Sénégal: La dépigmentation fait sensation chez les étudiantes de Dakar
Devenir «négresse blanche» pour être belle
Dakar, 24 août 2003 (Apic) La dépigmentation fait sensation chez les étudiantes de l’Université de Dakar. La pratique consiste à se débarrasser du pigment, une substance qui colorie la peau des noirs, pour avoir un teint blanc comme les métisses ou les Européennes. Une pratique catastrophique pour la santé, dénoncent les dermatologues.
A la cité «Aline Sitoé Diatta» de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), où sont hébergées les étudiantes, le phénomène est frappant à l’oeil nu. On y croise à longueur de journée des femmes défigurées par les produits chimiques utilisés pour la dépigmentation. Elles sont surnommées les «négresses blanches». Elles sont encouragées, dans la pratique, par l’accès facile aux produits dépigmentant. Le coût varie entre 500 francs CFA (environ 1,2 Frs) et 40’000 francs CFA (environ 100 Frs). Tout dépend du teint qu’on veut obtenir, explique une étudiante, Fatou Kiné.
Selon elle, le produit de dépigmentation peut être obtenu en mélangeant de l’eau de Javel, un diluant cellulosique, du gel Magnon, du savon artisanal et de l’acide. Un cocktail nocif pour la peau, selon les spécialistes. Malgré tout, Fatou Kiné et beaucoup ses camarades sont obnubilées par la blancheur. Elles ne font la dépigmentation que pour des raisons esthétiques: se faire belle, élégantes et être admirées. Les conséquences pour leur santé ne les effrayent pas. «Nous sommes conscientes que les produits que nous utilisons sont le plus souvent toxiques parce que destinés à d’autres usages. Mais nous n’avons pas le choix, c’est moins cher et c’est plus efficace», a déclaré Fatou Kiné à l’Agence de Presse Sénégalaise (Aps).
Boutons, vergetures, cicatrices, taches
Selon Khalil Ndiaye, dermatologue au Centre des Oeuvres universitaires de Dakar (Coud), les étudiantes qui cherchent à changer leur couleur de peau sont nombreuses. Elles frappent souvent à sa porte pour se plaindre de «petits boutons» tantôt sur le visage, tantôt sur le dos. Elles se plaignent également de «grosses vergetures» à l’avant-bras. Elles portent parfois des lunettes noires à cause des taches brunes ou noires au visage. Le Dr Ndiaye n’a pas fourni de chiffres sur le nombre de consultations pour de tels problèmes.
La dépigmentation, à l’Ucad, touche toutes les classes sociales et tous les degrés universitaires. Amina, étudiante d’une vingtaine d’années, a vu son beau teint noir fortement détérioré par des cicatrices claires, à travers tout le visage. Une énorme tache brune recouvre une partie des lèvres. Son cou présente de petits boutons qui suppurent et lui causent de temps en temps des démangeaisons. Elle a tenté plusieurs traitements, sans succès. Sur les conseils de l’une de ses amies, elle a consulté un dermatologue. Celui-ci l’a immédiatement demandé d’arrêter les produits de dépigmentation, ce qu’elle a accepté. En attendant de retrouver son teint naturel, elle se couvre le visage d’un foulard pour cacher son teint «désuni».
«Notre corps nous appartient et ce n’est pas parce que nous sommes étudiantes que nous devons nous imposer des interdits», a fait remarquer Khady, une autre étudiante. «Cela ne nous dérange pas qu’on nous indexe, il faut être folle pour se laisser aller», souligne-t-elle, ajoutant que «la concurrence est rude entre les femmes pour trouver un mari maintenant, surtout que les hommes ont peur des femmes instruites».
Certaines étudiantes trouvent des excuses à se changer la couleur de peau. C’est le cas de Mame Sène qui s’est justifiée par le fait que c’est pour «enlever les taches brunes». Car l’hydroquinone qu’elle utilise «n’est mauvais pour la santé que quand on en abuse, sinon il permet d’avoir un teint clair et éclatant».
La faute aux hommes, qui préfèrent les claires
Haby rejette la faute sur «les hommes qui ne regardent que les femmes de teint clair». En plus, le maquillage, «sied plus aux filles claires qu’aux noires. Lorsque nous sortons en groupe, les étudiantes dépigmentées sont plus en vue», souligne-t-elle.
Il existe encore des étudiantes qui ne changeraient pour rien leur teint d’ébène. Elles rejettent tous les arguments utilisés pour changer de couleur de peau. «Nous ne devons pas être complexées de notre couleur, mais plutôt en être fières», a déclaré l’une d’elles, Gnagna. «C’est déplorable que des étudiantes, qui doivent sensibiliser les autres, se dépigmentent», a regretté Oulèye, une autre étudiante. Aïssata, pour sa part, est au bord de l’indignation. «Souvent, je me demande l’utilité de notre venue à l’université, ce temple du savoir qui a pour devise ’lux mea lex’ (la lumière est ma loi)». (apic/ibc/bb)