Fribourg: Mgr Hilarion Alfeyev présente son livre «Le mystère sacré de l’Eglise»
Une controverse qui pourrait être oecuménique
Jacques Schouwey, Apic
Fribourg, 20 avril 2007 (Apic) Le livre de l’évêque orthodoxe russe Hilarion Alfevev, «Le mystère sacré de l’Eglise», relance le débat relatif à la vénération du Nom de Dieu dans la tradition chrétienne orientale. L’auteur en a présenté la problématique lors d’un vernissage à l’Institut d’études oecuméniques de l’Université de Fribourg, jeudi 19 avril.
En présence du recteur de l’Université, Guido Vergauwen, de Mgr Francesco Canalini, nonce apostolique, de Mgr Pierre Bürcher, des professeurs Philippe Lefebvre et Martin George, Mgr Hilarion a expliqué que son livre était un historique sur les origines et développements de la thématique du Nom divin dans l’orthodoxie, ainsi qu’une analyse des arguments des mouvements qui s’opposent à ce sujet.
La problématique
La controverse sur le culte du Nom de Dieu est apparue au début du 20e siècle avec la parution d’un petit livre du moine Hilarion du Mont Athos. Le religieux présente un guide pratique de la prière de Jésus, qui n’a rien de théologique, mais qui va engendre de grandes discussions dès 1907. Les débats donneront naissance à deux courants de pensée, selon qu’on vénère ou non le Nom de Dieu. Les onomatomaques seront ceux qui refusent de considérer le Nom de Dieu comme digne d’adoration estimant que c’est réduire la transcendance divine à un mot et ne voir dans le nom de Jésus qu’un nom humain; pour eux, tout nom n’est que relatif. Les onomatodoxes, eux, verront dans le Nom de Dieu quelque chose de digne d’adoration, parce que supérieur à tout nom. Pour eux, le Nom de Dieu est identique à Dieu et doit ainsi être vénéré par-dessus tout.
Selon l’évêque, cette controverse a des racines profondes dans la Bible, partout où il est parlé du Nom de Dieu, en particulier dans l’Exode (3,13-14) où Dieu dit à Moïse qui il est: «Je suis qui je suis». La place de l’icône dans la tradition orthodoxe joue aussi un rôle d’antécédent dans cette dispute sur le Nom de Dieu.
Lutte contre la vénération du Nom de Dieu
Mgr Hilarion a également relevé les graves conséquences concrètes sur la spiritualité en Russie. Ainsi, par exemple, en 1913, la querelle aboutit à l’excommunication de 1’000 prêtres onomatodoxes. Ce rude coup eut aussi des répercussions sur le monachisme du Mont Athos: durant cette même année 1913, le couvent passa de 1’464 moines à 863, 411 ayant été déportés dans un premier temps, 136 dans un second, et 17 ayant disparu. Les conséquences de la répression «cruelle et inhumaine» par l’Eglise contre les défenseurs de l’onomatodoxie eut pour suite d’accélérer la chute du nombre de moines: il n’en restait que 14 en 1960. Aujourd’hui, ils sont environ 50. Pour Hilarion Alfeyev, ces répressions au sein de l’Eglise ont contribué à sa propre perte à la veille de la Révolution russe. Au lieu de chercher un consensus, l’Eglise en est venue à des oppositions bien tranchées entre théologie et prière, savoir et foi, monastères et écoles de théologie.
Interventions à propos du livre de Mgr Hilarion
Le Père Philippe Lefebvre a proposé trois petites méditations bibliques sur le Nom de Dieu. Il indique d’abord que par sa révélation à Moïse, qui se fait par le Nom, Dieu prévoit la place de l’humain avec lui. Il souligne ensuite que le Nom de Jésus a une histoire dans l’Ancien Testament: Josué, successeur de Moïse. Il précise enfin que le Nom de Jésus (»Dieu Sauveur») récapitule tous les noms de fils avant lui.
Mgr Pierre Bürcher, ayant lu le livre in extenso, considère que la thèse d’Hilarion Alfeyev est spécifiquement orthodoxe. Il établit un parallèle entre la vénération du Nom de Dieu et la recherche de son Visage à travers le Christ. L’accent doit être placé, selon lui, sur la personne du Christ, et non pas sur une question de doctrine, faisant référence à cet égard au dernier livre de Benoît XVI. Cette séance académique représente, aux yeux de Mgr Bürcher, l’occasion de tisser des liens entre l’Orient et l’Occident, d’unir les deux «poumons de l’Eglise».
Le doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Berne, Martin George, luthérien, ouvre une perspective pour le livre de Mgr Hilarion: ce texte devrait être mis en parallèle avec la première demande du Notre Père, «Que ton Nom soit sanctifié», pour développer une réflexion oecuménique de la place du Nom de Dieu dans la spiritualité chrétienne.
Encadré
Ex secrétaire pour les relations oecuméniques du Patriarcat de Moscou, Mgr Hilarion, né en 1966, d’origine lituanienne, est évêque de Podolsk et représentant du Patriarcat de Moscou auprès des institutions européennes à Bruxelles. Depuis mai 2003, il est évêque pour Vienne et toute l’Autriche. Il est également privat-docent à l’Université de Fribourg. Auteur de nombreuses publications théologiques, il est aussi compositeur de musique. Ses pièces les plus connues sont la Divine Liturgie orthodoxe et la version musicale pour la célébration de la Veillée Nocturne pour choeur. Il a également composé une Passion du Christ selon saint Mathieu qui a été jouée à Rome lors des dernières fêtes pascales. En Occident, il est l’un des principaux acteurs du dialogue entre l’Eglise orthodoxe et l’Eglise catholique, ne cherchant pas avant tout un compromis théologique, mais défendant la poursuite de la mission commune aux deux Eglise de promouvoir les valeurs chrétiennes. JS
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