Les pilleurs et les chercheurs d’or achèvent le reste
Pérou: Danger pour les fameuses lignes de Nazca, un site devenu décharge publique
Lima, 1er 10’ut 2005 (Apic) Seul archéologue de l’Etat que le gouvernement péruvien a décidé d’affecter à l’étude et à la conservation des fameuses Lignes de Nazca, Alberto Urbano fait même un peu plus que d’étudier et d’encore tenter de découvrir le mystère qui se cache derrière ces figurent: son travail l’amène même à préserver le site des mafias locales et de la bêtise humain: on cherche de l’or à la dynamite dans ce site devenu décharge publique.
Alberto Urbano s’essuie le front avec la manche de sa chemise, déplie une grande carte froissée d’un papier jauni par le soleil et par l’usure. En passant son doigt sur l’indication de la route panaméricaine, il s’arrête brusquement, comme s’il était bloqué par une invisible barrière. Puis il continue, jusqu’à la zone des mines d’or. «Il suffit de suivre ce tracé pour arriver aux mines d’or illégale» confie-t-il à l’Agence Misna.
Pourtant, il fixe la ligne: «Regardez comme elle est droite». Urbano, directeur régional de l’Institut national de culture du Pérou, est le seul archéologue de l’Etat que le gouvernement péruvien a décidé d’affecter à l’étude et à la conservation des Lignes de Nazca: 70 figures gigantesques et mystérieuses, d’une trentaine de centimètres de profondeur, visibles uniquement du ciel, et qui risquent de disparaître. Ces figures existent depuis plus de 2’000 dans le territoire de Nazca, une localité située à 588 mètres d’altitude, à côté d’un village de 30’000 habitants, à 450 kilomètres au sud de Lima. Urbano, qui touche à peu près l’équivalent de 400 euros par mois, se rend tous les jours sur le site avec sa vieille bicyclette – qu’il préfère à sa moto rouillée – un peu pour combattre la mafia des décharges abusives et du trafic de l’or, un peu pour prévenir des dangers climatiques, comme les rares pluies torrentielles d’une région désertique.
A la dynamite
C’est dans cet immense parc archéologique que l’on trouve ces énigmatiques entrelacs de figures géométriques et zoomorphiques qui peuvent atteindre 300 mètres de long: le condor déploie ses ailes et tente depuis des siècles de prendre un vol que son créateur n’a pas su lui donner, aux côtés d’un colibri, d’un singe ou d’une araignée. Les figures de Nazca auraient été tracées à trois époques diverses, la dernière en date il y a près de 14 siècles.
«La zone est pleine de mines d’or illégales» répète encore Urbano. Ce sont des crevasses parfois créées à la dynamite, et dont il est l’ennemi juré. Mais cette merveille de la nature, étendue sur près de 450 kilomètres carrés, déclarée patrimoine de l’humanité par les Nations Unies, court aussi le risque de devenir une décharge publique abusive, où vont la nuit les camions vider leurs déchets, en suivant la direction de la panaméricaine.
Cela, sans parler des actions dévastatrices des pilleurs de tombes qui, probablement pour des raisons économiques, profanent chaque nuit les trésors de l’antique civilisation Nazca. Ces objets funéraires, ces bijoux, sont ensuite revendus au marché noir. Le député Luiz González Posada, dont le district électoral comprend Nazca, est très inquiet. Surtout pour les milliers de lignes mineures qui se trouvent à l’extérieur du parc archéologique principal, car elles risquent fort de disparaître. Il estime que les Nations Unies devraient également protéger ces immenses expressions de l’art et de la manualité humaine.
L’impuissance du gouvernement?
Le gouvernement péruvien, selon lui, n’est pas en mesure de contrôler toute cette zone ni de garantir la survie des Lignes de Nazca. Pour le moment, la défense de Nazca est entre les mains d’Alberto Urbano et d’un groupe de bénévoles qui luttent pour la préservation du site, dans le sillon de la mathématicienne allemande Maria Reich, décédée en 1998 à l’âge de 95 ans après avoir dédié 50 ans de sa vie à étudier les lignes de Nazca.
Creusés dans une superficie volcanique, ces hiéroglyphes péruviens sont l’une des plus grandes énigmes de l’histoire de l’humanité. Le premier à les remarquer fut un pilote de l’aviation péruvienne, en 1926 ou 1927, mais jusque là, elles gisaient naturellement, intactes, sans que la main de l’homme ne vienne les endommager. Les vents de la région, atténués au raz du sol, forment une sorte de coussin protecteur. Le premier à étudier ces lignes, en 1939, fut le scientifique nord-américain Paul Kosok, concluant que la plaine de Nazca pouvait être «le plus grand livre d’astronomie du monde: il avait remarqué que lors du solstice d’été, les rayons du soleil couchant étaient parallèles à un groupe de lignes figurant un oiseau.
Aujourd’hui, l’étude de ces lignes, qui permettrait certainement à l’homme d’en savoir plus long sur son histoire et sur sa propre nature, semble fort destinée à passer en second plan. La préservation de ce trésor n’est plus assurée, loin de là. Quelques années à peine suffiront à mettre en péril ce que pourtant des siècles d’histoire avaient su préserver, s’inquiète Urbano. Tout cela pour des questions d’argent, et de mauvaises organisations. (apic/misna/pr)