Un aimant qui attirait des millions de jeunes

Taizé: Frère Roger, assassiné mardi soir, avait eu 90 ans le 12 mai dernier

Jacques Berset, Apic

Taizé, 17 août 2005 (Apic) C’était un véritable aimant qui a attiré des millions de jeunes sur la colline de Taizé, en Bourgogne, ou lors de grands rassemblements intitulés «pèlerinages de confiance sur la terre». Frère Roger, assassiné mardi soir à coups de couteau par une déséquilibrée roumaine de 36 ans, alors qu’il priait avec 2’500 jeunes de diverses nationalités dans l’église de la Réconciliation, avait eu 90 ans le 12 mai dernier.

A cette occasion, l’Apic s’était rendue sur ce lieu de rencontre (voir ci-dessous) qui avait inspiré le pape Jean Paul II pour mettre sur pied les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ), qui se tiennent en ce moment même à Cologne. Aux JMJ, la nouvelle de l’assassinat de Frère Roger, le prieur de la communauté oecuménique de Taizé, a semé la consternation.

Avec sa silhouette gracile devenue fragile avec le poids des ans, ces cheveux blancs et cet éternel sourire qui rayonnait de bonté et inspirait immédiatement la confiance, Frère Roger était devenu un monument. Et une personnalité incontournable pour beaucoup de jeunes un peu partout dans le monde, également en Suisse romande.

Issu d’une bonne tradition réformée du canton de Vaud, Frère Roger – de son vrai nom Roger Louis Schutz-Marsauche, fils de pasteur venant de Provence, au pied du Jura vaudois – allait fonder la communauté de Taizé à l’issue de la guerre mondiale, comme symbole de réconciliation. Il s’était installé avec une poignée de compagnons près de Cluny, haut lieu de la chrétienté dans l’Europe du Moyen Age, tout un symbole!

Le pape Jean Paul II aimait Taizé

La confiance dans les jeunes manifestée par Frère Roger a beaucoup touché Karol Wojtyla, qui était venu à trois reprises à Taizé: deux fois comme évêque, puis une fois en tant que pape en 1986. C’est en 1962, au Concile du Vatican, que le fondateur de Taizé rencontrera pour la première fois celui qui, seize ans plus tard, allait devenir Jean Paul II. Dès avant les premières JMJ, qui attirent depuis 1984 les foules de jeunes du monde entier, Jean Paul II accueillait à Rome les jeunes de Taizé. Il s’est inspiré de Taizé pour lancer les JMJ.

Lors de la messe d’enterrement de Jean Paul II à Rome, le vendredi 8 avril dernier, Frère Roger avait reçu la communion des mains du cardinal Ratzinger, devenu quelques jours plus tard le pape Benoît XVI. «Un cas particulier», avait pourtant précisé le Vatican, dont il ne faut déduire aucune conclusion sur la position de l’Eglise catholique à propos de l’intercommunion, avait précisé Joaquin Navarro-Valls, porte-parole du Saint-Siège à propos de l’eucharistie à laquelle avait accédé le fondateur de la communauté oecuménique de Taizé, d’origine protestante.

A Cologne, aux JMJ justement, des frères de la Communauté animent des prières avec les chants de Taizé, des temps de silence et un accueil toute la journée. La nouvelle des circonstances de la mort de Frère Roger a suscité la consternation aux JMJ. Frère Alois, un Allemand de 50 ans originaire de Stuttgart et à Taizé depuis trois décennies, devait rentrer précipitamment de Cologne pour succéder à Frère Roger à la tête la communauté. Il avait été désigné par Frère Roger comme son successeur il y a huit ans déjà. «C’était conforme à la règle de la communauté selon laquelle le prieur responsable choisit son successeur», a déclaré un autre membre de la communauté, Frère Emile. JB

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Messages condoléances de partout dans le monde

A l’annonce de l’assassinat de Frère Roger, les messages condoléances ont commencé à affluer de partout dans le monde. Mgr Bernard Genoud, évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg, a appris avec consternation l’assassinat de Frère Roger. Participant actuellement aux JMJ de Cologne, l’évêque fribourgeois a fait parvenir une lettre de condoléances à la communauté de Taizé. Mgr Bernard Genoud a condamné «cet acte de folie perpétré contre le fondateur de la communauté oecuménique de Taizé». Il invite tous les fidèles de son diocèse (qui a vu naître frère Roger) à prier «afin que soit vaincue la violence, par l’amour du Christ auquel Roger avait voué sa vie et son oeuvre. Seule la foi en Jésus Christ, premier Témoin du pardon et de la paix, saura donner à la communauté de Taizé, ainsi qu’à tous pèlerins de ce lieu, la force de dépasser l’incompréhension et de s’ouvrir à la confiance en Jésus Christ, le seul Seigneur. Dépasser la haine, offrir le pardon et aimer plus que tout, tels étaient les messages essentiels de Frère Roger». Mgr Bernard Genoud rappellera, à tous les jeunes qu’il rencontrera à Cologne, que «le chemin de Vie de Roger est aujourd’hui plus que jamais d’actualité et que sa mort doit les inciter à choisir la Vie !»

En mai dernier, à l’occasion de son 90e anniversaire, les évêques suisses avaient souhaité à Frère Roger de Taizé la bénédiction de Dieu pour cette personnalité incarnant «un oecuménisme vécu». «En s’engageant pour la coexistence pacifique de tous les hommes, frère Roger est l’image même de l’oecuménisme vécu et un exemple pour nous tous», écrivait alors la Conférence des évêques suisses (CES).

Hommage des évêques de France

Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France, a également envoyé un message de condoléances à la communauté de Taizé pour dire sa profonde peine. Evoquant la figure de ce «frère dans la foi», «lui, si doux, vient d’achever sa course terrestre, victime de la violence. Quel mystère . Lui qui, avec vous tous, a si souvent donné rendez-vous aux jeunes du monde pour leur apprendre, au nom de la foi en Christ ressuscité, à témoigner de la puissance transformante de l’amour donné, arrive chez le Père des miséricordes au moment des JMJ de Cologne. Quel témoignage et quel appel!»

Comme président de la Conférence des évêques de France, Mgr Ricard n’oublie pas avec quelle fidélité fraternelle, depuis le Concile Vatican II et sans jamais faillir depuis, il écrivait aux évêques de France avant chacune des assemblées plénières de Lourdes. «Son message était toujours attendu et reçu avec ferveur», souligne-t-il. Et le président de la CEF, parlant de «cette grande figure de chercheur et de témoin de Dieu, passionné de l’unité entre chrétiens et de réconciliation», tient à rendre grâce à Dieu pour la force de son témoignage et sa patiente ténacité à faire de Taizé le lieu de ressourcement de tant de disciples du Christ, au- delà des divisions, et le rendez-vous de l’espérance pour tant de pauvres à travers le monde. JB

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Dernier livre de Frère Roger:  » Pressens-tu un bonheur ? «

Frère Roger retrace dans ce dernier livre intitulé «Pressens-tu un bonheur?» quelques étapes de son itinéraire et de sa réflexion, en particulier ce qui a été entrepris à Taizé pour poser des signes de communion et de paix. Publié par Les Presses de Taizé, 160 pages, ISBN 2850402273, distribution Le Seuil.

Les films «Rencontre avec frère Roger», 1. «Aux sources d’une création» et 2. «Serviteurs de la confiance», où Frère Roger raconte lui- même son histoire et celle de Taizé, sont maintenant disponibles en DVD. JB

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Frère Roger s’installe à Taizé en 1940

En 1940 le Suisse Roger Schütz, alors âgé de 25 ans, choisit le village de Taizé en Bourgogne pour s’installer. Le fils de pasteur réformé a étudié la théologie à Lausanne. Son idéal le poussera à fonder une communauté vivant l’idéal chrétien de la réconciliation. Il accueillera alors dans sa maison des réfugiés, surtout juifs, qui y ont trouvé refuge, échappant ainsi aux griffes de la Gestapo, puisque Taizé était situé non loin de la ligne de démarcation entre France libre et occupée. Après la guerre, il s’est occupé de prisonniers de guerre allemands. Pour son engagement en faveur de la paix Frère Roger a reçu plusieurs prix, notamment en 1988 le prix de l’Unesco pour l’éducation à la paix. JB

Apic Reportage

Taizé, sur la colline de la réconciliation, la communauté poursuit son chemin

Frère Roger a eu 90 ans le 12 mai

Jacques Berset, agence Apic

Taizé, printemps 2005 (Apic) Le temps est maussade et la pluie a transformé les alignements de tentes en champs de boue. L’ambiance est pourtant à la fête ce dimanche à Taizé. Un bon millier de jeunes, venus des quatre coins de l’Europe, voire de bien au-delà, se rendent quasiment en silence à l’église de la Réconciliation.

Frère Roger, le fondateur de la communauté oecuménique, pénètre dans la pénombre baignée de l’orange des bougies. Le vieil homme se déplace lentement, en s’agrippant à l’aube blanche d’un autre Frère. La foule sent bien qu’à 90 ans, cet être d’exception est devenu fragile, sa voix se fait difficile. Alors le silence devient total. La veille, ces mêmes jeunes dansaient au son des guitares ou échangeaient bruyamment en dégustant une bière ou un verre de Bourgogne devant l’»Oyak», qui tient lieu de café. C’est le seul endroit d’ailleurs où l’on trouve de l’alcool dans cette enceinte où se mêlent joyeusement spiritueux, spiritualité et action.

Maintenant, ils se plongent dans la prière et leurs mélopées remplissent le grand édifice construit en 1962 par de jeunes Allemands qui voulaient poser là un signe de réconciliation. Ils ont bâti cet édifice sur les plans de Frère Denis, un Suisse qui habite aujourd’hui dans une fraternité de Taizé au Sénégal. Depuis longtemps, les Frères ont rejoint les plus pauvres dans les bidonvilles du tiers monde.

Dehors, les jeunes commencent à sortir des tentes; ils s’installent sur des bancs, commencent à échanger, méditer. Les réflexions de la veille menées dans les carrefours continuent: on parle de l’eucharistie chez les premiers chrétiens, de la vie en solidarité avec les pauvres à l’heure de la mondialisation; dans un atelier de réflexion et d’échanges sur les couleurs intitulé «du sensible à l’invisible», les jeunes ont analysé des tableaux avec un Frère.

La communauté de Taizé, ce haut lieu de l’oecuménisme, attire depuis des décennies des jeunes de tous les continents. Elle a acquis sa réputation bien avant le pontificat de Jean XXIII, qui s’exclama un jour: «Ah, Taizé, ce petit printemps!». Cette aura de centre européen de la pastorale des jeunes ne fera que s’étendre. Et pourtant, rien ne s’est passé comme prévu.

L’arrivée des jeunes n’était pas programmée

Frère Roger avait pensé un moment limiter sa communauté à une douzaine de Frères vivant sur cette belle colline de Bourgogne. Tous ne se sentaient pas prêts à un accueil large, certains avaient peur d’être dérangés dans leur démarche. Pour eux, le premier signe à vivre – et cela reste le cas aujourd’hui encore – était la vie communautaire.

En voyant arriver de plus en plus de jeunes, Frère Roger lui-même disait encore en 1958: «Cela ne va pas durer». Il a mis plusieurs années à comprendre que c’était là un moyen de partager avec beaucoup d’autres plutôt qu’une distraction de la vocation première de Taizé. Maintenant que les jeunes arrivaient, la nouvelle église, considérée au début comme beaucoup trop grande, ne suffisait plus.

Face à la déferlante de jeunes en recherche, la communauté se devait de répondre à cette soif intense. Concrètement, il fallut abattre le mur en vitrail sur l’arrière de l’église, y rajouter une grande tente de cirque, car la foule devenait toujours plus nombreuse. Elle allait culminer avec le Concile des Jeunes, il y a trente ans, dans le sillage de «Mai 68» et de la théologie de la libération latino-américaine.

Que faire avec tout ce monde ? «D’emblée, nous n’avons pas voulu créer un nouveau mouvement, c’est pourquoi il n’y en a pas eu autour de la communauté de Taizé, nous confie Frère Emile, un Canadien francophone. Il s’agit pour nous de stimuler les jeunes à devenir chez eux créateurs de paix, porteurs de réconciliation et de confiance, en s’engageant dans leur ville, leur village, leur paroisse».

Dès le départ, poursuit-il, «nous avons considéré Taizé comme un lieu de ressourcement, pour aller avec les jeunes aux sources de la foi: approfondir chaque jour quelques textes bibliques et essayer d’éveiller ceux qui viennent chez nous à un sens des responsabilités humaines dans la société, pour qu’ils trouvent dans la foi le courage de ne pas fuir, mais de se préparer à faire face».

Ces deux tendances sont restées: dans les années 70, Taizé parlait de «lutte et contemplation» – l’époque voulait cela, on était dans le sillage de mai 68! – , puis dans les années 80, c’était «vie intérieure et solidarité humaine», aujourd’hui, on dit plutôt «vie intérieure, prière et responsabilité humaine».

Les prémisses du changement à l’Est

A la fin des années 80, Frère Roger sentait que cela bougeait très fort à l’Est et que les jeunes viendraient encore plus nombreux. La communauté réalisa dans ce but des agrandissements en bois, qui dépassaient déjà l’église de béton. Les bulbes qui émergent étaient là, au début, uniquement pour montrer que c’était un lieu de prière, assure Frère Emile, mais ils touchent beaucoup les orthodoxes.

Originaire de la ville de Timmins, dans le Nord Ontario, Frère Emile est venu à Taizé la première fois en 1974, comme volontaire, pour donner un coup de main à l’accueil, comme le font actuellement une cinquantaine de jeunes bénévoles de tous les continents, et le double l’été.

«J’y suis resté et finalement je suis entré dans la communauté en 1976», témoigne-t- il. Quand on l’interroge sur la provenance religieuse des membres de la communauté, Frère Emile, lui-même d’origine catholique, répond simplement que sur la colline de Taizé, on ne tient pas de comptabilité sur l’appartenance confessionnelle.

La vie monastique soutient le renouveau de l’Eglise

La spécificité de Taizé? Frère Roger n’a jamais cherché à se distinguer, il a toujours eu une grande confiance dans la tradition monastique, souligne Frère Emile. «C’est d’ailleurs ce qui l’a poussé à venir s’installer en 1940 dans la région de Cluny, pour ne pas être seul avec Dieu, mais ne former qu’un seul coeur avec ses Frères. Il estime que la vie monastique soutiendra le renouveau de l’Eglise. Tout jeune, c’est ce qui le passionnait déjà dans Cluny».

Dès le début de la Deuxième Guerre mondiale, le jeune Roger Schutz quitte la Suisse. «Agé de 25 ans, il ne voulait pas vivre où c’était trop facile. Comme il y avait une maison à vendre à une dizaine de kilomètres de Cluny, dans la zone non occupée, il y abrita des juifs, des réfugiés».

Par la force des choses, il a fallu s’adapter aux circonstances et innover: ainsi l’accueil des jeunes qui arrivaient dès la fin des années 50 n’était pas prévu. «Il fallait trouver des moyens, comment prier, par exemple, avec une foule de jeunes de diverses cultures et langues.»

Des JMJ avant l’heure ?

La confiance dans les jeunes manifestée par Frère Roger a beaucoup touché Jean Paul II, qui est venu à trois reprises à Taizé: deux fois comme évêque polonais puis une fois comme pape en 1986. C’est en 1962, au concile du Vatican, que Frère Roger rencontrera pour la première fois celui qui, seize ans plus tard, allait devenir le pape Jean Paul II.

Dès avant les premières JMJ – les Journées Mondiales de la Jeunesse qui attirent des centaines de milliers de pèlerins du monde entier -, le pape accueillait les jeunes de Taizé. «Jean Paul II aimait beaucoup cette présence à Rome: pour les accueillir, il nous avait prêté les grandes églises de la capitale italienne, les grandes universités pontificales…»

Après les deux grandes rencontres de jeunes à Rome, en 1980 et en 1982, Jean Paul II a invité Frère Roger à venir donner la méditation du Chemin de Croix au Colisée. «Je crois que le pape s’est inspiré des rencontres de Taizé pour mettre sur pied les JMJ, il l’a dit lui-même». JB

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A l’origine, des protestants suisses

Parmi les premiers Frères qui s’installèrent sur la colline de Taizé dans les années 40, on rencontre des Suisses: Frère Roger – de son vrai nom Roger Louis Schutz-Marsauche, un fils de pasteur protestant – vient de Provence, au pied du Jura. Deux étudiants de Genève devinrent plus tard les deux premiers compagnons de Frère Roger: Max Thurian qui étudiait la théologie, et Pierre Souvairan, l’agronomie. Parmi les Frères de la première génération, les Allemands et les Français étaient d’emblée présents, et ils restent encore aujourd’hui les plus représentés. JB

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L’apport des diverses traditions chrétiennes, sans syncrétisme

Si Frère Roger vient d’une tradition réformée, ce qui se passe à Taizé prend sa source dans les diverses traditions chrétiennes. Ainsi, ceux qui viennent de différentes Eglises reconnaissent quelque chose de leur tradition. Le fait que tout soit centré sur la parole de Dieu, les introductions bibliques, touchent beaucoup les protestants. Le sens de l’eucharistie que l’on rencontre est plus familier aux catholiques et aux orthodoxes. Ces derniers trouvent à Taizé des icônes, entendent des chants slaves. «Mais à Taizé, par contre, il n’y a ni syncrétisme, ni non plus un plus petit dénominateur commun. Il y a un sens de la catholicité, certes pas au sens confessionnel. On est ouvert au sens de tous les dons qui sont dans le peuple de Dieu, dans toutes les confessions chrétiennes», confirme Frère Emile.

Cette conviction a habité Frère Roger très jeune. Dès les années 40, il a développé des liens avec l’archevêque de Lyon. Il a décrit à Rome lors d’une rencontre européenne en 1982 – à St-Pierre, en présence du pape Jean Paul II – comment il avait trouvé son identité de chrétien en réconciliant en lui-même ses origines protestantes avec la foi de l’Eglise catholique sans rupture de communion avec quiconque.

C’est le chemin de Taizé: réconcilier au fond de soi ses origines, ne pas en rester simplement à l’héritage, et s’ouvrir à d’autres dons sans rupture de communion. Dans la communauté, quand des hommes donnent toute leur vie à la cause de l’Evangile, ils peuvent par le don d’eux-mêmes faire émerger quelque chose de l’Eglise indivise. «Une réconciliation qui humilierait une confession ne serait pas une vraie réconciliation, insiste Frère Emile. Retrouver la plénitude de la foi, c’est cela qui nous intéresse. C’est cela l’intuition de départ de Frère Roger: donner sa vie à cause du Christ et de l’Evangile».

Frère Roger pensait que cela suffirait, qu’il n’y a pas besoin de grands projets. «Il disait que nous ne verrions peut-être pas de résultats de notre vivant. Il pensait que quelques Frères donneraient leur vie, et que ce serait une semence pour plus tard.

Cette grande humilité, cette offrande de la vie, c’est peut-être cela qui a permis que le fruit apparaisse plus vite que prévu. Au début, en effet, il y avait peu de monde, et on pouvait tous se tenir dans la petite église romane!. JB

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Taizé: le lieu de rendez-vous de jeunes à la recherche de l’absolu de Dieu

La communauté de Taizé, depuis la fin des années 50 – et bien malgré elle, car ce n’était pas sa première intention ! – est devenue le lieu de rendez- vous des jeunes, de ceux qui cherchent Dieu, l’amitié, la justice. Taizé a toujours pensé qu’il était possible de changer les choses, que la société pouvait être transformée. «On a gardé cette espérance que l’on peut vivre différemment, même s’il n’y a pas de consignes. L’effort reste pour éveiller les jeunes, en faisant parler ceux qui souvent sont des signes d’espérance, par le moyen de carrefours, qui ont des thèmes spirituels, mais aussi social et économique, comme le commerce équitable, la justice sociale, le néo-libéralisme et la mondialisation», poursuit Frère Emile.

La prière et la réflexion biblique en petits groupes vont de pair avec ce désir de réveiller aux responsabilités. Les temps ont changé, mais l’esprit demeure: dans un groupe de réflexion très fréquenté, réuni dans le narthex de l’église de la Réconciliation, Frère Han Yol distribue des feuilles pour la réflexion et le partage en petits groupes. Le thème: la solidarité, la justice, l’attitude des consommateurs, la possibilité de vivre plus frugalement, avec moins de moyens matériels. «Est-ce que je peux dépenser moins, de manière à partager plus ?», demande-t-il aux jeunes qui s’agglutinent autour de sa table improvisée. Et le Frère coréen de distribuer des adresses internet sur le commerce équitable, les circuits financiers alternatifs. Si le langage a évolué avec le reste de la société, l’idéal reste. JB

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Taizé: une communauté d’une centaine de Frères

Une centaine de Frères appartiennent à la communauté de Taizé. Ils se sont engagés pour toute leur vie au partage des biens matériels et spirituels, au célibat et à une grande simplicité de vie. Au coeur de la vie quotidienne à Taizé, il y a les trois moments de la prière commune. Les Frères vivent de leur seul travail et n’acceptent aucun don, aucun cadeau pour eux-mêmes, ni même leurs héritages personnels. La communauté en fait don aux plus pauvres.

Le nombre présent à Taizé varie selon les saisons de l’année. Une dizaine de Frères sont actuellement en voyage. Les Frères sont donc au nombre de 70 à 80. Une vingtaine d’autres habitent dans des fraternités parmi les plus pauvres, au Bangladesh, au Brésil, au Sénégal, en Corée du Sud.

Les Frères appartiennent à plus de 25 nationalités diverses de tous les continents, et ils viennent de différentes religions chrétiennes: de la famille évangélique et protestante, des Eglises anglicane et catholique. La communauté ne compte pour le moment aucun Frère orthodoxe.

Des Frères de Taizé effectuent aussi des visites et animent de grandes rencontres annuelles en Afrique, en Amérique du Sud et du Nord, en Asie, en Europe. Ce sont les fameux «pèlerinages de confiance sur la terre» qui ont lieu après Noël. Des dizaines de milliers de jeunes y participent, de toute l’Europe et aussi d’autres continents. La prochaine rencontre aura lieu à Milan, capitale de la Lombardie, en Italie du Nord, du mercredi 28 décembre 2005 au dimanche 1er janvier 2006. JB

Encadré

L’ouverture à l’Est dès les années soixante

Frère Roger ne pouvait pas accepter que l’Europe soit divisée en deux. C’est ainsi qu’ont été organisées les premières visites dans les pays communistes; le Mur de Berlin venait d’être construit. «Personne ne pouvait imaginer que ces visites de Frère Christophe, un Allemand, allaient donner naissance à des centaines de milliers d’amitiés de jeunes chrétiens de l’Europe de l’Est. Cela a commencé humblement, en Allemagne de l’Est, avec de toutes petites rencontres.

Après les premières visites, le mouvement s’est développé très vite. Au début des années 80, on a assisté à de grandes rencontres publiques qui rassemblaient des milliers de personnes souvent à l’invitation des deux Eglises: Dresde, Magdebourg, Schwerin, Berlin-Est. Les Eglises est- allemandes savaient que Taizé était en mesure d’organiser des rencontres de plusieurs milliers de jeunes sans publicité, grâce à ses réseaux d’amitié.

Au dernier moment, les évêques demandaient le visa afin que Frère Roger puisse parler en public. Les autorités ne pouvaient pas refuser, car des milliers de jeunes étaient déjà en route, et l’on ne voulait pas créer des troubles. Ces rencontres des années 80 en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Pologne, ont un peu forcé la main du régime à plusieurs reprises. «Ces chrétiens ont certainement joué un rôle dans le caractère pacifique de la transformation des sociétés de l’Est. Lors des manifestations de 1989 en Europe de l’Est, nous voyions dans la rue beaucoup de ceux qui nous avions connus», constate Frère Emile.

En Allemagne de l’Est comme en Tchécoslovaquie, beaucoup se retrouvaient dans les églises avant de descendre manifester dans la rue. «Les chrétiens n’ont pas voulu que la transformation se fasse dans la haine et la violence.» JB

Des illustrations de cet article peuvent être commandées à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: info@ciric.ch (apic/be)

17 août 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 16  min.
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