Le Père Samir invite les Suisses à la prudence

Fribourg: Conférence sur la cohabitation entre chrétiens et musulmans

Bernard Bovigny, Apic

Fribourg, 26 avril 2007 (Apic) Les Suisses sont invités, dans le dialogue avec les musulmans, à ne pas renoncer aux valeurs qu’ils ont mis des siècles à mettre en place. C’est en substance le message délivré le 25 avril à Fribourg par le jésuite Samir Khalil Samir. Ce religieux d’origine égyptienne était l’hôte, avec le spécialiste de l’islam en Suisse Erwin Tanner (*), de la Corporation ecclésiastique cantonale. Ils animaient une soirée de réflexion sur «Comment aider chrétiens et musulmans à vivre ensemble?».

Fraternité, dialogue: oui et sans restriction. «Mais attention à ne pas renoncer à ce que vous autres Suisses avez mis des siècles à construire, à savoir une démocratie, un Etat fédéraliste et une société qui se distingue entre autres par sa propreté, sa ponctualité et sa bonne organisation». C’est notamment ce qu’a transmis le Père Samir Khalil Samir lors de la rencontre de mercredi soir à la salle paroissiale du Christ-Roi. «Si l’on vient en Suisse, c’est que vous avez quelque chose que l’on n’a pas et que l’on doit apprécier», a-t-il lancé aux quelque 80 participants.

Le voile, avant tout un message politique et social

Parmi les motifs d’immigration des musulmans venus en Suisse ces dernières décennies, figure en tête la recherche d’une vie plus digne et d’une activité professionnelle. «Ils ne sont pas venus ici pour mieux pratiquer leur islam», a souligné ce grand expert catholique de l’islam. «Ils savent qu’ils viennent dans un pays de tradition chrétienne. Ils n’ont pas de projet politico-religieux». La difficulté vient parfois d’imams ou de prédicateurs venant de l’extérieur, et qui arrivent à faire «gober» presque n’importe quoi aux Suisses, selon le Père Samir.

«L’intolérance est très mal vue en Occident. Et l’on se fait traiter d’intolérant chaque fois que l’on tente de restreindre la liberté religieuse des musulmans. Et bien oui, je suis moi-même intolérant avec l’intolérance», lance le religieux égyptien, qui appelle les Suisses au discernement. Le port du voile, selon lui, ne relève pas de la liberté religieuse, mais constitue un message politique et social. Il a pris son envol dans la mouvance de la restauration de l’islam, à la fin des années 80 et il est devenu le symbole de la soumission de la femme. «Alors qu’il était rare il y a 20 ans, la femme qui ne porte pas le voile en Egypte se sent maintenant toute honteuse», relève le Père Samir.

L’islam en crise tire sur l’Occident

Alors que l’islam se distingue en Occident par des paroles triomphantes et par des revendications, il traverse en réalité une des plus importantes crises de son histoire moderne, et peut-être même de son histoire, selon Samir Khalil Samir. Pourquoi les autres sociétés ont-elles ainsi progressé et pas nous? Depuis le début du siècle dernier, le monde musulman se pose des questions sur son développement scientifique et technique. Et pour se consoler, certains tirent à boulets rouges sur «la régression morale de l’Occident».

Le siècle dernier a ainsi vu l’apparition de mouvements de restauration et de retour aux valeurs originelles de l’islam, comme les Frères musulmans. Leur attitude face aux «mauvais musulmans» consiste d’abord à les identifier, à prendre leur distance face à eux, puis à contre-attaquer. C’est cette mouvance qui a abouti à la formation de groupes extrémistes et parfois terroristes, selon le jésuite égyptien.

Puis la fin des années 80 correspond à la mouvance du retour aux valeurs ancestrales. Elle s’exprime entre autres par l’application à la lettre de la charia et par l’imposition du voile aux femmes. Les salafistes, eux, cherchent à imiter Mahomet. Il portait la barbe? Il s’asseyait par terre?, . Faisons de même et nous retrouverons la pureté originelle de l’islam, estiment-ils. «Ces gens veulent vivre comme au 21e siècle, mais se réfèrent à des valeurs vécues au 7e siècle», souligne le Père Samir.

De 2’703 musulmans en 1960 à 310’807 en 2000

En début de rencontre, Erwin Tanner avait mis en évidence l’augmentation du nombre de musulmans en Suisse. De 2’703 selon les statistiques de 1960 (soit 0,05% de la population), ils sont passés à 16’353 en 1970 (0,26%) et à 56’625 en 1980 (0,9%). Le recensement de 1990, après les crises des Balkans, faisait état de 152’217 musulmans en Suisse (2,21%), et celui de 2’000 de 310’807 musulmans (4,26%). «Et même s’ils font beaucoup parler d’eux, ils restent tout de même une petite minorité dans notre société», a relevé le professeur Tanner. Une grande majorité d’entre eux, soit près de 90%, proviennent des Balkans et de Turquie, ou sont des Suisses. «Ils ne sont donc pas de culture arabe».

Depuis une dizaine d’années, la visibilité de la minorité musulmane tend à augmenter. Elle se traduit par le port du voile – inexistant il y a 10 ou 15 ans-, par la multiplication des centres islamiques, par des revendications dans les écoles, par la demande de carrés confessionnels dans les cimetières, par l’apparition d’organisations faîtières dès le milieu des années 90 et plus récemment par les demandes de constructions de minarets. Or, se référer au droit à la liberté religieuse ne suffira pas pour résoudre ces questions à long terme. Elles devront être abordées sous l’angle de la relation entre religion et Etat, selon Erwin Tanner. BB

(*) Le Père Samir Khalil Samir est docteur en théologie orientale et en islamologie. Ce jésuite est fondateur et directeur du CEDRAC (Centre de documentation et de recherches) à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth/USJ, professeur de sciences religieuses à l’USJ et d’études islamo-chrétiennes à l’Institut Pontifical Oriental de Rome, et dans d’autres Universités. Il est connu mondialement comme spécialiste de l’Orient chrétien et des relations entre l’Islam et l’Occident. Fondateur et directeur de plusieurs collections arabes chrétiennes et de quelques revues orientalistes, il est l’auteur de 36 livres et de plus de 500 articles scientifiques concernant les relations entre le monde musulman et l’Occident, comme la pensée arabe chrétienne et l’islam. Le CEDRAC a pour but de mettre en valeur le patrimoine du christianisme arabe, héritier du patrimoine chrétien moyen-oriental, en vue d’une meilleure intelligence de la place et de la fonction des chrétiens dans ce Moyen-Orient. Erwin Tanner est licencié en droit et en théologie. Il est collaborateur scientifique à la Conférence des évêques suisses et secrétaire du groupe de travail «Islam». Il a été secrétaire de l’Institut de Droit des Religions de l’Université de Fribourg. (apic/bb)

26 avril 2007 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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