Etats-Unis: Campagne d’organisations juives contre «La Passion du Christ»

Le film de Mel Gibson déchaîne les passions

Washington/Rome, 18 février 2004 (Apic) A une semaine de sa sortie sur les écrans du monde entier, le film de Mel Gibson décrivant les douze dernières heures de la vie de Jésus déchaîne les passions. Des organisations juives américaines ont déclenché une véritable campagne contre «La Passion du Christ», que les spectateurs pourront voir le 25 février, Mercredi des Cendres. Même le Vatican est interpellé, tandis que Gibson rejette toute accusation d’antisémitisme.

Abraham Foxman, directeur de la puissante Ligue anti-diffamation ADL, l’une des plus importantes organisations juives américaines de lutte contre l’antisémitisme, a demandé au Vatican de faire savoir aux catholiques du monde entier que le film de Mel Gibson – un homme appartenant à un courant ultratraditionaliste du catholicisme – est sa vision des choses et non celle de l’Eglise romaine. Foxman était à Rome du 16 au 18 février pour faire entendre les critiques juives dans le cadre d’une conférence européenne sur l’antisémitisme.

L’ADL n’est pas la seule organisation à dénoncer le film de Gibson, qui lui a coûté quelque 25 millions de dollars: l’American Jewish Committee et le Centre Simon-Wiesenthal sont également descendus dans l’arène. Les organisations juives ont obtenu que soit retirée cette phrase, citée par Saint Matthieu, que la foule de Jérusalem lance à l’adresse de Pilate: «Que son sang soit sur nous et sur nos enfants».

Mise en garde contre les stéréotypes véhiculés par le film

Les catholiques engagés dans le dialogue avec le monde juif mettent également en garde contre les stéréotypes véhiculés par le film. «C’est le pire exemple d’antisémitisme religieux depuis vingt-cinq ans», affirme ainsi le Père John Pawlikowski, président américain du Conseil international des chrétiens et des juifs (ICCJ). On regrette vivement que le film de Gibson ressorte la conception archaïque – abandonnée depuis le Concile Vatican II – faisant du peuple juif un peuple «déicide».

Sans avoir encore pu juger sur pièces, de nombreux juifs craignent que le film «La Passion du Christ» basé sur le récit des Evangiles, mais aussi sur la vision d’une religieuse mystique du 19e siècle (Anne-Catherine Emmerich, née en 1774 et morte en 1824), ne provoque des réactions antisémites et ne fasse reculer le dialogue entre les juifs et les catholiques. Le risque est grand que ce film – affirment les critiques – provoque chez les spectateurs des sentiments antijuifs, comme le faisaient au Moyen Age les représentations populaires des jeux de la Passion du Christ.

«Ce film donne des juifs l’image d’un peuple vengeur et assoiffé de sang»

Abraham Foxman affirme que ce film donne des juifs l’image d’un peuple vengeur et assoiffé de sang. «C’est la version de l’Evangile de Mel Gibson.. Mais il la promeut comme la vérité de l’Evangile», a déclaré Foxman dans une interview accordée à l’agence de presse Reuters à Rome. Et de déplorer que Gibson trahisse la déclaration du Concile Vatican II rejetant l’idée de culpabilité collective des juifs pour la mort de Jésus, et que sa vision «médiévale du déicide» sera vue par des millions de spectateurs.

«J’ose espérer que le Vatican va se lever pour défendre sa doctrine, parce qu’en fait, le film présente une interprétation qui contredit ce que l’Eglise catholique a enseigné ces 40 dernières années», a-t-il relevé, en faisant notamment allusion à la Déclaration Nostra Aetate, sur l’Eglise et les religions non chrétiennes, publiée le 28 octobre 1965.

Le film de Mel Gibson est lancé par un effort de marketing sans précédent, mais le catholique ultratraditionaliste reçoit paradoxalement l’appui de nombreux mouvements et Eglises évangéliques fondamentalistes. Si des responsables juifs américains ont vivement dénoncé l’engagement de ces communautés chrétiennes conservatrices dans la promotion de ce film controversé, d’autres craignent le choc en retour de la part de ces alliés traditionnels et convaincus, quand il s’agit de la défense des intérêts d’Israël ou de la dénonciation du fondamentalisme islamique.

Eviter une confrontation avec les milieux évangéliques proches d’Israël

Pour éviter une confrontation avec ces milieux qui sont d’ordinaire proches des intérêts de la communauté juive américaine et d’Israël, Abraham Foxman a révélé avoir sollicité l’aide de deux leaders évangéliques. Franklin Graham, responsable de la «Billy Graham Evangelistic Association», et le militant républicain conservateur Gary Bauer, candidat à la présidence en l’an 2000, assistent désormais l’ADL pour faire en sorte que le film ne soit pas mal interprété dans les milieux évangéliques ou utilisé comme un outil antisémite. Le célèbre évangéliste Billy Graham a lui-même déclaré que le film était pour lui l’une des descriptions les plus puissantes des dernières heures du Christ qu’il ait jamais vue. D’autres leaders protestants conservateurs ont également applaudi le film de Gibson.

Un outil de catéchèse et beaucoup de marketing

Des Eglises évangéliques ont réservé partout des salles de cinéma, comme par exemple à Plano, au Texas, où des baptistes ont loué un cinéma entier muni de 20 écrans multiplex pouvant accueillir 6’000 personnes pour la première du film. Par ailleurs, des organisations évangéliques américaines vendent des entrées sur leur site internet et des pasteurs préparent des sermons (dont le plan est fourni gratuitement clé en mains) qui coïncident avec la sortie du film le Mercredi des Cendres. Nombre de pasteurs estiment que ce film représente une chance d’utiliser les techniques de communication modernes pour transmettre la vérité de la Bible.

Aux Etats-Unis, l’Association nationale des Evangéliques, qui représente plus de 50 dénominations protestantes regroupant plus de 40’000 paroisses, a créé un lien sur internet pour acheter des billets d’entrée pour le film. Le succès a été tel qu’il n’y déjà plus de billets disponibles sur son site. D’autres sites internet évangéliques ou catholiques – comme www.thepassionoutreach.com ou www.seethepassion.com – font l’éloge du film et invitent les chrétiens à se rendre en masse au cinéma.

Toute une série de produits dérivés – DVD, Nouveaux Testaments illustrés, épinglettes avec inscription en araméen (langue utilisée dans le film, avec le latin), bijoux, prières, publications en rapport avec le film – sont déjà en vente. Les promoteurs veulent faire de ce film un outil de catéchèse.

Gibson: pas question de blâmer les juifs pour la crucifixion et la mort du Christ

Mel Gibson affirme que son intention n’est pas de blâmer les juifs pour la crucifixion et la mort du Christ, mais de promouvoir la foi et l’espérance, l’amour et le pardon. Et d’affirmer aux médias américains que le racisme comme l’antisémitisme sont un péché, qu’ils sont contraires à sa foi chrétienne. «Etre antisémite n’est pas être chrétien et je ne le suis pas». (pour plus d’infos: voir le site internet www.thepassionofthechrist.com)

De leur côté, les évêques américains ont préparé un livret de 150 pages, intitulé «La Bible, les juifs et la mort de Jésus», qui sera disponible ces prochains jours dans tous les diocèses des Etats-Unis. Ils rappellent aux catholiques la position du Vatican et de toute l’Eglise catholique romaine: les juifs ne sont collectivement responsables des tortures et de la mort infligées au Christ.

Encadré

Moins d’un Américain sur dix pense que les juifs sont responsables de la mort du Christ

Moins d’un Américain sur dix pense que tous les juifs sont responsables de la mort de Jésus, selon un sondage de la chaîne de télévision américaine ABC News. Selon le quotidien «The Jerusalem Post» de mercredi 18 février, Mel Gibson a supprimé une scène dans laquelle des juifs acceptent la responsabilité de la mort de Jésus après l’avoir livré aux Romains, suite à une campagne de la puissante Ligue anti-diffamation ADL, l’une des plus importantes organisations juives américaines de lutte contre l’antisémitisme.

L’ADL estime que le film peut provoquer des réactions antisémites. Selon ce sondage, près des deux tiers des Américains interrogés ont une conception très littérale de la Bible; ils croient à l’histoire de Moïse fendant les eaux de la Mer Rouge, au récit de l’Arche de Noé et à la création du monde en six jours. (apic/bbc/cns/kna/be)

18 février 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
Partagez!