A la découverte d’un Calvin humain, complexe et contradictoire
Genève: Quelque 1’500 personnes à la première de «Calvin Genève en flammes» Un Calvin humain et contradictoire
Genève, 2 juillet 2009 (Apic) Quelque 1’500 personnes – dont tout le gratin politique de Genève, sans parler de nombreux représentants des milieux religieux, culturels et médiatiques – ont participé mercredi soir à la première de «Calvin Genève en flammes». Ce spectacle, écrit par Michel Beretti et mis en scène par François Rochaix, est organisé par l’Association Jubilé Calvin 09. C’est le «clou» du 500e anniversaire du réformateur de Genève. Il est montré à la Promenade des Bastions, juste devant le Mur des Réformateurs, du 1er au 26 juillet à 21h00 (*).
Conseillers d’Etat, conseillers administratifs de la Ville de Genève, députés au Grand Conseil, parlementaires fédéraux, responsable de l’Eglise protestante de Genève notamment, avaient fait le déplacement pour découvrir, au-delà des stéréotypes du calvinisme autoritaire, sévère, voire rigoriste, une autre facette de Calvin, un jeune juriste de 27 ans originaire de Noyon, en Picardie, arrivé à Genève en août 1536.
Sous les traits d’un Calvin habillé de noir, austère et barbu, campé par Michel Kullmann, un comédien né à La Chaux-de-Fonds en 1948, le public découvre peu à peu une figure plus humaine, bourrée de contradictions, qui veut d’abord convaincre les réticents puis se laisse aller à la répression pour protéger la nouvelle foi protestante.
Dérive autoritaire et lutte contre les «libertins»
Cette dérive autoritaire, certainement aussi causée par les incertitudes du temps, les épidémies, l’arrivée en masse des réfugiés pour cause de religion, affluant de France, d’Italie ou d’Angleterre – la ville double presque sa population – va provoquer des conflits avec la population locale, divisée. Ainsi, la lutte contre les «libertins» illustrés dans la pièce par Ami Perrin, chef de la garde, et par sa femme, Françoise Favre, très virulente envers le vieux réformateur Guillaume Farel, qu’elle parodie, tout comme Calvin d’ailleurs.
Toute cette crispation va aboutir à des tortures et des exécutions d’»hérétiques» comme Jacques Gruet ou Michel Servet, jugé et brûlé à Genève pour hérésie antitrinitaire. Pour Calvin, il faut éliminer les ennemis qui offensent Dieu et mettent ainsi en danger Genève.
La présentation de François Rochaix – qui souhaite dans sa pièce remiser quelques stéréotypes sur Calvin, qui n’est pas pour lui un théologien aussi borné que beaucoup le pensent – se déroule dans la Genève du 16e siècle. C’est à l’époque encore une modeste bourgade qui vient de s’émanciper tant de la tutelle savoyarde que de celle de son prince-évêque, et qui adopte la Réforme évangélique, par deux décisions prises en août 1535 et en mai 1536. C’est un temps où la ville, qui vit sous les rigueurs du Consistoire, les sévères ordonnances ecclésiastiques et les édits civils rédigés ou inspirés par Calvin, allait également connaître un grand rayonnement international.
Un homme ouvert aux idées nouvelles
Dans la pièce, le spectateur découvre ces diverses facettes du personnage qui allait incarner Genève, au point qu’on l’appelle encore aujourd’hui «la cité de Calvin», quand ce n’est pas la «Rome protestante». On voit d’abord un Calvin qui se débat contre un de ses confrères, le pasteur Abel Cop, qui veut interdire tout théâtre à Genève, puis l’homme fasciné par les découvertes, dont celles de Copernic, qui ne sont pas pour lui, au contraire des autres pasteurs, en contradiction avec la religion.
Calvin, alors que le Consistoire admoneste les Genevois qui ont transgressé la nouvelle discipline imposée au peuple, cherche à convertir les punitions en mesures éducatives. Il dénonce les riches et leurs goûts de luxe, fait rabaisser sa chaire pour prêcher plus près des gens, mais il s’affronte dans la rue à Sébastien Castellion, et critique sa traduction de la Bible. La Bible française de Castellion est considérée comme une des plus belles traductions de la Bible, un chef-d’oeuvre de la littérature française.
La querelle avec Castellion
Ami de Calvin au départ, Castellion est devenu son contradicteur le plus implacable après l’exécution de Michel Servet, et ce drame va consommer sa rupture avec lui. Castellion se réfugiera à Bâle. «Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. Quand les Genevois ont fait périr Servet, ils ne défendaient pas une doctrine, ils tuaient un être humain: on ne prouve pas sa foi en brûlant un homme mais en se faisant brûler pour elle», écrivait-il.
On découvre ensuite un Calvin plus humain, qui rentre chez lui, et qui fait montre de tendresse à l’égard de son épouse Idelette de Bure. Il l’avait mariée à Strasbourg en 1540, après avoir été banni de Genève en 1538, avant d’y être rappelé en 1541. Le spectateur, un peu plus tard, le verra crier son désespoir à la mort de son épouse, ajoutant encore une fois une dimension humaine au personnage par ailleurs sévère. A la fin de la pièce, l’acteur sort de son rôle de Calvin et s’en prend à la figure de pierre figée sur le Mur des Réformateurs, derrière la scène, en espérant avoir un peu lézardé l’image du Réformateur de Genève. François Rochaix aura-t-il réussi, lui qui souhaitait «surtout faire tomber le cliché de l’austérité qui défigure le vrai visage de Calvin». JB
Encadré
Un «village huguenot» au Parc des Bastions
Selon les organisateurs, plus de 34’000 spectateurs devraient assister aux 23 représentations en plein air devant le Mur des Réformateurs. Des milliers de spectateurs sont attendus du monde entier, notamment de France, d’Allemagne, des Etats-Unis, voire même de Corée. Pour divertir et instruire le public, le Parc des Bastions accueille également un «village huguenot», qui permet de se plonger dans l’ambiance du 16e siècle avant le spectacle. On y côtoie des scènes de vie, des danses en costume, des démonstrations de la Compagnie de 1602, le travail des artisans, des échoppes… et un sanglier cuit à la broche. Mais les «marchands du temple» ne sont pas loin: on peut y trouver la Cave de Genève sous le titre «Calvin et nos vins», voire les montres «Huguenot» (ce sont les artisans huguenots, protestants chassés de France et réfugiés à Genève qui y propageront les métiers de l’horlogerie), quand ce n’est pas l’excellente «bière Calvinus», une bière artisanale bio non filtrée brassée par les frères Papinot. Plus intellectuels sont les débats organisés dans l’espace Agora les mardis et jeudis à 18h30, qui invitent à rencontrer des intervenants renommés sur des questions comme la solidarité et les actions humanitaires (la Croix Rouge n’est pas loin!), la justice sociale et le développement économique, la transmission des valeurs et la liberté religieuse, etc. Egalement dans le domaine de la réflexion: la réponse au questionnaire qui demande au visiteur s’il a des «neurones calvinus» dans le cerveau. Les réponses sont données par un ordinateur dans l’un des stands du village, grâce à un logiciel créé par Michel Kocher et Jean-Christophe Emery. JB
(*) Tous les soirs sauf le lundi, à la Promenade des Bastions. En cas de pluie, la représentation a lieu au Théâtre du Léman, à l’Hôtel Kempinsky. (apic/be)