Le cardinal Cottier évoque la figure du théologien Joseph Ratzinger, aujourd’hui Benoît XVI

Interview

L’oeuvre du nouveau pape ne se réduit pas à ses écrits

Rome, 28 avril 2005 (Apic) L’oeuvre du nouveau pape ne se réduit pas à ses écrits en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, estime dans une interview accordée à «Famille Chrétienne» le Théologien de la Maison pontificale.

Le cardinal suisse Georges Cottier évoque la figure de théologien de Joseph Ratzinger, devenu le pape Benoît XVI, dans un entretien réalisé par Caroline Boüan pour l’hebdomadaire catholique français «Famille chrétienne» en date du 28 avril 2005.

Q.: Au Concile Vatican II, Joseph Ratzinger a joué un rôle important, comme conseiller du cardinal Frings, de Cologne. De quelle manière exactement?

Cardinal Cottier: Il a joué un rôle notamment pour le premier texte, qui a comme éveillé – presque ébranlé – le Concile, ce texte magnifique sur la Révélation divine, qu’est la Constitution dogmatique «Dei Verbum». C’est à ce sujet qu’a eu lieu la première «crise» importante du Concile. Dès le début des travaux du Concile en effet, en 1962, les Pères conciliaires se sont partagés en deux groupes. Les plus nombreux, avec le cardinal Liénart, de Lille, se voulaient attentifs aux besoins d’adaptation de l’Eglise, pour qu’elle puisse faire parvenir l’Evangile à tous les hommes en tenant compte des nouvelles réalités du monde. Dans ce groupe se trouvait le cardinal Frings, de Cologne, dont Joseph Ratzinger était le conseiller. Les autres – dont beaucoup de membres de la Curie romaine – avaient une démarche plus apologétique. Ils étaient davantage sur la défensive, répondant par des formules scolaires et durcies aux débats de l’époque, sans tenir compte de la richesse de l’apport des théologiens du XXème siècle. Le texte qui avait été préparé sur la Révélation était de ce type, très rigoriste. Face à cela, le cardinal Frings – et le jeune Ratzinger – sont intervenus pour qu’on en revoie le projet. Il a donc été repris à la base.

Q.: De quelle manière?

Cardinal Cottier: Le premier «schéma» insistait trop sur le parallélisme entre l’Ecriture et la Tradition. Il reflétait la réaction aux réformateurs qui proclamaient le principe de l’»Ecriture seule» au détriment de la «tradition». C’était donc un texte assez polémique. Repris à neuf, il est devenu beaucoup plus positif et il est pour moi l’un des plus beaux du Concile. Il montre que l’Ecriture est portée par la Tradition de l’Eglise, que nous la recevons à travers la vie de l’Eglise, qui assure la transmission, de génération en génération, d’un patrimoine fécond, qui s’enrichit sans cesse, dans la mesure où le Christ est vivant, et donc agissant dans son Eglise. C’est tout à fait ce que développaient à l’époque en France les futurs cardinaux Yves Congar et Henri de Lubac, qui étaient experts à la Commission théologique de Vatican II, et que Ratzinger admirait beaucoup. Ils s’attachaient précisément à montrer que le Christ est la Parole vivante dont la Tradition et l’Ecriture constituent l’unique dépôt sacré, confié à son Eglise. De la même façon, «Dei Verbum» affirme que l’Ecriture et la Tradition «jaillissant toutes deux d’une source divine identique, ne forment pour ainsi dire qu’un tout, et tendent à une même fin».

Q.: Après le Concile, Joseph Ratzinger a voulu poursuivre ses travaux dans cet esprit.

Cardinal Cottier: Oui, et c’est dans ce but qu’il a travaillé d’abord avec les théologiens qui voulaient approfondir cette dynamique du Concile, qu’ils avaient expérimentée ensemble, et qui ont fondé la revue internationale de théologie «Concilium». Malheureusement, assez vite, avec les années 68, l’esprit de la revue a changé. Elle est devenue contestataire, exprimant des revendications à l’égard du «pouvoir» de l’Eglise, qu’ils trouvaient trop timide dans son application du Concile. De son côté, Joseph Ratzinger a pris très vite conscience de la gravité de ces dérapages. Il avait, lui, l’idée d’une théologie créative, mais en communion avec le magistère, comme les jésuites Jacques Guillet en France, ou Balthasar, en Suisse. C’est alors qu’est né le projet – et il en faisait partie – de la revue «Communio».

Q.: Lui-même écrivait beaucoup à l’époque ?

Cardinal Cottier: Il écrivait déjà, oui. Son livre «Foi chrétienne, hier et aujourd’hui», publié en 1968, en pleine crise, a beaucoup marqué. C’est une oeuvre très importante, dans laquelle on le découvre très conscient, dans sa manière de présenter le mystère de la foi, du doute qui atteint beaucoup des chrétiens de son époque.

Q.: Il avait fait une thèse sur «La théologie de l’histoire de Saint Bonaventure».

Cardinal Cottier: Oui. On a souvent traité de «conservateur» le cardinal Ratzinger, avec une connotation péjorative. En réalité, il est très attentif aux mouvements de l’actualité. Il a très fortement le sentiment que la vie des hommes est conduite, accompagnée par la Providence, et donc que le théologien doit aussi interroger l’histoire, ce que le Concile Vatican II a appelé «les signes des temps».

Q.: Au Vatican, à partir de 1981, il s’est trouvé astreint à une tâche plus sévère, qui a dû lui peser.

Cardinal Cottier: Il s’est effectivement attelé à une tâche de «magistère», qui consiste à veiller à la transmission de la foi dans son intégrité, à s’assurer qu’elle est vécue comme telle par le peuple de Dieu, et, à la défendre contre les déviations qui peuvent créer des doutes ou des erreurs chez ceux qui s’efforcent de vivre cette foi. Ce dernier aspect est la conséquence des deux premiers. Dans ce cadre, les grands textes que le cardinal Ratzinger a publiés en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi – par exemple «Dominus Iesus», en septembre 2000, sur l’unicité et l’universalité salvifique du Christ et de l’Eglise – étaient des textes demandés et approuvés explicitement par Jean Paul II. Mais si l’on a surtout souligné ce troisième aspect – la lutte contre les déviations – il serait très erroné de croire que c’était le seul. Car le cardinal Ratzinger, comme Jean Paul II – ils étaient vraiment très proches – étaient préoccupés avant tout de la vie de la foi du peuple de Dieu, et de la transmission de cette foi, par la mission.

Q.: En même temps, le cardinal Ratzinger a continué à écrire en son nom propre, pendant ces années.

Cardinal Cottier: C’est même assez extraordinaire qu’il ait réussi à poursuivre une oeuvre théologique personnelle aussi abondante. Dans les nombreux livres qu’il a publiés, il a touché à toutes les grandes questions de la doctrine chrétienne, que ce soit la liturgie, le dialogue avec les religions, l’approche de l’Ecriture dans l’Eglise, l’au-delà, la Vierge Marie, etc.. Avec en point d’orgue son chemin de Croix du vendredi saint, une semaine avant la mort du pape.

Q.: Il a fait l’»unanimité», parmi les cardinaux électeurs, en un temps record?

Cardinal Cottier: Pendant toute la période de la vacance du Siège apostolique, il a rempli admirablement son rôle de doyen des cardinaux. L’homélie qu’il a prononcée lors des obsèques du Pape nous a beaucoup frappés, lorsqu’il a parlé avec émerveillement de la façon dont Jean Paul II a invité, pendant toute sa vie à «demeurer dans l’amour du Christ, pour apprendre à son école, l’art du véritable amour». C’était un texte juste, profond, simple, avec une grande émotion – contenue -, mais une grande force aussi, et une magnifique invitation à suivre le Christ avec espérance et confiance. Cette homélie a été, je le suppose, un élément qui a pesé en faveur de son élection. (apic/imedia/fch/cb/pr)

28 avril 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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