Le Portugal signera un nouveau concordat

Rome: Relations entre le Saint-Siège et le Portugal

Rome, 14 mai 2004 (Apic) Le Portugal signera un nouveau concordat avec le Saint-Siège, le 18 mai 2004. Après trois ans de travail, ce texte devrait modifier la situation fiscale de l’Eglise et de ses membres, le statut des aumôniers militaires et traiter de la question du divorce devant les tribunaux ecclésiastiques.

La réforme du concordat portugais, signé en 1940 par le régime dictatorial de Salazar, était souhaitée depuis la révolution des oeillets de 1974 et l’instauration de la République. Mais le concordat était une sorte d’icône: ni l’Etat ni l’Eglise n’osaient véritablement y toucher. Ainsi, le concordat de 1940 ne sera pas révisé, mais ajourné dans ses principes généraux. Le texte est cependant gardé secret jusqu’à sa signature par le Premier ministre portugais et son «homologue» au Vatican, le cardinal Angelo Sodano.

Si le Portugal est un Etat laïc, selon sa constitution de 1976, l’Eglise était encore la seule confession du pays à détacher des aumôniers auprès de l’armée.

Les religieux catholiques ne payaient aucun impôt sur le revenu, même s’ils exerçaient une activité rémunérée dans la fonction publique comme professeur de religion et de morale à l’école. Le cardinal José Policarpo, archevêque de Lisbonne et président de la Conférence épiscopale portugaise, très investi dans ce projet de révision du concordat, estimait, qu’il fallait adapter les articles du concordat «dépassés et anticonstitutionnels», comme ceux traitant des colonies portugaises qui n’existent plus.

Le 23 avril 2001, Jean Paul II avait reçu en audience le ministre portugais des Affaires étrangères, Jaime Gama, venu à Rome pour engager les travaux de révisions du concordat. Celles-ci ont été conduites par Pedro José Ribeiro de Menezes, l’ambassadeur du Portugal auprès du Saint-Siège, arrivé à Rome quelques mois avant le début des pourparlers.

Disponibilité du Saint-Siège

C’est avec ce dernier que le pape avait évoqué le projet de révision du concordat, le 13 novembre 2000, à l’occasion de la remise de ses lettres de créances. Jean Paul II l’avait assuré de la «disponibilité du Saint- Siège», dans la mesure où le nouveau concordat permettrait de continuer à entretenir des «relations respectueuses» dans un «désir commun d’oeuvrer en faveur d’une plus grande dignité de l’homme».

Le Portugal a cependant déjà franchi un premier pas vers une nouvelle législation religieuse en 2001, avec le vote d’une loi concernant les confessions minoritaires du pays, qui ne jouissaient jusque-là d’aucun statut juridique. Ce texte comprend des dispositions pour les objecteurs de conscience et l’observation de jours de repos religieux, comme la reconnaissance, sous certaines conditions, du droit d’être dispensé de travail, d’école ou d’examens un jour de culte. D’autres articles comprennent la reconnaissance des mariages célébrés par le clergé non catholique, ainsi que l’exonération fiscale pour toutes les organisations religieuses.

Aujourd’hui deux tiers des Portugais se déclarent catholiques, mais la société se sécularise (25 % des Portugais déclarent aller à la messe régulièrement et 1/3 des mariages ne se font plus à l’Eglise). Si l’influence de l’Eglise se réduit peu à peu, le clivage entre un nord fortement catholique et un sud déchristianisé est encore d’actualité.

En témoigne la question de l’avortement, relancée en février 2004, autour du procès de 17 personnes accusées d’infraction à la loi et acquittés. En 1998, les résultats du référendum sur la libéralisation de l’avortement avaient largement divisé le pays (le Portugal a autorisé l’avortement en 1984, mais sa législation demeure l’une des plus restrictives d’Europe avec celles de l’Irlande et de la Pologne). Si les «oui» et les «non» s’étaient à peu près équilibrés sur l’ensemble du pays, les districts du nord avaient majoritairement voté «non» et ceux du sud «oui». Mais les 70 % d’abstentionnistes avaient provoqué l’invalidation du référendum.

La politique concordataire est toujours d’actualité, même dans l’Union européenne

Le Portugal, qui signe un nouveau concordat avec le Saint-Siège, le 18 mai 2004, n’est qu’un exemple d’Etat européen ayant des accords particuliers avec Rome. Si le premier concordat de l’histoire fut celui de Worms (1122), 882 ans plus tard, ces conventions qui ont bien évolué, restent d’actualité.

Les accords concordataires contemporains ne relèvent plus du «césaropapisme» des siècles passés. Le cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’Etat du Saint-Siège, dans une préface d’un ouvrage consacré aux concordats, publié en 2003, écrit que «le Saint-Siège promeut aujourd’hui des voies nouvelles de collaboration, rendant ainsi à César ce qui est à César et demandant par contre à César de donner à Dieu ce qui est à Dieu», selon les célèbres paroles de l’Evangile.

Pour être le plus célèbre et le plus reçu dans le vocabulaire internationaliste, le terme générique de concordat n’est pas le seul utilisé dans la pratique. En effet, le vocabulaire juridique est dense pour désigner tous ces accords, amendements et conventions qui, appartenant au droit concordataire, gèrent les relations spirituelles et temporelles entre l’Eglise et les Etats.

En ce domaine Jean Paul II a beaucoup oeuvré, signant 91 accords de ce type depuis le début de son pontificat. Pourtant, après le Concile Vatican II, beaucoup d’observateurs avaient estimé que l’heure des temps concordataires avait sonné. Un discrédit semblait jeté sur ces systèmes, qui face à l’Aggiornamento de l’Eglise semblaient être le symbole périmé du pouvoir temporel de l’Eglise.

Pourtant, Paul VI démontra le contraire en signant une trentaine d’accords durant ses 15 ans de pontificat, plus que Pie XII et Jean XXIII réunis. Quant à l’importante politique concordataire de Jean Paul II, elle doit être mise en parallèle avec sa diplomatie active et les 83 pays qui sont venus grossir le corps diplomatique près le Saint-Siège depuis 1978.

Pour le professeur Philippe Levillain, spécialiste de la papauté interrogé par I’Apic, «un concordat aujourd’hui tisse des liens singuliers entre le Saint-Siège et un pays. Mais ce sont avant tout des liens juridictionnels qui permettent de discuter des questions diverses sur des bases juridiques et nullement des textes accordant des privilèges à l’Eglise et imposant un caractère confessionnel à un Etat».

Durant le pontificat de Jean Paul II, beaucoup d’Etats européens ont signé des accords avec le Saint-Siège, soit qu’ils aient rénové leurs anciens concordats (Italie, Espagne, Portugal), soient qu’ils aient repris une antique tradition interrompue (Pologne, Lettonie, Lituanie), ou qu’ils aient nouvellement opté pour ce système (Estonie). Dans cette géographie des concordats européens, il ne faut pas oublier les Länder allemands, autonomes en matière de politique religieuse, qui, depuis vingt ans, ont aussi signé de nombreux accords avec Rome.

Aujourd’hui 19 des 25 pays membres de l’Union européenne ont des législations de type concordataire (la République tchèque a signé un accord général en 2002, mais il n’est toujours pas ratifié par son Parlement). Ces politiques religieuses rentrent désormais dans le cadre du droit européen et la plupart des dix nouveaux pays membres ont signé des accords avec le Saint-Siège, mais avant leur entrée dans l’Union.

«La politique concordataire a été nécessaire pour assurer la liberté de l’Eglise dans des régions difficiles, comme les pays de l’ex-bloc de l’Est. La signature d’accords est toujours recherchée dans des pays politiquement instables, même si aujourd’hui la garantie de la liberté religieuse dans le monde passe d’avantage par les organisations internationales», estime le Père Bernard Ardura, secrétaire du Conseil pontifical pour la culture et spécialiste de ces questions, interrogé l’Apic.

«Aujourd’hui, explique-t-il, avec les structures de l’Union européenne, les concordats sont moins nécessaires, car l’Union garantie les droits fondamentaux. Mais des accords partiels sont toujours utiles par pays, en dehors des questions de subsides à l’Eglise, mais sur des sujets comme celle des aumôniers militaires et scolaires».

Pierre angulaire

La pierre angulaire de la législation religieuse de la future Union européenne est le titre VI du projet constitutionnel européen relatif au concept de «vie démocratique de l’Union» et son article I-51 consacré au «Statut des Eglises et des organisations non confessionnelles» qui stipule que «L’Union respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Eglises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres». Ce qui semble écarter la perspective d’un «discordat» entre l’Union et le saint-Siège.

Cet article est un «cheval de Troie» estime pour sa part un juriste italien, sous couvert d’anonymat. «C’est une question subtile, liée à la question du préambule de la future constitution et à la reconnaissance des racines chrétiennes de l’Europe. L’article 51 a, en vérité, bien plus d’importance pour le Saint-Siège. Si l’Union refuse le thème des racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de sa constitution, les accords concordataires démontreront bien le contraire», estime ce juriste spécialiste en droit international.

«L’Eglise n’est pas l’initiatrice de l’article 51», rétorque le Père Ardura. «Il concerne toutes les Eglises et communautés et même, si un Etat le désir, les sectes». «Le fait que de nombreux pays de l’Union aient des accords avec le Saint-Siège est l’évidence même, car l’Europe est marquée, entre autres et de façon prépondérante, par le christianisme».

A termes, le droit communautaire pourrait se confronter avec les législations concordataires des Etats dont certaines dispositions pourraient devenir incompatibles avec les règles européennes. En effet, les questions religieuses croisent des domaines de compétence européens comme le droit du travail, le droit fiscal et le droit social, le droit des médias et le droit des cultures, ainsi que d’autres matières dont le nombre ne cesse de croître. Si pour le père Ardura la législation européenne est en constante évolution, le droit concordataire aussi, et en matière juridique «deux précautions valent mieux qu’une». HYPR

Encadré:

Il existe au sein des Constitutions nationales européennes quatre types de relations entre l’Etat et l’Eglise.

Les pays concordataires sont l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, le Portugal et la Pologne.

La stricte séparation entre l’Eglise et l’Etat concerne uniquement la France (à l’exception notable de l’Alsace et de la Moselle restées sous régime concordataire après 1918).

Les pays qui possèdent des relations aménagées entre l’Eglises et l’Etat sont le Pays-Bas, la Suède, les Länders allemands, la Lettonie, l’Estonie, la Lituanie, Malte, la République Tchèque, la République Slovaque, la Slovénie et la Hongrie.

Les pays où l’Eglise majoritaire, appelée Eglise d’Etat, jouit d’un statut privilégié sont la Grèce (orthodoxie), la Grande-Bretagne (anglicanisme), le Danemark et la Finlande (luthéranisme). (apic/imedia/hy/pr)

14 mai 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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