Algérie: Le sida reste encore largement un tabou dans la société musulmane

Apic Interview

Rencontre avec la journaliste algérienne Nassima Oulebsir

Jacques Berset, agence Apic

Sherbrooke/Alger, 26 juin 2007 (Apic) L’Afrique sub-saharienne enregistre des taux records de sida, mais l’Afrique du Nord n’est pas épargnée. En Algérie, note la jeune journaliste Nassima Oulebsir (*), le vih/sida demeure un tabou. Les personnes à risques refusent d’ordinaire de se soumettre au dépistage précoce, ce qui ne rend pas facile le traitement et la prise en charge des patients atteints.

Officiellement, l’Algérie comptait à la fin septembre dernier 740 cas de sida et 2’092 cas de séropositifs depuis 1985, date où l’on a commencé à parler de la pandémie. Ce sont là les chiffres du ministère algérien de la Santé. Mais selon des experts de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Algérie connaîtrait au moins 20’000 cas de sida non dépistés. Il reste difficile d’en parler dans cette société musulmane, où l’on reste méfiant face à la prévention et à l’utilisation du préservatif pour endiguer la pandémie. Il arrive que des imams accusent les associations d’aide aux malades du sida d’incitation à la débauche.

L’Apic a rencontré Nassima Oulebsir, qui travaille depuis 6 ans comme journaliste. Elle fait partie depuis 2003 de l’équipe du quotidien national en langue française «Le Jeune Indépendant», journal fondé en 1990. Tirant à près de 39’000 exemplaires, il est distribué dans les 48 wilayas (collectivités publiques territoriales) d’Algérie. Journaliste musulmane, elle a reçu un prix de l’Union catholique internationale de la presse (UCIP) pour ses reportages sur les malades du sida en Algérie.

Apic: Nassima, vous affirmez que le sida en Algérie reste largement un tabou.

N.O.: En Algérie, le sida est effectivement un tabou, peut-être à cause de la religion, car les relations sexuelles avant le mariage sont interdites. On colle toujours des stéréotypes sur les malades du sida, et on oublie que l’on peut contracter la maladie autrement par des relations sexuelles.

Dans le reportage «les sidéens lancent un SOS», j’ai visité des sidéens pris en charge dans un hôpital d’Alger. Il faut reconnaître que, dans ce cas, leur situation médicale est bien assurée, car ils disposent de trithérapie. Mais ils se plaignent surtout de leur statut social, car les sidéens sont marginalisés en Algérie.

Dans un autre reportage, intitulé «Enfants de sidéens, ces futurs orphelins», je parle aussi d’enfants de parents atteints du vih/sida, dont le plus âgé a 16 ans et la plus jeune 11 ans. Ils sont obligés de quitter l’école pour travailler afin de subvenir à leurs besoins. Simplement parce que leurs parents, qui sont au stade final de la maladie, sont très malades et fatigués, et n’ont plus la force de travailler. Ces enfants doivent faire des petits boulots, ils vendent n’importe quoi dans la rue pour survivre. Ils sont considérés comme des «autres orphelins» – c’est le titre du reportage – dans la mesure où les parents malades ne peuvent plus rien faire pour eux. Cet article a provoqué des réactions dans la société algérienne, et on a fini par venir en aide à la famille dont je parlais.

Apic: Quelle est l’ampleur du sida en Algérie ?

N.O.: Les statistiques officielles parlent de 700 à 1’000 cas. Certes, ce n’est pas aussi dramatique que dans les pays d’Afrique noire, mais les chiffres réels font défaut, le dépistage précoce est déficient. Mais le plus grave, c’est que le sida reste en fait un tabou en Algérie. C’est encore une maladie dont on n’ose pas parler. Grâce aux médias, à la presse en particulier, on assiste tout de même à une prise de conscience dont on voit les premiers résultats.

Apic: Quand avez-vous découvert que votre pays était lui aussi concerné par le sida ?

N.O.: J’ai découvert le sida quand j’ai commencé mon métier de journaliste, il y a six ans, j’avais alors 23 ans. Depuis, tout ce qui concerne la lutte contre le sida m’intéresse. J’ai d’ailleurs bénéficié d’une formation sur «les journalistes et le vih/sida» à Toronto, au Canada, et à Maputo, au Mozambique.

Ce sont des stages subventionnés par la Fondation Kayser Family à Washington, qui lutte contre la pandémie du sida. J’avais été sélectionnée, et comme j’ai reçu cette formation, je poursuis mon engagement dans ce secteur.

Apic: Que signifie pour vous, comme musulmane, de recevoir un prix de l’UCIP, qui est une organisation catholique ?

N.O.: C’est justifié, et cela prouve qu’il n’y a pas entre nous un conflit de religions. Je prends cela comme un honneur particulier pour moi et ma famille, mais aussi pour toute la corporation journalistique en Algérie. JB

Encadré

L’Algérie de plus en plus consciente de la pandémie du sida

Les migrations de populations en provenance des pays africains du sud du Sahara constituent un facteur important de la propagation de la maladie, selon le ministère algérien de la Santé. Six centres prennent actuellement en charge les malades du sida, à Alger, Oran (ouest algérien), Annaba, Sétif et Constantine (est), Tamanrasset (sud). Neuf millions de dollars ont été alloués à l’Algérie par l’Onusida pour soutenir un plan de lutte. Le premier cas de sida en Algérie a été diagnostiqué en décembre 1985, selon le ministère de la Santé. Malgré les tabous, la télévision algérienne a commencé à parler des préservatifs comme moyen de prévention de la maladie, alors que les campagnes précédentes vantaient surtout les vertus de l’abstinence.

Notons que de plus en plus de jeunes Algériens s’adonnent aux drogues dures en utilisant des injections, augmentant ainsi le risque de transmission du sida. De plus, les Algériens sont souvent mal informés sur la pandémie, ne connaissant pas les différents modes de transmission, surtout la transmission sexuelle. La société algérienne continue à stigmatiser les sidéens. Cette culture du tabou et du rejet, relèvent les spécialistes de la lutte contre la pandémie, facilite de fait la prolifération de la maladie, car la révéler mène à l’exclusion sociale. JB

(*) Nassima Oulebsir, 28 ans, a fréquenté l’Institut des Sciences de l’Information et de la Communication (ISIC) à l’Université d’Alger. Elle traite dans son journal notamment des questions d’éducation, d’enseignement supérieur, de santé, de sida, des droits de l’homme, des droits de l’enfant. Elle a reçu le prix «Excellence en journaliste» 2007 de l’UCIP, l’Union catholique internationale de la presse, pour deux reportages sur les personnes atteintes par le virus du vih/sida. Le prix lui a été décerné lors du Congrès mondial de l’UCIP, qui s’est tenu début juin à Sherbrooke, dans les cantons de l’Est (Québec).

Des photos de Nassima Oulebsir sont disponibles à l’Apic: jacques.berset@kipa-apic.ch (apic/be)

26 juin 2007 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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