Troubles alimentaires: l’autre face du progrès en Afrique du Sud
Le Cap: Les jeunes filles sud-africaines connaissent elles aussi boulimie et anorexie
Le Cap, 2 août 2004 (Apic) La course à la beauté, à la minceur et aux artifices en tous genres pour ressembler aux «top modèles» des magazines est aussi une réalité en Afrique. Les troubles alimentaires ont aussi gagné l’Afrique du Sud, montrant là un autre visage «du progrès» au pays de l’arc- en-ciel. Boulimie et d’anorexie étaient il y a encore quelques années des maladies méconnues, s’inquiète le professeur Christopher Szabo, de Johannesburg.
«Je veux laisser une trace dans le monde.Je serai manager de la BMW et je conduirai une voiture de sport dernier modèle. On dit qu’il n’y a pas de limites dans l’ambition, et moi, j’en veux encore plus»: la photo de Matapa Mayla, concurrente de ’Miss Teenager Sudafrica 2004’, vêtue d’un bikini rose sur un corps filiforme, est l’une des images de l’exposition intitulée «Le portrait de Mr. Mkhize et autres histoires de la nouvelle Afrique du Sud», qui vient de s’achever à Londres.
La jeune Matapa, comme beaucoup de jeunes de son âge, n’a pas de souvenir clair de l’apartheid. Dix années se sont écoulées depuis la fin de la domination des blancs et la naissance de la «nation de l’arc-en-ciel». Mapata et les autres participantes au concours de beauté ont tout le droit d’être ambitieuses. Avec l’introduction en 1994 de l’égalité dans la loi, les occasions d’émerger pour les jeunes Sud-africains noirs, blancs, métis ou indiens n’ont jamais été aussi nombreuses. Mais parfois, l’émancipation cache ses pièges.
Le professeur Christopher Szabo, directeur de la faculté de psychiatrie de l’Université de Witwatersrand, passe la plupart de son temps à soigner des adolescentes souffrant de troubles de l’alimentation à l’hôpital de Tara, à Johannesburg. Il a constaté un nombre croissant de patientes de couleur noire au cours de cette dernière décennie. «Les premières études sur les troubles alimentaires chez les jeunes noires remontent à 1995» explique le professeur Szabo dans un commentaire pour l’Agence Misna, «et depuis, les cas de boulimie et d’anorexie n’ont cessé d’augmenter. Certes, il ne s’agit pas de nombres très élevés, mais le phénomène est en évolution».
Une adolescente sur cinq
Le professeur tient à ne pas faire de faux alarmisme, mais il ne cache pas sa préoccupation: «Autrefois, ce phénomène n’existait pas parmi les populations noires» et était une prérogative des blanches de classe moyenne. Une étude conduite par le professeur démontre qu’une adolescente sur 5 en Afrique du Sud a un rapport avec la nourriture à risque.
L’interlocuteur de Misna note également des différences entre les jeunes des zones rurales et ceux des zones urbaines, les premiers étant apparemment moins exposés à ce genre de problèmes et plus satisfaits de leur corps. L’apparition de ces troubles doit-il être mis en relation avec la nouvelle Afrique du Sud? «Certains affirment que non» répond le professeur Szabo, «mais je crois qu’il est important de regarder le problème dans son contexte, sans forcément chercher de cause. Les périodes historiques de transition sont toujours difficiles. Au cours de ces dix dernières années, l’Afrique du Sud a connu de fortes transformations à tous les niveaux, y compris une urbanisation massive et la naissance de la société sud-africaine dans le village global. Les jeunes ont des attentes et des modèles différents, le système de valeurs a changé. Ce changement est vrai dans tous les pays du monde, mais en Afrique du Sud, il est particulièrement profond».
Contraste
L’Afrique du Sud est contrastée: l’économie nationale est la plus prospère du continent, mais 50 pour cent de la population vivent encore sous le seuil de pauvreté (selon les données de 2000). Quant à l’accès à l’éducation et aux services essentiels, il est encore difficile pour beaucoup et le sida est très répandu.
Cependant, souligne le professeur Szabo, «beaucoup de barrières sociales ont été abattues et aujourd’hui, les gens peuvent réaliser leurs aspirations». Mais parfois, les opportunités se transforment en obligations sociales: les adolescents, en particulier, sont sous pression et le succès est leur seul objectif. «Les femmes en particulier ont eu une plus vaste émancipation et une plus grande liberté de choisir, et ce facteur peut donner une direction pour tenter d’expliquer les troubles alimentaires» affirme le psychiatre, qui souligne en conclusion l’importance de la recherche pour mieux comprendre ce phénomène. (apic/misna/pr)