Delémont: Les joyaux du Musée jurassien d’art et d’histoire à portée de regards

Apic reportage

Une crosse pour l’histoire, une Vierge au sourire de Joconde

Delémont, 30 juin 2008 (Apic) Les Musées ont ceci d’intéressant qu’ils abritent des objets, figés à jamais, pour perpétuer la mémoire d’une région, d’un pays, et qu’ils renferment parfois de véritables trésors. Le Musée jurassien d’art et d’histoire de Delémont n’échappe pas à ce constat. Cela d’autant moins avec le véritable joyau qu’il propose aux yeux des visiteurs: une crosse. Pas n’importe laquelle, celle de saint Germain de Trèves (610 – 675). La crosse pastorale la plus ancienne qui soit conservée dans son intégralité en Suisse. Et probablement dans le monde. Balade dans l’histoire.

Au Musée jurassien de Delémont aussi, l’anodin côtoie la pièce rare, le passé très lointain introduit un instant de vie plus récent. L’histoire se parcourt, pour faire plonger le visiteur à travers les siècles. Et lorsque le «guide» qui vous introduit dans ce monde n’est autre que le président du Conseil de fondation du Musée, Pierre Philippe, formes et objets jalousement gardés en ces murs de la vieille ville qui jouxtent le château prennent vie. A coups de références historiques, et d’anecdotes qui foisonnent. Surtout lorsqu’elles sont racontées par ce pédiatre à la retraite. Tombé très vite dans la marmite de la passion de l’histoire. Comme l’avaient fait avant lui son père – et ses aïeux.

Exposée au milieu de 1’200 objets, la crosse de saint Germain, premier abbé de Moutier-Grandval, est actuellement l’une des pièces maîtresses d’une exposition à Venise, (Rome et les Barbares, au palazzo Grassi) pour laquelle elle a été prêtée. «C’est effectivement un objet très demandé, puisqu’il sillonne les expositions d’envergures, de Turin à Berlin, en passant par Paris et Mannheim». On se l’arrache, assure notre cicérone. Et des experts viennent de très loin pour étudier cet objet unique du 7e siècle. Qui fait du reste partie intégrante du trésor de Moutier-Grandval, dont quelques spécimens font la richesse du Musée jurassien.

Elle est l’Histoire

Dans son écrin de verre, dans l’un des sous-sols du Musée, la crosse de saint Germain, de 119,5 cm de haut, semble inviter le visiteur à tendre la main en direction de sa partie supérieure recourbée en arc de cercle. Elle est l’Histoire. Avec les interrogations qu’elle implique, entre suppositions et certitudes. Largement de quoi faire l’objet de l’étude à son sujet, signée de Sarah Stékoffer, ancienne conservatrice du Musée, publiée en 1996. «Elle est très probablement une des très rares reliques authentiques de saint Germain», écrit-elle. Pierre Philippe abonde dans ce sens: «Avec tout un savoir faire, hérité de différentes techniques, cette crosse nous fait remonter au roi Dagobert et à saint Eloi». Et d’ajouter: «Comme compagnon de saint Eloi à la Cour de Dagobert, on trouve le frère de saint Germain de Trèves». Le premier patron de Moutier-Grandval.

La crosse de saint Germain présente des caractéristiques ornementales somptueuses, à la fois différentes de l’orfèvrerie irlandaise et de l’orfèvrerie byzantine. L’exclusivité de la décoration animalière païenne qui est appliquée sur un objet à vocation aussi clairement chrétienne étonne. Quant à la fine ornementation de la crosse, on la situe entre 650 et 700. La probabilité que la crosse de Germain ait été ornée durant l’abbatiat du saint ou très peu après sa mort est donc très réelle, estime Sarah Stékoffer. La crosse fait en outre appel à toutes sortes de techniques de travail de métal. Plusieurs pistes sur sa provenance ont été étudiées: lombarde? byzantine? régionale? Une seule certitude, elle a échappé et survécu aux convoitises des antiquaires et des pilleurs de patrimoine. Un miracle! Que n’a pas connu la fameuse Bible de Moutier-Grandval, qu’un aigrefin avait tenté de vendre à Charles X, roi de France. En vain. Faute d’argent de l’Etat français, dit-on. Elle est aujourd’hui propriété de la British Library de Londres, qui refuse de s’en séparer.

La prise de conscience de la valeur du patrimoine jurassien est contemporaine, constate Pierre Philippe. Avec des précurseurs comme Auguste Quiquerez(*) et l’abbé Daucourt (*), et avant eux Xavier Stockmar(*) Tout un pan de l’histoire du Jura, alors sous domination bernoise, défile, déroule son film. Tout un combat. PR

Encadré

Même Rainer Maria Rilke en tomba amoureux…

La crosse n’est pas l’unique objet qui mérite le déplacement à Delémont. A l’étage supérieur, deux sculptures attirent l’attention, pour leurs côtés anecdotiques. L’une, surtout, par le magnétisme et la beauté naturelle qu’elle dégage en la contemplant: une sculpture de la Vierge en bois du 14e siècle. Sans doute l’une des plus admirables sculptures en bois d’une Vierge jamais créée, avec son sourire énigmatique qui ne doit rien à celui de la Joconde.

Un coup de foudre qui inspira le poète allemand Rainer Maria Rilke. Au point qu’il dira de cette Vierge un jour à Berne, lors de son passage au Musée d’histoire bernois où elle était alors conservée, qu’il en était tombé amoureux.

Le Christ en bois du Vorbourg, l’autre objet, avec la Vierge de Delémont, furent restitués au Jura après le partage des biens entre les deux cantons de Berne et du Jura, en 1979. Les deux sculptures, alors pillées par un antiquaire delémontain, avaient failli partir pour l’Allemagne après la guerre de 14 – 18. Mais un douanier inspiré veillait. Il avait retenu ces sculptures en provenance, avait-il dit, de «Delsberg, Kanton Bern». Ce qui, à ses yeux, devait justifier de les renvoyer à Berne. Dans la capitale, avait-il cru bon d’ajouter. PR

Encadré

Des vitraux pour ceux qui souhaitent flâner…

Dire que le Jura a un riche patrimoine historique est un euphémisme. En 2005, la section des monuments historique du canton du Jura a eu à traiter de 130 objets, dont 31 relèvent du patrimoine religieux. Et pour ceux qu’une flânerie supplémentaire tenterait après la visite du Musée à Delémont, puis de son église, où reposent les saints Germain et Randoald, les vitraux du Jura offrent de quoi s’attarder. Ils représentent en effet un phénomène artistique unique en Europe. Avec ses cinquante-deux églises et chapelles ornées d’un somptueux matériau translucide aux tonalités chatoyantes, les Jurassiens ont créé, en moins d’un demi-siècle, un véritable musée d’art moderne. Ils ont ainsi le privilège de posséder, sur leur territoire, la plus forte concentration de vitraux modernes d’Europe, dit-on. Ces derniers portent les signatures de grands maîtres français, suisses, jurassiens. Les Léger, Estève, Coghuf, Manessier, Bissière, Bréchet et Comment, Camillo, Moser, Riat Sarasin, Schorderet, Stocker, Vandeghinste, Voirol, Bodjol, Giauque, Guélat, Lapaire, Di Decarli, Froidevaux, ont signé de véritables chefs-d’oeuvre. Un livre «Vitraux du Jura» a du reste été édité aux Editions Pro Jura. PR

Encadré

(*)Avec Olivier Seuret, Xavier Stockmar, homme politique, et Auguste Quiquerez, jurèrent en 1826 dans les ruines du château de Morimont, de délivrer le Jura de l’oligarchie bernoise. Auguste Quiquerez (1801-1882) était un archéologue et un historien de renom. Comme l’abbé Daucourt, qui partagea son ministère de prêtre avec sa passion, l’histoire. PR

Le Musée jurassien est ouvert du mardi au dimanche, de 14 à 17 heures, ou à d’autres heures pour les groupes et les écoles sur demande. Pour une visite guidée, il est possible de s’annoncer au tél 032 422 80 77. A noter que la crosse de saint Germain prendra le chemin de Bonn, du 22 août au 7 décembre, après avoir été accueillie à Venise ces derniers temps. Site internet du Musée: www.mjah.ch Des photos de la crosse sont disponibles à l’Agence Apic, à Fribourg, tél.: 026 426 48 11; adresse courriel: apicàkipa-apic.ch

(apic/pr)

30 juin 2008 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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