Saint Maurice a existé: c’est l’évêque Théodore qui l’a inventé
Fribourg: Le Colloque pour les 1700 ans du martyre de St-Maurice réunit 30 spécialistes
Bernard Bovigny, agence Apic
Fribourg, 17 septembre 2003 (Apic) Le colloque organisé à l’occasion des 1700 ans du martyre de saint Maurice s’est ouvert mercredi matin à l’Université de Fribourg. La centaine de participants, dont près de 30 intervenants, ont abordé d’entrée la question de l’historicité de ce saint vénéré dans toute l’Europe.
L’existence de saint Maurice ne peut être remise en cause. A preuve les plus de 50 paroisses qui lui sont dédiées en Suisse, les 60 localités en France qui portent son nom, et les nombreuses communautés religieuses en Europe perpétuant son souvenir et son oeuvre de fidélité au Christ. Mais pour ce qui est de la véracité historique de son martyre, daté traditionnellement en 303 à Agaune, l’actuel St-Maurice, les spécialistes qui ont introduit le colloque de Fribourg ont unanimement exprimé un sérieux doute, si ce n’est une réfutation claire.
L’historien français Jean-Michel Carrié, qui a ouvert les feux du colloque, a notamment cité quatre éléments ou faits historiques qui ont bâti le personnage de saint Maurice. D’une part, les Thébains étaient renommés pour leur bravoure et leur intégrité. Cette réputation est venue d’un vaillant combat d’Egyptiens contre les Goths vers 379 à Philadelphie de Lydie. Cet événement, attribué par la suite à des Thébains, les a portés en hérauts de la lutte contre les hérétiques. Ensuite, la date de 303 correspond à la persécution des chrétiens ordonnée notamment par l’empereur Maximien, qui partageait le pouvoir dans l’empire romain avec Dioclétien et le «césar» Constance Chlore. Enfin, il semble que de nombreux chrétiens de l’époque aient refusé soit de servir dans les troupes romaines, soit de sacrifier au culte des idoles. Additionnez ces trois éléments historiques et le personnage de saint Maurice apparaît dans touts sa splendeur.
Des évêques «créateurs de martyrs»
Jean-Michel Carrié a son explication quant au récit de l’apparition d’une troupe thébaine à Agaune et de son martyre. L’événement relatif au combat des Egyptiens contre les Goths aryens parvient aux oreilles de saint Ambroise, évêque de Milan, connu comme un «créateur de martyrs». Ce dernier enjolive l’épisode et soutient que les ancêtres de ces combattants avaient autrefois défié l’empereur, ce qui fait apparaître l’hypothèse des martyrs de la légion thébaine. En 380, Ambroise transmet le récit à son confrère Théodore, évêque d’Octodure, l’actuel Martigny, qui l’a certainement adapté à la dimension locale.
Le récit de Théodore a ensuite inspiré la «Passion des martyre d’Agaune», rédigée au 5e siècle par l’évêque Eucher de Lyon. Ce dernier affirme que la légion thébaine était venue soutenir l’empereur Maximien dans la persécution des chrétiens, avant de refuser de passer à l’acte et de se faire massacrer pour refus d’ordre. Pour un autre auteur à peu près de la même époque, mais resté anonyme, Maurice et ses compagnons étaient venus combattre vers 285 les Bagaudes, un peuple de paysans gaulois qui s’était soulevé contre la domination romaine au 3e siècle.
Une région confiée à un ami des chrétiens
Joachim Szidat, professeur d’histoire ancienne à l’Université de Fribourg, a amené un autre élément insinuant le doute sur l’historicité du martyre d’Agaune. Le conférencier attribue avant tout à l’empereur Maximien la responsabilité de la grande persécution des chrétiens en 303. La preuve: ce sont les régions de l’empire confiées à son pouvoir qui ont été le théâtre des plus importants massacres de l’époque. Or, ce n’était pas le cas de la région d’Agaune, soumise au «césar» Constance Chlore, connu pour sa grande amitié avec les chrétiens. Selon Joachim Szidat, le récit de saint Maurice par l’évêque Eucher ne respecte pas la chronologie historique de cette période et en particulier de la persécution des chrétiens dans l’empire romain. Ce qui remet sérieusement en question la véracité historique de l’événement. BB
Encadré:
Un rayonnement extraordinaire en Europe
Malgré une historicité plus que douteuse, rares sont les martyrs chrétiens qui peuvent prétendre à un rayonnement aussi important que saint Maurice, rappellent les organisateurs du colloque dans leur documentation. Déjà en 370, soit bien avant le récit de l’évêque Eucher, une chapelle a été édifiée en son honneur par Théodore, l’évêque d’Octodure. Et ce, à un endroit stratégique idéal pour propager la vénération du saint martyr. L’étroit défilé du Rhône était un passage obligé de nombreux voyageurs. Le culte n’a donc pas tardé à rayonner le long du Rhône en France, en Allemagne et en Italie, puis dans la plupart des pays européen. Très rapidement, les cathédrales de Vienne en France, de Tours et d’Angers lui sont dédiées.
Dès le 12e siècle, Maurice devient le saint militaire par excellence. On retient alors davantage sa bravoure guerrière que son refus de servir! Il est également devenu le saint patron de la Garde suisse pontificale.
La trajectoire du culte à saint Maurice a également pris une dimension intéressante dans les familles régnantes en Europe et en particulier en Allemagne. En 672 déjà, les rois francs s’adonnent à son culte. Sous le règne des empereurs saxons, Maurice prend la première place parmi les patrons de l’Empire. Un réseau de diffusion de sa vénération part alors de Magdebourg, dont la cathédrale abrite une statue du saint martyr haute de 150 cm et bâtie vers 1240, pour s’étendre à l’ensemble de l’Allemagne. Il est intéressant de noter, comme l’a rappelé le professeur Jean-Jacques Aubert, que le Thébain d’Agaune revêt une nouvelle réputation de combattant contre les Slaves, symboles du mal en Allemagne. BB
Encadré:
Le colloque se déplace vendredi en Valais
Le colloque, organisé par l’Université de Fribourg, en partenariat avec l’Université de Zurich et l’Abbaye de Saint-Maurice, est ouvert au public sur inscription. Une série de conférences scientifiques, historiques, théologiques et des discussions, en français et en allemand, se déroulent encore le 18 septembre à Fribourg. Puis les participants se déplaceront les 19 et 20 septembre en Valais. Ils se rendront à Vérolliez, Saint-Maurice et Martigny, pour une série de visites et de conférences sur les lieux où, selon la tradition, ont été stationnés saint Maurice et sa légion.
(apic/bb)