Paris: Le nouveau grand rabbin Gilles Bernheim rencontre la presse religieuse
«Je refuse de m’installer dans le statut des juifs victimes»
Jean-Claude Noyé, correspondant de l’Apic à Paris
Paris, 24 septembre 2008 (Apic) Les journalistes de l’information religieuse ont rencontré le 23 septembre dans un restaurant juif à Paris Gilles Bernheim. Elu grand rabbin de France le 22 juin dernier, il succédera en janvier à Joseph Sitruk. Il était rabbin de la synagogue de la Victoire à Paris depuis 1997.
Perçu comme un homme d’une intelligence fine, très ouvert aux apports des sciences humaines (il est agrégé de philosophie), le nouveau «patron» des juifs français a confirmé cette réputation. Signataire d’un livre d’entretiens avec le cardinal Barbarin (1) l’homme a réaffirmé son engagement interreligieux et sa volonté d’ouvrir davantage le monde juif sur la société civile. Questionné sur les actes de violence à caractère antisémite, il n’en a pas nié la réalité, mais a tenu à en circonscrire l’importance. Refusant de s’enfermer dans la mentalité victimaire, il a, a contrario, affirmé sa conviction intime que l’identité juive, loin d’être une seule identité de revendication, est porteuse de valeurs universelles. Et que les juifs doivent donner à penser à ceux qui sont autrement croyants.
A la question «Comment voyez-vous vos nouvelles fonctions, qu’entendez-vous faire?», le nouveau grand rabbin de France a répondu en trois temps. Un: il veut faciliter la rencontre du monde religieux juif (les rabbins) et de la société civile car, souligne-t-il, l’une des plus hautes ambitions que puissent se donner les adeptes d’une religion, c’est non pas de chercher à convaincre ceux qui ne partagent pas leur croyance mais de leur donner à penser, de les interpeller. Deuxième objectif: réguler la vie rabbinique pour permettre aux rabbins non seulement de remplir leurs tâches mais aussi de progresser. Ce qui suppose de ne pas laisser les hommes trop longtemps aux même postes car ils courent alors le risque de «mourir d’un trop plein de certitudes». Troisième tâche du nouveau grand rabbin de France: permettre au judaïsme d’avoir des prises de position claires sur des problèmes qui concernent l’ensemble des Français. Il s’agit, là encore, de donner à penser à la société française.
Retour en arrière sur la visite de Benoît XVI à Paris. Pourquoi, lors de sa rencontre avec les représentants du monde juif à la nonciature, c’est Richard Pasquier, l’actuel responsable du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et non pas le président du Consistoire Israélite de France (voir encadré), qui s’est adressé au pape? Gilles Bernheim renvoie à un état de fait des rapports entre l’archevêché de Paris et la communauté juive. Etat de fait qu’il est légitime de faire bouger, estime-t-il, car les responsables religieux ont vocation à dialoguer entre eux. Il souligne au passage que le conflit latent et ancien entre les deux institutions juives s’explique essentiellement par des querelles de personnes et des enjeux de pouvoir.
Pourquoi les juifs ont dit «non» à Jésus?
Concernant le discours du pape au dignitaires juifs, il regrette que le souverain pontife ait fait explicitement référence à Pie XII plutôt qu’à Jean XXIII ou à Jean Paul II. Et ce d’autant plus que rien dans le discours d’accueil de Richard Pasquier n’induisait cette mention problématique. Quant au dialogue judéo-chrétien, Gilles Bernheim fait valoir que celui-ci aura fait une avancée spectaculaire le jour où l’Église s’engagera pleinement dans une réflexion à même de lui permettre de comprendre pourquoi les pharisiens (les juifs) ont dit «non» à Jésus. Et, symétriquement, de comprendre que ce «non» est pour elle une source d’enrichissement. Sans qu’elle cède pour autant sur ses fondamentaux. C’est, argumente-t-il, à cette aune – se laisser questionner par l’autre – que se mesurent les avancées ou les régressions du dialogue entre chrétiens et juifs. Du reste, la réciproque est vraie pour ces derniers: «Le dialogue interreligieux ne vaut pour moi que s’il me conduit à puiser dans ma propre tradition des ressources nouvelles pour devenir un meilleur juif», déclare ainsi le grand rabbin de France.
Un front commun des trois grandes religions monothéistes sur des questions anthropologiques majeurs, en matière de bioéthique par exemple, est-il envisageable? Finement, Gilles Bernheim fait valoir que si les religions monothéistes peuvent formuler des réponses équivalentes, elles n’ont pas nécessairement les mêmes modes de raisonnement. Et qu’il faut veiller à respecter ceux-ci. Autrement dit, qu’est-ce qui peut se cacher derrière un consensus de façade? Sans compter que l’objectif, à ses yeux, n’est pas tant de dire et redire ce qui est licite ou pas, mais, là encore, de donner à penser aux autres autrement croyants, de les questionner. Ceci étant posé, l’homme admet que sur une question sociale d’importance comme la crise financière, il aimerait effectivement pouvoir lire dans un journal, côte à côte, la parole de trois représentants autorisés des trois grandes traditions monothéistes. Pourvu que ce soit non pas une parole doctrinale et institutionnelle mais une parole «au plus près de l’homme».
Pas de mentalité victimaire
A la question récurrente de l’antisémitisme qui serait moteur des actes de violence contre des juifs, tels ceux survenus récemment dans le 19° arrdt de Paris, le grand rabbin de France répond avec prudence. Il assortit sa constatation qu’à l’évidence, oui, il y a une violence anti-juive, de deux considérations. La première, c’est que l’antisémitisme en question n’est nullement doctrinal (à la différence de l’antisémitisme d’extrême droite) mais nourri par le fantasme que les juifs ont réussi et qu’ils forment une communauté et des familles soudées et solides. Derrière ce fantasme se cacherait une forme de jalousie émanant de personnes souvent victimes de grande misère affective. Leur passage à l’acte violent est, de fait, facilité par l’habitude ancestrale de rabaisser le juif. Mais aussi par l’arrière plan du conflit israélo-palestinien. «Pour autant», souligne Gilles Bernheim, «je refuse de m’installer dans le statut des juifs victimes – lequel est du reste largement reconnu – car c’est tellement facile. Je ne veux pas que mon identité juive, tant publique que privée, soit seulement pour moi une identité de revendication. Ce qui me conduirait très vite à faire l’économie de l’universel. Une perspective que je refuse de toutes mes forces.» JCN
(1) * Le rabbin et le cardinal, Stock, 2008, prix Spiritualités d’Aujourd’hui 2008. Gilles Bernheim est également l’auteur de «Un Rabbin dans la Cité», Calmann-Levy, 1997, de «Le Souci des Autres au fondement de la loi juive», Calmann-Levy, 2002, et de » Réponses juives aux défis d’aujourd’hui», Textuel, 2003
Encadré:
Consistoire central de Paris vs CRIF
Créés par Napoléon Ier pour administrer le culte israélite en France, les consistoires israélites français se composent d’un consistoire central dont le siège est à Paris, et de consistoires départementaux. Le consistoire central de Paris réunit un grand rabbin de France et huit membres laïcs élus par les notables israélites des différents départements. Il a pour mission la haute surveillance des intérêts et du culte juifs, et délivre aux rabbins agréés les diplômes du second degré. Il donne aussi son avis en vue de la nomination des rabbins départementaux.
Quant au Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), né en 1944, il est issu du Comité général de défense juive, créé dans la clandestinité dès juillet 1943 dans la France occupée. Il fédère, au sein d’une seule organisation représentative, différentes tendances politiques, sociales ou religieuses présentes dans la communauté juive de France. Dès sa forme primitive, il s’est donné pour objectif d’unifier l’ensemble de la communauté juive. Il nourrit de bonnes relations avec la conférence des évêques de France.
(apc/jcn/bb)
Rome: Trente aveugles venus d’Allemagne à vélo à l’audience
Rome, 24 septembre 2008 (Apic) Trente cyclistes aveugles, partis de Mayence en Allemagne, ont traversé les Alpes en tandem avec un coéquipier voyant pour rejoindre Rome. Ils ont participé le 24 septembre à l’audience générale du pape sur la Place St-Pierre. Ce pèlerinage a été organisé par l’association «Pro Retina Deutschland» afin de sensibiliser la population aux maladies de la rétine. Les cyclistes, âgée de 20 à 70 ans, sont partis de Mayence le 13 septembre. Ils ont accompli le trajet de 1’500 kilomètres – avec une dénivellation de 10’200 mètres – en 10 étapes par le Sud de l’Allemagne, la Suisse et l’Italie. L’équipe est formée d’aveugles en provenance d’Allemagne, de Suisse, du Luxembourg, de Belgique, de France et d’Italie. Ils ont même pu rouler sur un tronçon d’essai des usines Ferrari à Maranello au nord de l’Italie. (apic/kna/gs/bb)