, les évêques de la Croatie. Une rencontre avec le premier ministre Ivan Racan est prévue à 17h30, avant une visite privée au sanctuaire de Notre Dame de Trsat. Ce sanctuaire est le plus ancien sanctuaire marial de Croatie et aurait, selon la tradition, accueilli la maison de Joseph et Marie, ramenée de Palestine en 1291, avant que cette dernière ne soit transférée au sanctuaire italien de Notre-Dame-de-Lorette. Ce sanctuaire de Trsat a joué un rôle essentiel dans la construction de la culture croate.

Le lundi 9 juin, dernier jour du voyage, le pape fera une ultime escale à Zadar, une ville située entre Rijeka et Dubrovnik, sur la côte Adriatique. Après une brève célébration de la parole prévue à 11h10, le souverain pontife prononcera encore quelques mots à l’aéroport de Zadar avant de prendre l’avion pour Rome où il devrait arriver vers 14h15.

Polémique sur les coûts du voyage

Une polémique a déjà surgi quand au coût de la visite pontificale, dans un pays où l’économie a du mal à se relever. Au total, les cinq villes qui accueilleront Jean Paul II ont reçu environ trois millions d’euros de l’État, soit beaucoup moins qu’elles ne l’espéraient. En 1998, la visite du souverain pontife de deux jours avait coûté près de 30 millions d’euros, d’après la presse croate qui relate les faits.

La décision du gouvernement de réduire les aides arrive après que les autorités locales aient aménagés à grands frais les lieux qui accueilleront le pape. Ainsi, à Osijek, par exemple, un autel d’acier et de béton spécialement conçu pour l’occasion a coûté à lui seul environ 760 000 euros. D’autres grands aménagements du genre ont été faits dans les autres villes. (apic/bb/imedia)

30 mai 2003 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 9  min.
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