Fribourg: «Palestine/Israël – une mémoire suisse», séminaire au Festival international de films
La caméra est-elle un fusil, une conscience ?
Fribourg, 11 mars 2005 (Apic) La caméra, dans le conflit israélo- palestinien, est-elle un fusil, une conscience? Comment filmer un conflit qui occupe une place prépondérante dans le public et le débat politique depuis un bon demi siècle… Des cinéastes suisses, alors militants maoïstes – Jean-Luc Godard, Francis Reusser – s’y sont collés, il y a 35 ans, à la demande des mouvements de libération palestiniens.
Vendredi, au Kaléidoscope des Entreprises Electriques Fribourgeoises EEF à Fribourg, les participants au Festival international de films de Fribourg (FIFF) ont débattu de la problématique de ces films militants, qui n’ont pas tous bien vieilli, mais qui restent tout de même des témoins d’une époque. Des archives qui restituent un moment d’histoire, des archétypes du cinéma engagé.
Avec le panorama «Palestine/Israël – une mémoire suisse» réalisé par Alain Bottarelli, c’est plus de 30 ans de réflexion cinématographique qui est faite autour d’une région, de ses problèmes et de ses répercussions sensibles jusque dans la tranquille Helvétie. «Peut-on filmer l’histoire, dans l’histoire, pour une cause, son contraire, pour la réconciliation, pour l’avenir?», se sont demandés les participants au séminaire.
Il était subversif de mentionner l’existence d’un «peuple palestinien»
«Biladi, une révolution», a relevé Francis Reusser, était un «brûlot maoïste» que le militant qu’il était alors allait montrer dans les ateliers ou les foyers d’immigrés de toute l’Europe. faute de pouvoir le faire dans les salles de Suisse. Tourné «en uniforme» dans les camps de réfugiés palestiniens de Jordanie, à la veille de Septembre Noir qui allait coûter la vie à 10’000 Palestiniens, ce film arrivait à un moment où il était particulièrement subversif de parler de l’existence d’un «peuple palestinien»: des avions de Swissair étaient la cible des commandos palestiniens et la xénophobie anti-arabe était alors à son comble en Suisse. Vilipendé par la NZZ, Reusser fut traité d’assassin et de terroriste.
Avec le recul, Reusser – qui fut membre du groupuscule d’extrême- gauche «Rupture pour le communisme» – ne nie pas ses engagements. Simplement il veut ranger «Biladi» au rang de la mémoire: «Je ne l’appelle plus un film, c’est devenu une archive. On l’a fait parce que cela faisait partie des tâches du moment, mais je n’ai pas fait mon boulot de cinéaste. Nous voulions filmer la révolution palestinienne qui devait s’emparer rapidement de la Jordanie, mais on filmait les cimetières.»
On ne peut imaginer la haine que l’on rencontrait en Suisse quand on s’engageait pour les Palestiniens, lance-t-il. Aujourd’hui, concède le réalisateur vaudois, «je serais un peu moins aveugle», même si la question palestinienne reste toujours pour lui une affaire de coeur et de convictions.
«Je ne pense pas que l’on trouve des solutions avec des films»
«Je ne pense pas que l’on trouve des solutions avec des films», a rétorqué Rolf Lyssy. Le célèbre réalisateur du film «Les Faiseurs de Suisses» fit, il y a une douzaine d’années, le portrait de son frère Michaël, Micha Bar-Am, dans «Un Tambour dans le désert». Immigré à l’âge de 18 ans en Israël, Micha Bar-Am vit dans le kibboutz de Dvorat comme peintre et musicien.
Pour Rolf Lyssy, on a beau être renseigné sur la situation par les médias ou par les livres que l’on lit, la situation que l’on rencontre sur le terrain est bien différente. On peut bien vouloir des solutions théoriques, qui sont absolument nécessaires, comme l’érection de deux Etats vivant côte à côte, mais sur place, on fait aussi face à des forces qui veulent le Grand Israël de la Méditerranée au Jourdain.
Libanaise, engagée comme Israélienne auprès des Palestiniens, Edna Politi affirme qu’il y a 35 ans, dans son film, tout était déjà dit, «sauf l’intégrisme religieux qui ne faisait pas encore partie du problème». Auteure de «Comme la Mer et ses vagues», elle ne regrette rien de ses premiers films. S’ils sont désormais devenus, eux aussi, des archives, elle se dit heureuse de les avoir réalisés, même s’ils n’étaient pas aboutis.
Laurence Deonna, qui a commencé à s’engager en 1967, s’est vite fait des ennemis, recevant même des menaces de mort. Etre pro-Palestiniens, à l’époque, imaginez la haine que cela suscitait en Suisse, laisse-t-elle entendre. Auteur de «Forget Baghdad» (2002), un film qui parle des juifs irakiens vivant en Israël, Samir a également rencontré la haine. Si son film fut au sommet du box office en Suisse, il a été refusé en Angleterre. A Paris, son attaché de presse a été attaqué au rasoir. «Si tu abordes ces thèmes, tu as toujours des surprises!», lance-t-il.
Lucienne Lanaz, auteure de «Douleur et révolte» (2003), constate que les films pamphlets «politiquement aveugles» n’existent plus. «On ne suit plus depuis longtemps le diktat – maoïste ou autre – mais aujourd’hui, dès que l’on dépasse une certaine limite, on court tout de même des risques, pour peu que l’on ne soit pas politiquement correct!». (apic/be)