La doctrine sociale chrétienne se doit de questionner le capitalisme
Fribourg: Colloque sur les catholiques dans la société civile après Vatican II
Fribourg, 18 septembre 2005 (Apic) La doctrine sociale chrétienne, dont on fait remonter les débuts au pape Léon XIII et à sa fameuse encyclique «Rerum novarum» (1891), n’a pas fini d’être remise en question face aux nouvelles réalités socio-économiques de la mondialisation. A l’issue du colloque mis sur pied à l’Université de Fribourg par le Programme Interdisciplinaire d’Etudes Catholiques (PIEC), une table ronde animée par le professeur Jean-Jacques Friboulet a tenté samedi d’y apporter des réponses.
Intitulé «Feu la chrétienté ? Les catholiques dans la société civile après Vatican II», ce colloque a notamment permis de s’interroger sur la pertinence de l’enseignement social chrétien à l’heure de la globalisation des marchés. La table ronde du 17 septembre a réuni des spécialistes de la doctrine sociale de l’Eglise, comme le journaliste français Jean Boissonnat, ancien rédacteur en chef du magazine économique l’Expansion et ancien président des Semaines sociales de France, ainsi que le Père jésuite Jean-Yves Calvez et l’abbé Patrick De Laubier, ancien professeur de sociologie à l’Université de Genève.
«Les silences de la doctrine sociale catholique»
Interrogé par l’Apic, le Père Calvez, auteur de l’ouvrage «Les silences de la doctrine sociale catholique» (Editions L’Atelier), reconnaît que dans un monde devenu unipolaire depuis la chute du communisme, la doctrine sociale chrétienne doit avoir l’audace de questionner vigoureusement le capitalisme dans ses différents aspects.
Le christianisme, tout au long des siècles, a certes développé une sorte de doctrine sociale, mais les débuts vraiment structurées remontent à Léon XIII et à son encyclique «Rerum novarum» (1891). L’enseignement social chrétien s’est ensuite constamment développé, du Concile Vatican II à nos jours, mais il n’a pas encore pris toute la mesure de phénomènes comme la «financiarisation de l’économie». Le religieux jésuite admet ainsi que certaines questions sont demeurées en retrait dans les discours officiels de l’Eglise, comme l’emploi, la financiarisation de l’économie, la propriété du capital des entreprises, les droits de l’homme, la démocratie. En matière de «financiarisation de l’économie», un aspect central de la mondialisation, le Père Calvez a reconnu samedi que «la pensée sociale chrétienne est encore sous-développée».
Jean Boissonnat, évoquant les chocs majeurs des siècles passés, a insisté sur la laïcisation de la société, avec pour conséquence le recul de la présence catholique au niveau hospitalier et éducatif, et sur la révolution industrielle des XVIIIe et XIXe siècle qui a bouleversé les structures sociales et fait naître la classe ouvrière. Confirmant cette analyse, le Père jésuite a estimé que l’enseignement social chrétien est certainement né du décalage existant alors entre l’Eglise et la société.
Une chrétienté d’aujourd’hui, pas une «nostalgie médiévale» mythique
Patrick De Laubier, définissant la chrétienté non pas comme une «nostalgie médiévale» mythique, mais une «réalité absolument nécessaire liée à l’incarnation», a estimé que l’Eglise ne doit pas proposer un programme économique ou politique chrétien. Elle doit offrir au contraire des «exigences chrétiennes en économie», pour paraphraser le cardinal Journet.
«L’Eglise, a-t-il insisté, nous propose une orientation idéale, et nous devons accepter que le religieux et le politique soient distingués». L’abbé De Laubier, citant les Pères de l’Eglise et les scholastiques, a contesté le fait que l’Eglise se serait brusquement réveillée à la question sociale il y a deux siècles seulement. Il a toutefois reconnu que sous l’Ancien régime, l’asservissement de l’Eglise par les pouvoirs politiques l’ont fait taire dans ce domaine: «Les Bossuet et les Fénelon n’étaient effectivement pas très bavards sur ces questions là», a-t-il souligné, en parlant d’un «déficit tragique» qui a duré trois siècles. sur 2000 ans!
Ancien rédacteur en chef de la revue Etudes, ancien provincial des jésuites de France et, pendant quatorze ans, assistant général à Rome auprès du Père Pedro Arrupe, général des jésuites, le Père Calvez, a souhaité que la réflexion des épiscopats locaux sur ces questions soit non pas freinée par les instances romaines mais au contraire stimulée. JB
Encadré
Université de Fribourg : Programme Interdisciplinaire d’Etudes Catholiques
Le Programme Interdisciplinaire Etudes Catholiques (PIEC), soutenu par le Conseil de l’Université et le Rectorat de l’Université de Fribourg a pour but de mieux faire comprendre le fait religieux, et en particulier le catholicisme, dans sa dimension historique et culturelle. Il est proposé aux étudiants de diverses disciplines des Facultés de lettres et de théologie, mais également à toute personne désireuse d’approfondir ses connaissances sur l’insertion du christianisme dans la société et la culture. Le programme perpétue ainsi une tradition d’ouverture de l’Université sur la Cité.
«Ce programme permet d’élargir les horizons et de mieux cerner le rôle capital joué par le christianisme dans notre propre culture en un temps où la place des religions est réexaminée en divers sens», estime le directeur du PIEC, Francis Python, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg. (apic/be)