Le cardinal Barbarin condamne les rémunérations «incroyables» de chefs d’entreprise
Tour d’horizon de la politique française avec le Primat des Gaules
Paris, 28 juin 2006 (Apic) Dans un entretien accordé au «Monde», le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon et Primat des Gaules, s’élève contre la dégradation de la situation politique française après la question du CPE, qui a vu les jeunes, en particulier, descendre dans la rue, il s’élève également après l’affaire Clearstream aussi, et parle de la polémique sur les rémunération des grands dirigeants.
A la question du journaliste du «Monde», Henri Tincq, à savoir comment réagit l’homme d’Eglise devant le fossé qui se creuse entre les responsables politiques et l’opinion, l’homme d’Eglise répond par une autre question: «Faut-il en rajouter dans l’hallali?». Avant d’ajouter: «Les hommes politiques ne sont pas aveugles sur les défauts du système. L’importance donnée aux sondages, l’approche des échéances électorales, l’idée qu’ils se font de leurs électeurs ne favorisent pas leur liberté». Selon l’archevêque de Lyon, les élus eux-mêmes reconnaissent qu’ils agissent dans la précipitation: «un dossier arrive au vote, et on ne l’a pas étudié». Et de confier: «Un député m’a dit un jour qu’il regrettait d’avoir voté la loi sur la bioéthique, contre laquelle l’Eglise était intervenue par souci du respect de l’embryon : «Je n’ai même pas fait attention, car l’impact médiatique était nul, et il n’y avait pas de voix à gagner !»
Il est là le péché de la classe politique, assure le cardinal Barbarin. «Mais nombre d’élus s’attaquent aussi avec ardeur aux vrais problèmes : progresser dans l’art de vivre ensemble, faire attention à ceux qui peinent à trouver leur place dans la société, encourager les initiatives et l’esprit d’entreprise. Il est trop facile de crier «tous pourris». Qu’on me montre un corps social sans défauts ! En fait, face au pouvoir, l’opinion oscille entre la fascination et la critique systématique et ce n’est pas une attitude juste. J’avais aimé l’expression d’Arlette Laguiller quand elle avait expliqué son ralliement à François Mitterrand à la présidentielle de 1974 : «Je voterai sans illusion, mais sans réserve.» Ce sont deux mots qui sonnent juste pour caractériser l’engagement des chrétiens en ce domaine».
Dimension planétaire aussi
En 2002, après le premier tour, on a crié au séisme. Après l’échec du référendum sur l’Europe, on a crié au séisme. Après la crise des banlieues à l’automne ou du CPE au printemps, on a encore crié au séisme… «Il vaudrait mieux être moins grandiloquent et agir : tenter de comprendre d’où vient le malaise, en tirer les conséquences, redonner force, confiance et paix à la société».
Avec Henri Tincq, le cardinal aborde la dimension planétaire, tant au plan écologique que financier. Selon lui, le lien entre les problèmes de l’immigration en France et l’extrême pauvreté des pays d’origine est une évidence. Certaines dépenses, même pour des réalisations techniques admirables, me font honte. Le concile Vatican II rapporte le célèbre mot des Pères de l’Eglise: «Donne à manger à celui qui meurt de faim, car si tu ne lui as pas donné à manger, tu l’as tué.» Il faut prendre le problème à sa racine, sortir de notre aveuglement. La France s’est engagée, il y a trente ans, à fournir 0, 7 % de son produit intérieur brut pour l’aide au développement. Je trouve que c’est bien pingre, et je suis scandalisé que nous ne tenions même pas cette promesse».
L’argent rend fou
A propos des rémunérations des grands dirigeants, le Primat des Gaules ne mâche pas ses mots: «L’Evangile disait déjà que l’argent rend fou. Quand on voit les rémunérations incroyables de certains chefs d’entreprise, de sportifs ou d’artistes, on se demande où va s’arrêter la valse des zéros qu’on ajoute. Qui va pousser un cri ? Comment réguler ce système ? Nous attendons des initiatives des responsables politiques».
Et le cardinal d’estimer que, «oui, la démocratie est en danger si le débat public reste terne et désenchanté, si on a l’impression qu’il n’y a plus de valeur stable et que tout flotte». Les chrétiens veulent, humblement et résolument, tenir leur place, dit-il. «L’Eglise ne peut, ni ne doit prendre en main la bataille politique, mais elle ne peut, ni ne doit rester à l’écart», rappelle à ce propos le cardinal, à propos de ce qu’a écrit Benoît XVI dans sa dernière encyclique. (apic/lm/ht/pr)