Arnaques dans les couvents et monastères: histoires d’escrocs et d’aigrefins sans scrupule
Apic enquête
Désormais, la vigilance sera de mise
Pierre Rottet, Agence Apic
Fribourg, 25 mai 2006 (Apic) Les arnaqueurs des couvents, les spécialistes des esbroufes en tous genres n’ont qu’à bien se tenir. Désormais, ils n’auront plus la vie facile pour escroquer les communautés religieuses. La méfiance a aujourd’hui pris le pas sur la candeur. Et le téléphone rouge fonctionne entre les communautés, pour signaler toute tentative malhonnête. Mais il aura fallu des années d’arnaques pour en arriver là. Dont certaines ne sont pas piquées des vers.
L’Apic a recueilli des témoignages dans plusieurs maisons religieuses de Fribourg et d’ailleurs. Avec beaucoup d’humour le plus souvent, les histoires les plus invraisemblables ont été narrées. Un constat: les religieuses semblent avoir fait preuve de plus de naïveté que leurs homologues masculins. A moins qu’elles aient un zest de sincérité en plus.
Faut dire que des dizaines de milliers de francs ont ainsi été perdus, au profit des aigrefins, d’habiles beaux parleurs, parfois déguisés en prêtres ou en religieuses, même si sous la robe se dissimulait quelquefois un homme. Le mâle choisit souvent de drôles de stratagèmes pour tromper des religieuses, pas toujours attentives à discerner le mal. Faut dire aussi qu’il est tout aussi facile d’abuser de la crédulité d’une religieuse, le coeur naturellement porté vers le bien et le partage, qu’à un Ronaldinho de passer une défense de vétérans.
Bref, fini, ras le bol: religieuses et religieux de Fribourg et d’ailleurs se sont passés le mot: méfiance. Quitte à faire une entorse à leur charisme, lassés qu’ils sont de s’être «faits avoir» tellement de fois. Aujourd’hui, les instructions sont claires: on ne donne plus aux portes (voir encadré ci-dessous). Quoique. «Certaines de mes consoeurs continuent à y aller de leur obole à coups de 10 ou 20 francs. Leur sentiment de pitié étant plus fort que leur devoir d’obéissance», relève, amusée, Soeur Francisca Kaelin, supérieure des Ursulines à Fribourg. Précisions: les noms des maisons où se sont déroulés les faits sont volontairement tus. Morceaux choisis
Des idées et des gains: «Allo. ici ’Sister’ Anne, de la maison soeur au Rwanda. Vous allez avoir la visite d’un médecin chargé de réceptionner un important matériel médical pour un hôpital dans notre pays. Je vous demande de bien l’accueillir». Quelques minutes plus tard, un fax, portant un en-tête de la congrégation plus vrai que nature confirme le téléphone. Histoire d’enlever le dernier doute quant à l’authenticité du document. Se présente alors le pseudo toubib, visiblement embarrassé: il a en effet besoin d’un numéro bancaire en Suisse pour faire transiter d’Allemagne une somme destinée à l’achat du matériel en question. A sa générosité, la soeur comptable, qui a reçu l’aval de ses supérieures, ajoute la bonté, jusqu’à accompagner notre homme à la banque, afin de prélever la somme: une trentaine de milliers de francs. Le compte en Allemagne avait bien entendu été vidé, rendu aussi sec que le regard du percepteur sur une feuille d’impôts. L’escroquerie, qui s’est poursuivie grâce à la bienveillance de plusieurs communautés, aurait pu aller bien au-delà, si une supérieure n’avait pas découvert le pot aux roses. Mais notre homme avait réussi à grossir son compte de plusieurs autres milliers de francs, après s’est fait héberger et goberger plusieurs jours durant par une communauté, elle aussi délestée de quelques billets de banque.
Le culot primé: Les deux hommes ont une quarantaine d’années. Nippés comme des lords, le verbe haut et généreux, ils se présentent un jour à la porte d’un couvent, prétextant représenter une association française chargée de la réinsertion des prisonniers. Juste ce qu’il faut pour attendrir. Surtout que leur dossier est imposant. Comme d’ailleurs leur discours à faire pleurer y compris le bon Dieu. Le reçu signé, l’argent – un millier de francs – dans la poche, nos deux arnaqueurs prennent congé. Pour se diriger vers un autre couvent. La même histoire reviendra trois ou quatre fois au moins lors de notre enquête, avec des montants plus ou moins importants.
Public de nonnes pour comédienne: Le visage ravagé par la douleur, la jeune femme n’hésite pas à sonner à la porte de cette maison habitée par de braves soeurs, tellement disponibles à l’écoute. La misère ne connaît pas l’heure pour frapper. Et cette femme aux talents de comédienne bien affirmés ne le sait que trop. «Mon mari m’a battue, pris l’argent de la maison et ma voiture. Je me retrouve démunie, avec mes deux gosses. Le troisième étant chez sa grand-mère à Genève. Pouvez-vous m’aider à acheter nos billets de train pour Genève?» Tant de détresse révolte la religieuse, qui finira par lui tendre l’argent, après moult recommandations. Le même stratagème sera utilisé au moins trois fois à notre connaissance, avant qu’une mauvaise interprétation de son rôle ne la fasse remarquer.
Défaillante imagination: L’histoire du financement du billet de train revient du reste assez souvent dans les amorces d’arnaques. Un «pauvre hère» se présente un jour à la porte du couvent. Il a besoin d’argent pour se rendre à Zurich pour l’enterrement de son père. On ne ment pas sur la mort d’un cher disparu. L’histoire ainsi débitée ne peut qu’être vraie. Sauf qu’un mois plus tard, notre quidam se présente à la porte du même couvent, pour à nouveau débiter son histoire au même religieux, qui lui fera cette fois gentiment remarquer que son papa venait de mourir. pour la seconde fois. Et que dire du trou de mémoire de ce jeune homme à qui un religieux avait donné un billet de train pour Lausanne afin de lui permettre de se rendre à un rendez-vous d’embauche, et qui, une heure plus tard, tentera de revendre à la gare son billet. Au même religieux.
Mendicité généreuse: Touché, apitoyé, un religieux fait un jour don d’un billet de 20 francs à un bonhomme rencontré dans la rue. Qui invite aussitôt le prêtre à prendre le verre de l’amitié au premier bistrot venu. Le verre et quelques amuse-gueules, que s’est empressé de payer notre mendiant: addition: 19,20 francs. Bénéfice: 80 centimes. Coluche n’aurait pas fait mieux: l’histoire suivante se passe à Zurich, elle est narrée par un prêtre, auprès de qui un aventurier avait sollicité un rendez-vous. La discussion est longue, philosophique, d’autant que le quidam n’est pas dénué de connaissances. Une heure passe: «Je vous ai déjà pris assez de temps, je vous remercie pour votre disponibilité. Je dois me rendre à Bâle en auto-stop, j’ai là-bas une adresse où je pourrai manger, vu que je n’ai rien pris depuis longtemps». Touché, compatissant vis-à-vis de l’astucieux parleur, le prêtre lui refile 200 francs. Le coquin n’avait pourtant rien demandé. Quelques jours plus tard, il apprendra que semblable démarche avait été entreprise auprès d’un confrère. Et combien d’autres avant?
Même le bon Dieu doit bien se marrer: Quoique.lâche une religieuse fribourgeoise, qui se souvient: «Un jour, un homme est arrivé chez nous. Il a posé une bougie au milieu de la table, l’a allumée, avant de disposer autour de la flamme toutes ses factures. Qu’il voulait me refiler». Colère et insultes du citoyen après le refus essuyé. Il exigeait qu’elle retire sa croix: «Vous n’êtes pas une soeur, vu votre manque de pitié». «La vocation ne veut pas dire croire n’importe quoi. En tout cas pas au point de fermer les yeux et ne pas voir le mensonge», commente Soeur Kaelin. Que celui qui ne s’est jamais fait avoir me jette le premier billet. PR
Encadré
Faux prêtres, fausses religieuses mais vrais hommes
Les histoires de faux prêtres et de fausses religieuses, y compris de mecs déguisés en soeurs, reviennent très souvent. Certaines sont relativement récentes, mais d’autres ont pris quelques rides. Florilège des plus croustillantes, des plus invraisemblables et néanmoins authentiques… «Muni de fausses recommandations et de faux papiers, un homme a réussi à se faire passer pour un prêtre dans une paroisse du canton de Fribourg pendant près d’un mois. Il a prêché, confessé et distribué la communion, rapporte une religieuse, témoin de cet événement, il y a bien des années déjà.
Un mois? Record battu, avec cet autre, accueilli dans une communauté en ville de Fribourg, et qui a réussi à se faire passer pour un prêtre durant un an. «Il ne voulait célébrer que les messes d’enterrement, ce qui nous a bien entendu intriguées, témoigne une soeur membre de la communauté. Comment a-t-il été démasqué? «L’homme a un jour laissé tomber son bréviaire. Des papiers à l’intérieur se sont échappés, suffisamment compromettant pour mettre la puce à l’oreille d’une consoeur, qui a averti l’évêché. Il a été arrêté». Même les couvents où les règles les plus strictes sont observées se laissent prendre. Et jusqu’à la chartreuse française, où un «religieux» a poussé le culot jusqu’à s’y faire accueillir pendant plusieurs jours, et même à dire la messe. L’image du frère de Taizé a elle aussi été utilisée à maintes reprises par un individu. Au point de tromper des communautés fribourgeoises et jurassiennes De leur soutirer, après hébergement, quelques menus billets.
Rien, pourtant, en comparaison, d’un pseudo prêtre du Honduras, habillé d’une soutane délavée. quêtant avec succès pour ses bonnes oeuvres. «Il sentait tellement mauvais», se souvient la supérieure d’un couvent. Il est reparti avec quelques billets. Combien? Son sourire sera sa réponse. Faux prêtre? Et faux évêque. «Nous l’avons effectivement accueilli. Il venait quêter pour un orphelinat en Afrique», affirmera encore cette autre supérieure. Là aussi plusieurs billets sont venus grossir ses poches. Renseignement pris auprès de l’évêché, «un peu tard», avouera la religieuse, il s’avérera qu’il n’était pas plus évêque qu’un radin n’est généreux. Cocasse: la généreuse religieuse avait eu des scrupules en pensant qu’elle ne lui avait pas remis assez.
Reste quelques «belles histoires», pour les bonnes oreilles, si l’on peut dire, de fausses religieuses accueillies dans des couvent. «Deux d’entre elles sont un jour arrivées à notre porte, munies d’une véritable recommandation de l’évêché. Nous les avons accueillies comme il se doit, durant plusieurs jours, avant d’apprendre un peu par hasard qu’elles s’étaient rendues dans un commerce de Fribourg pour y fabriquer de fausses clés, après qu’une de nos consoeurs les aient surprises dans leur chambre. Il s’agissait en réalité d’un couple», témoigne la supérieure d’un important couvent. Cerise sur le gâteau: deux religieuses hôtes d’une communauté du côté de Fribourg assistaient comme il se doit à la messe dominicale. «Il aura fallu le sens de l’observation d’une gamine, qui s’en alla confier à une consoeur qu’une des deux dames ne pouvait en être une, vu qu’elle avait des poils au bras». En Valais enfin, une fausse religieuse a été trahie par un besoin pressant, par un vrai réflexe de mec. PR
Encadré
Il fallait bien une exception à ces histoires glanées ici et là dans la région. Témoignage d’un vieux religieux: «Il y a une douzaine d’années, une brave dame en fin de vie me fait demander. Mon père, me dit-elle, dans la cave de ma maison, sous quelques tuiles, grattez un peu la terre, vous allez y trouver une partie de mes économies. Utilisez cela pour vos oeuvres». Dans un chaudron, bien à l’abri des regards, des kilos de vrenelis avaient été amassés patiemment. Pièce par pièce. «Cette dame, qui avait fait fortune dans l’immobilier, dans une importante ville lémanique, ne jurait que par les vrenelis. Par la suite, d’autres confidences me conduiront vers d’autres emplacements: sous des bûches de bois dans une autre de ses bâtisses, dans des coffres de plusieurs banques. Que des vrenelis. Des kilos de pièces, pour un montant global de plus de 1,4 million de francs». Avec ce magot, le religieux a créé une fondation, dotée des statuts juridiques nécessaires. Chaque mois, le conseil d’administration lui verse 500 francs. Pour lui permettre de distribuer sa manne aux quémandeurs qui continuent d’affluer à la porte de son couvent. PR
Encadré:
Certaines religieuses n’hésitent pas à parler de bandes organisées. «Des individus poussent le culot en venant avec une liste de toutes les maisons religieuses et avec un plan de Fribourg, marqués des emplacements des maisons à visiter», assure une supérieure. «Le pire est qu’ils ne s’en cachent pas. Une fois même l’un d’entre eux avait poussé jusqu’à demander la route à suivre pour se rendre dans un autre couvent». Face aux abus, les congrégations religieuses, hommes et femmes, ont pris la décision de ne plus rien donner à la porte. Bien que. «Nous les envoyons dorénavant à Caritas Fribourg. Nous avons en effet décidé de donner chaque année entre 10’000 et 12’000 francs pour l’accueil du samedi matin, accueil que nous assumons à tour de rôle pour recevoir les plus nécessiteux». Sans parler des contributions des maisons religieuses aux cartons du coeur. Et des bons pour des nuits et des repas à la Tuile – un refuge pour les sans abri – et à Banc Public un centre d’accueil de jour. Le tout pouvant atteindre en moyenne plus de 500 francs par mois et par congrégation dans certains cas. (apic/pr)