La mystique allemande sera béatifiée le 3 octobre prochain

Rome: Béatifier A.-C. Emmerick ne signifie pas reconnaître officiellement ses visions privées

Rome, 30 septembre 2004 (Apic) La mystique allemande Anne-Catherine Emmerick (1774-1824) sera béatifiée le 3 octobre 2004. Si ses visions privées ont inspiré le célèbre film «La Passion du Christ» de Mel Gibson, elles ne seront pas pour autant reconnues officiellement à cette occasion.

Béatifier, comme canoniser, ne signifie pas automatiquement affirmer l’authenticité de visions ou autres phénomènes surnaturels vécus par le servant de Dieu concerné. La proclamation officielle de la vénérabilité (l’étape avant la béatification et la canonisation) d’une personne donne toutefois de «bonnes raisons de penser» qu’elles ne résultent pas de sa simple imagination, explique un membre de la Congrégation pontificale pour les causes des saints à I’agence Apic. «Sans les déclarer authentiques, si l’Eglise ne dit rien, c’est qu’elle ne les réprouve pas», a-t-il aussi souligné.

Des visions privées qui ont inspiré le film «La Passion» de Mel Gibson

Il est avant tout nécessaire que les vertus de la personne vénérable soient manifestes. «La sainteté résulte en effet de la rencontre entre les efforts du sujet et la volonté de Dieu, la notion de mérite étant en jeu», a souligné à ce sujet le promoteur de la foi de la Congrégation pour les causes des saints, Mgr Sandro Corradini.

Mais il est aussi important que son honnêteté soit prouvée, afin de supprimer les éventuels doutes quant à une mise en scène ou à une supercherie autour de ces extases, visions, stigmates, bilocations ou autres grâces surnaturelles. Le contraire serait en effet un obstacle à la proclamation de son entrée dans le collège des saints ou bienheureux. L’Eglise catholique se targue ainsi de prudence. «Si les visions de la bienheureuse peuvent être acceptables, comme les médicaments, elles sont à utiliser avec précaution».

L’aptitude au discernement est requise

De plus, le contenu des révélations privées faites à la personne considérée ne doit pas aller contre la foi; s’il est certes retranscris dans ses mots propres, il doit correspondre à l’enseignement de la Bible et du Magistère, pour s’accorder parfaitement à la Révélation. «Tout caractère hérétique ne viendrait pas de Dieu. Et le mal pouvant s’immiscer partout, l’aptitude au discernement du servant de Dieu est aussi requise», a encore souligné un spécialiste de l’étude des saints.

Pour une éventuelle reconnaissance officielle des visions, certainement différenciée de la béatification, la distinction entre la révélation elle-même et ce qui vient seulement du voyant serait nécessaire. Ainsi, une équipe de scientifiques se penche actuellement sur les visions d’Anne-Catherine Emmerick, en s’efforçant de distinguer le réel du lyrisme de celui qui les a racontées, le poète Clemens Brentano.

Selon le promoteur de la foi de la Congrégation, les phénomènes mystiques, qui peuvent être accordés à quiconque par Dieu, sont exclus des critères de sainteté. Pour l’Eglise, ces grâces accordées à des individus sont seulement «des aides d’ordre affectif et intellectuel qui leur permettent de mieux comprendre la révélation». Seule compte l’héroïcité des vertus. L’Eglise n’a, en soi, nullement besoin de ces phénomènes mystiques.

Il est à noter toutefois deux cas particuliers, ceux de Lourdes et de Fatima, dont les apparitions, ne serait-ce que par leur inscription dans le calendrier liturgique, sont reconnues de façon semi-officielle. «Le fidèle est libre de ne pas y croire», souligne cependant un membre de la Congrégation pour les causes des saints, rappelant que seuls les dogmes sont infaillibles et qu’ils n’ont nul besoin de confirmation extérieure. JB/AR

Encadré

Qu’est-ce qu’une vision ?

«Vision signifie voir plus que ce qui est écrit dans la Bible ou dans la tradition de l’Eglise, voir plus profondément, au-delà de ce que les autres pourraient lire, voir ou expliquer», a expliqué Mgr Huelskamp, le vice- postulateur de la cause d’Anne-Catherine Emmerick. Vicaire ecclésiastique du tribunal de Münster, il est également en charge de la cause du cardinal Clemens August von Galen, l’évêque de Münster de 1833 à 1843 qui devrait être béatifié courant 2005.

«Certaines personnes sont très concrètes et ne croient que ce qu’elles voient; d’autres ont plus d’imagination et voient derrière la porte close; d’autres encore ont une intuition plus profonde et parviennent à découvrir par exemple les pensées de leurs interlocuteurs; enfin, il y a des personnes comme la future bienheureuse Emmerick qui voient plus profondément encore», a souligné l’évêque allemand du diocèse de Münster.

«C’est une chose de l’ordre privé, qui n’est pas rejetée par l’Eglise si elle ne va pas contre la foi. Son contenu ne doit pas différer de celui de la Révélation dans la Bible», a-t-il ajouté. L’Eglise considère que ces phénomènes sont possibles et concevables mais qu’ils ne sont pas au centre de l’intérêt de la personne. Ce qui compte c’est sa foi et sa spiritualité, sa vie concrète, et son amour pour les autres, a-t-il poursuivi. De façon générale, les phénomènes mystiques aident la personne et parfois son entourage à vivre la foi, mais ils ne sont pas pris en compte dans le procès de béatification, a-t-il conclu. JB/AR

Encadré

Pourquoi cette béatification n’a lieu qu’en 2004 ?

Pourquoi cette béatification n’a lieu qu’en 2004, alors qu’Anne-Catherine Emmerick a vécu fin XVIII-début XIXe ? Il y a eu deux procès de béatification, précise Mgr Huelskamp. Le premier, commencé en 1891, a été bloqué en 1928 par la Congrégation pour la doctrine de la foi. Probablement en raison du manque de fiabilité des documents soumis pour la cause. Le problème encore actuel est en effet celui de l’originalité des visions écrites et relatées par le poète Clemens Brentano (1778-1842). Paul VI a permis la réouverture du procès en 1973, mais en laissant de côté tout le matériel rassemblé auparavant. Pour des motifs philologiques – on ne sait pas ce qui est né de la fantaisie de Brentano et ce qui vient d’Anne- Catherine Emmerick – le matériel du poète sur la vie de la mystique n’a pas été pris en compte pour le second procès, dont la durée a été de trente ans. JB/AR

Encadré

Quel est le miracle qui a été reconnu pour cette béatification ?

Le miracle qui a été retenu est un miracle historique. En Allemagne, aussi grande que soit la vénération pour Anne-Catherine Emmerick, les gens sont réservés et parlent difficilement de manière ouverte de l’aspect corporel et physique de la foi. «Si nous avons des pistes de miracles contemporains, les gens concernés ont manqué de courage pour les avouer publiquement. Face à ce problème de mentalité, nous avons dû nous plonger dans l’histoire, dans la Positio publique du premier procès, qui n’a pas seulement traité des vertus. Nous avons trouvé des éléments sur la guérison en quelques jours, en 1860 – soit plus de trente ans après la mort de la bienheureuse – d’une religieuse malade de la tuberculose et alors âgée de vingt ans. Nous disposons du protocole très exact de cette guérison, signé par l’évêque auxiliaire de Münster en 1891», souligne Mgr Huelskamp. JB/AR

Encadré

Comment caractériser les vertus héroïques de la mystique ?

Mgr Huelskamp voit deux aspects: le premier est celui de la foi d’Anne- Catherine et de son amour pour le Christ, le second, celui de son amour manifesté envers les pauvres et les souffrants. Par sa spiritualité et sa conduite de vie complètement «Christo centrée», précise le vice- postulateur, la bienheureuse est devenue presque un directeur spirituel pour nombreux de ses contemporains. De toute l’Allemagne, des personnes simples et pauvres, comme des personnalités moins modestes, venaient à elle pour parler de la foi et pour avoir son soutien.

Anne-Catherine Emmerick, pauvre et de santé fragile, a épargné sur ses maigres revenus de couturière, afin de pouvoir rentrer chez les Augustiniennes, mais aussi pour aider les gens encore plus pauvres qu’elle. Ce qui interpelle également, dans son caractère, est que la bienheureuse voyait de l’intérêt en tous et en tout alors qu’elle n’a vécu que dans deux lieux modestes de notre région. Dès sa mort, d’ailleurs, et jusqu’à aujourd’hui, des pèlerins du monde entier sont venus la vénérer.

En ce qui concerne les manifestations extérieures, l’Eglise et l’Etat ont chacune fait leur inspection. Ils voulaient contrôler si les stigmates, qui se manifestaient à la tête, aux mains et aux pieds de la bienheureuse, étaient vrais ou bien feintes. Des officiels, envoyés au pied de son lit par l’une ou l’autre des institutions, la contrôlèrent nuit et jour pendant des mois. Ils finirent par conclure que les phénomènes étaient bien surnaturels et inexplicables. (apic/imedia/ar/be)

30 septembre 2004 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
Partagez!