Eugen Bollin, peintre, dessinateur et poète au couvent d’Engelberg

Série Apic: Les artistes dans les couvents en Suisse (1)

Josef Bossart, Apic / Traduction: Bernard Bovigny

Engelberg, 6 mai 2009 (Apic) Il l’a toujours su: «Je suis peintre». Le Père bénédictin Eugen Bollin, 70 ans, vit depuis 49 ans à Engelberg. Depuis 1970, il enseigne le dessin à l’école du couvent et travaille infatigablement à ses propres oeuvres, qui ont pour thème le «cosmos du couvent». Car la peinture est pour lui une actualisation de la vie monastique sous toutes les facettes de son existence.

L’Apic a rencontré le Père Eugen à Engelberg, une station de montagne du canton d’Obwald située à 1’000 mètres d’altitude, à une période transitoire de l’année. Les rayons du printemps effacent les dernières traces de l’hiver. A la porte du couvent se trouve un homme de grande stature habillé d’une soutane noire: Eugen Bollin. Tout au long des couloirs qui mènent à son atelier, dans les combles d’une des ailes du vaste couvent, sont accrochées de nombreuses oeuvres de l’artiste.

Ce sont des huiles de style expressionniste, des dessins en craie figuratifs ou encore des gravures abstraites. Beaucoup de ces oeuvres ont pour thèmes centraux les élans que le moine artiste poursuit inlassablement: le passage de la transformation.

Une vocation permanente pour la peinture

Dans l’impressionnant atelier avec vue sur le jardin du couvent sont pendus aux murs des dizaines de tableaux et de dessins, alors que d’autres sont rangés dans des cartables. Entre temps, le moine en soutane est devenu un moine en jeans et polo, pour éviter les taches de couleur sur sa tenue. Après son entrée au couvent d’Engelberg en 1960, ses études de théologie et de philosophie à Einsiedeln et son ordination de prêtre en 1965, Eugen Bollin s’oriente davantage vers l’art. Car, affirme-t-il aujourd’hui, sa vocation profonde a toujours été la peinture: «Je me sens peintre, et la théologie a plutôt été pour moi un accompagnement».

En 1966/67, le Père Eugen fréquente l’Ecole des arts décoratifs à Lucerne et, de 1967 à 1969 il suit une formation de professeur de dessin à l’Académie des beaux-arts à Vienne. Depuis 1970, il enseigne le dessin à l’Ecole de la Fondation à Engelberg – actuellement deux jours par semaine alors qu’il est âgé de 70 ans. Et c’est aussi depuis 1970 qu’il se lance vraiment dans la création artistique.

Sa façon de travailler, en partie dans l’art abstrait, n’a pas toujours rencontré la compréhension de ses confrères à cette époque, raconte le Père Eugen ou souriant: «Pour certains, c’était simplement des gribouillis». Entre-temps, les choses se sont mises en place et la tolérance est maintenant de mise, même s’il entend encore parfois quelques remarques un peu pointues.

Deux esprits créatifs cohabitent dans son coeur

Une exposition sur commande, qui a rencontré un franc succès l’été dernier dans un hôtel à Engelberg, l’a réhabilité aux yeux de beaucoup. Eugen Bollin y a présenté une vingtaine de tableaux grand format illustrant des portraits figuratifs sur le thème «Femme avec chapeau». Mais certaines personnes qui préfèrent sa création abstraite, exposée surtout dans des musées et des galeries en Suisse centrale, sont demeurées sceptiques, affirme-t-il. Pourtant, deux esprits créatifs cohabitent pacifiquement dans son coeur: le réalisme du figuratif lui est aussi cher que le dépouillement de l’art abstrait, assure-t-il.

Eugen Bollin puise ses thèmes exclusivement dans le «cosmos du couvent», comme il l’appelle. «Le domaine conventuel est mon viseur. Et c’est pour moi une grande chance». Il y trouve un domaine de tensions formé par la présence simultanée de jeunes et de vieux; par exemple lorsqu’il rejoint parfois les écolières et écoliers pleins de vie pour le repas de midi et se retire le soir auprès de ses confrères âgés et handicapés à l’étage supérieur. Là se trouvent les longs corridors du couvent, parcourus depuis des siècles par les moines d’Engelberg, lorsqu’ils se rendent à l’église pour l’office le matin, à midi et le soir. Ces couloirs sont également les lieux de transition des moines qui passent de la vie à la mort ou encore des espaces de maturation des écolières et des écoliers sur des sujets qui les intéressent.

Le couvent, un espace de «plénitude» de vie

L’espace conventuel, ce sont aussi les saisons, les soins intenses apportés au jardin, les périodes de la journée, le crépuscule, la lumière. Mais le couvent n’est pas le paradis. Et il y a parfois des choses qui ne fonctionnent pas, affirme le Père Eugen. Lui qui a été prieur du couvent d’Engelberg durant une décennie – et en même temps «chef du personnel» – doit le savoir, même s’il a su tisser des liens avec ses confrères. Pourtant, le couvent est pour lui un fantastique «modèle fondamental de vie»: «On y trouve la plénitude!»

C’est pourquoi il peint aussi toutes les scènes bibliques comme si elles avaient lieu au milieu du couvent, en quelque sorte comme une actualisation de la théologie: le chemin de croix, Marie de Magdala, le Golgotha, les trois femmes au tombeau de Jésus, la résurrection. Et comme il travaille toujours à partir de modèles, de nombreux visages de personnes de chair et de sang de passage dans son atelier apparaissent sur ses toiles. Elles prêtent leurs traits à une danseuse de ballet – en l’occurrence une de ses élèves de dessin- ou encore à des enfants, des mères, des jeunes. Ou même des anges, ces «êtres qui libèrent les humains»: Eux aussi ont toujours les traits de vraies personnes, affirme le Père Eugen.

Ce qui ne convient pas pour un moine artiste: «Il n’est pas possible qu’un peintre vive comme un homme normal, pour ainsi dire comme un pensionnaire, ici au couvent.» En tant qu’artiste, il bénéficie d’une certaine liberté carnavalesque pour ce qui touche ses illustrations artistiques. «Je peux représenter des anges dansants», lance-t-il. Mais pas lorsqu’il dessine ou peint les traits des personnes dans son atelier. Il doit alors se limiter dans l’exercice de sa liberté.

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kipa@kipa-apic.ch. Prix: 80 frs la première, 50 frs les suivantes.

Encadré 1:

Aussi des poèmes

Eugen Bollin n’est pas seulement peintre et dessinateur, mais également poète. Depuis 1983, il a diffusé neuf recueils de poèmes. Le plus récent a pour titre «Pfortenweiss» (2004) et rassemble des poèmes écrits entre 1994 et 2004. L’ouvrage comprend aussi des gravures de l’auteur.

Encadré 2:

Ora et labora. Dans les couvents, on travaille et on prie. Mais pas seulement. Dans de nombreux monastères et communautés en Suisse des religieux exprime leur recherche de Dieu de façon artistique. Travail ou vocation? L’agence de presse Apic a visité «les artistes qui se donnent à Dieu». Une série d’été en une douzaine de portraits.

(apic/job/bb)

6 mai 2009 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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