Vevey: La Mission Evangélique Braille (MEB) a fêté ce week-end son 50ème anniversaire

«Les aveugles ont de la valeur, ils sont comme tout le monde»

Jacques Berset, agence Apic

Vevey, 13 octobre 2006 (Apic) Avec seulement trois salariés à plein temps, une équipe de 50 bénévoles et un petit budget qui tourne autour de 600’000 francs, la Mission Evangélique Braille (MEB) à Vevey apporte un peu de lumière aux aveugles et aux handicapés de la vue du monde francophone.

Alors qu’elle fête cette année son demi-siècle d’existence, la MEB, qui vit essentiellement de dons privés, de ses propres prestations et productions, mais également du financement de projets en Afrique par la Direction du développement et de la coopération (DDC) de la Confédération et de l’oeuvre d’entraide protestante «Pain pour le Prochain», veut se faire connaître d’un plus large public.

La maison de la MEB, à l’Avenue Louis-Ruchonnet 20 à Vevey, vibre comme une fourmilière: l’équipe prépare fébrilement le 50ème anniversaire de cette oeuvre unique en son genre en Suisse. Sur une table, plusieurs volumes sont prêts à être reliés à la main. Mais la grande production – la Bible, les abécédaires, etc. – est imprimée à Ermelo, aux Pays-Bas, chez un spécialiste, qui reçoit les fichiers préparés à Vevey, précise Heinz Rothacher, secrétaire général de la MEB.

Ce solide Bernois, ancien officier de l’Armée du Salut – dont il a dirigé la Division du Léman – installé en Suisse romande depuis trois décennies, a repris en main la MEB il y a plus de trois ans. «Nous sommes spécialement équipés pour répondre aux besoins spirituels des aveugles, mais pas seulement, car nous tenons compte aussi des besoins psychiques et sociaux de ceux que nous aidons. Ainsi, nous contribuons à leur alphabétisation», lance-t-il dans un français parfait.

En Afrique francophone sub-saharienne, dix millions d’handicapés de la vue

Rien qu’en Afrique francophone sub-saharienne, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recensé dix millions d’handicapés de la vue, dont au moins deux millions sont totalement aveugles. «C’est gigantesque. Le nombre d’aveugles ne diminue pas dans ces régions, car les malades n’ont souvent pas accès aux soins, étant considérés comme des bouches inutiles à nourrir. On les cache, c’est la honte de la famille. Les aveugles sont abandonnés dans la rue!»

Dans de nombreuses régions d’Afrique, de simples maladies comme la rougeole, la rubéole – quand ce n’est le manque de vitamines A ou l’oncocercose, transmise à l’homme par la piqûre d’une petite mouche noire – provoquent la cécité.

Mais depuis quelques années, la MEB et d’autres ONG font de l’alphabétisation, organisent l’apprentissage de petits métiers adaptés au handicap des aveugles. «On veut montrer aux populations que les aveugles ont de la valeur, que ce sont des gens comme tout le monde», souligne Heinz Rothacher. «On travaille à leur intégration en concert avec les Eglises locales, car ce sont les seules institutions qui ont un peu de compassion pour ce genre de personnes. Les aveugles ne sont pas une priorité pour ces gouvernements».

Sur le terrain, il faut souvent tenir compte des coutumes, passer par le chef du village, palabrer, pour pouvoir faire quelque chose. «On est en principe bienvenus, car on vient pour une bonne cause, mais il faut toujours respecter les coutumes locales. Il y a des régions comme au Burkina Faso, où le matin, si une personne croise un aveugle, elle pense que toute la journée sera gâchée! Dans d’autres lieux, les gens ont peur de les côtoyer, par crainte d’attraper leur maladie».

Présente avec des antennes au Burkina Faso, au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Congo (Brazzaville et RDC), la MEB veut casser cette image. Grâce à l’alphabétisation en braille, par le biais de l’abécédaire «Du noir au braille», elle peut alphabétiser des aveugles en quelques mois. «Avec ce bagage, en Afrique, la porte pour eux va s’ouvrir!»

La MEB, certes, se veut au service des aveugles au plan spirituel. «Mais on doit d’abord mener des campagnes d’alphabétisation, car on ne pourrait leur envoyer une Bible en braille qui pèse 60 kilos (60 volumes, 4 m de hauteur quand on les place les uns sur les autres!) On ne peut apporter seulement un soutien spirituel à des gens qui n’ont rien du tout. Mais c’est sûr que la foi aide, motive, donne de l’espérance, c’est souvent le moteur qui procure l’impulsion pour l’apprentissage d’un métier, pour se battre pour l’intégration, car c’est toujours une lutte pour eux de trouver une place dans la société».

Heinz Rothacher reconnaît que l’appellation «évangélique» qui a été conservée à la MEB peut provoquer de la méfiance chez certains, qui craignent peut-être du prosélytisme. Mais, insiste-t-il, quand on travaille avec les aveugles, «on ne fait pas de confessionnalisme, on n’est pas une secte».

«Les aveugles font bien moins de différences que les voyants, c’est l’oecuménisme vécu. Au Burkina Faso, par exemple, on travaille avec des musulmans, des animistes, des catholiques, des protestants, des évangéliques, etc. Les aveugles viennent de toute façon quand nous organisons quelque chose avec eux, car d’ordinaire, personne ne s’en occupe. Heureusement, dans ces pays, pour le moment, on peut encore parler de tolérance et d’acceptation mutuelle. On n’est pas considérés comme une secte qui viendrait convertir les gens, on ne fait que réhabiliter des aveugles, leur apprendre à lire, à avoir un métier.Ces derniers n’ont d’ordinaire pas accès aux soins, sauf peut-être dans la capitale, du moins s’ils en ont les moyens. A Kinshasa, par exemple, il n’y a actuellement que six ophtalmologues formés sur place. pour 60 millions d’habitants».

«On a déjà fait le saut du MP3»

A Vevey, la MEB prépare toujours des cassettes produites dans le studio analogique, car tout le monde n’est pas équipé des nouvelles technologies. «On a déjà fait le saut du MP3, même dans un format particulier, le «Daisy». Cette lecture à six niveaux est très pratique pour les aveugles», insiste Heinz Rothacher. La MEB ne produit pour le moment que des copies DVD, mais le studio d’enregistrement numérique est en projet. Il devrait être installé en janvier.

A noter qu’en Suisse, quelque 500 aveugles sont en contact avec la MEB, «qui est un peu leur club et leur Eglise». Grâce aux progrès de la science et de la médecine, l’on opère aujourd’hui sans problèmes les cataractes ou d’autres maladies de la rétine. Dans les pays développés, la cécité n’est plus un problème aussi lancinant que par le passé. Les moyens techniques mis à disposition d’un aveugle sont conséquents et il devient presque une personne normalement intégrée. «La mission pour les aveugles a commencé en Suisse à une époque où les besoins étaient là, car mal considérés, ils étaient souvent sans espoir, parfois même candidats à l’alcoolisme ou au suicide. Aujourd’hui, il y a tellement de possibilités chez nous que l’aveugle, on le remarque de moins en moins!». JB

Encadré

Les encouragements de Jean Paul II

Le premier volume en braille de «Parole de Vie», la Bible en français fondamental, a été présentée au pape Jean Paul II au Vatican en automne 1991. Il s’agit d’une Bible traduite par Soeur Lydie Rivière, qui voulait rendre la parole de Dieu accessible notamment aux lecteurs d’Afrique francophone nouvellement alphabétisés.

C’est le diacre Alain Décoppet, de l’Eglise évangélique réformée vaudoise, qui est handicapé de la vue et collabore à la MEB à Vevey, qui lui a montré cet immense travail en langue braille. «Le pape nous a encouragés à distribuer cette parole de Dieu aux aveugles, et nous le faisons», relève Heinz Rothacher, secrétaire général de la MEB. JB

Encadré

Les téléphones portables usagés permettent à des aveugles africains de vivre

La MEB à Vevey récolte des téléphones portables usagés (natels), qui permettent à des aveugles africains de vivre. «Il y a tellement de natels qui dorment dans les tiroirs, car chez nous, beaucoup en changent toutes les années. Alors qu’en Afrique, les aveugles – qui restent souvent en marge de la société – peuvent facilement communiquer avec cette technologie. Cela recrée les liens sociaux, ce qui facilite l’intégration», souligne Heinz Rothacher, secrétaire général de la MEB.

Depuis Vevey, la MEB procure deux natels avec chargeurs à un certain nombre d’aveugles africains. Ils en vendent un pour se procurer des cartes de prépaiement, et avec l’autre, ils s’installent au bord de la route, et offrent un service de location. Ils reçoivent ainsi 2 francs CFA par appel, «ce qui leur permet de vivre. avec un téléphone portable usagé qui n’avait plus d’utilité chez nous!» La MEB ne travaille pas avec les grandes compagnies de téléphonie, mais fait appel aux dons des privés, «car nous voulons créer des liens, pour que les gens se sentent concernés par ce travail avec les aveugles». JB

Encadré

Une association interconfessionnelle fondée en 1956

Fondée en 1956, la Mission Evangélique Braille (MEB) est une association interconfessionnelle, sans but lucratif et reconnue d’utilité publique par l’Etat de Vaud (Suisse romande) depuis 1963. Elle est au service des handicapés de la vue francophones pour mettre à leur disposition la Bible et de la littérature chrétienne en braille et sur support sonore. La MEB répond à leurs besoins spirituels, les accompagne par la correspondance en braille et offre des temps de vacances/retraite spécialement organisés à leur intention. Elle sensibilise l’Eglise et la société à leurs problèmes.

La MEB coopère activement au développement durable en soutenant des projets d’alphabétisation, de formation et de réhabilitation d’aveugles dans plusieurs pays d’Afrique francophone: Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Bénin, Congo (Kinshasa et Brazzaville). Elle milite également pour la campagne «Stop Pauvreté 2015», Objectif du Millénaire du Développement (OMD) de l’ONU. MEB/JB

Encadré

Cécogramme, le courrier gratuit pour les aveugles

Le saviez-vous ? Un cécogramme est une petite vignette spéciale ou un timbre particulier utilisable pour les envois postaux effectués au plan national comme à l’étranger. Il permet à un mal voyant ou à un aveugle d’envoyer gratuitement un pli ou un paquet, qu’il s’agisse de lettres en braille ou de cassettes enregistrées pour des non voyants. Cet envoi en franchise est un service gratuit pour les aveugles régi par une convention internationale de l’Union Postale Universelle (UPU). Les cécogrammes sont francs de port jusqu’à 7 kg. Les lettres recommandées (R), les avis de réception et les réclamations sont également gratuits pour les aveugles. JB

Des illustrations de cet article peuvent être commandées à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax. 026 426 48 36 Courriel: info@ciric.ch ou directement par Internet sur le site www.ciric.ch (apic/be)

13 octobre 2006 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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