Pérou: Visite à l’un des sites miniers les plus pollués de la planète Pour l’Apic Jean-Claude Gerez Reportage
Une population contaminée au plomb se bat pour sa survie
La Oroya, août 2009 (Apic) Située au cœur des Andes péruviennes, La Oroya abrite depuis les années 1920 une fonderie alimentée par les mines de plomb, cuivre, zinc et argent de la région. De quoi détruire durablement l’environnement et mettre en danger la vie de ses quelque 30’000 habitants. Cette cité minière du département de Junin, à 185 km de Lima, fait partie des sites les plus empoisonnés de la planète. L’un des défenseurs de cette population menacée par une pollution insoutenable est un religieux jésuite, Mgr Pedro Ricardo Barreto Jimeno, archevêque de Huancayo, qui a initié en 2004 la «Table de dialogue environnemental» (1).
A La Oroya, des milliers d’enfants et d’adultes sont exposés à une importante pollution aux métaux lourds comme le plomb. La ville minière détient le record absolu de saturnisme chez les enfants. La dispersion dans l’atmosphère de polluants (comme le dioxyde de soufre et les oxydes d’azote) provoque des pluies acides qui rongent la végétation de la région. Principale accusée: la «Doe Run Peru», une filiale de la firme américaine Doe Run Company, basée à St- Louis, au Missouri, leader américain dans la production de plomb.
Dix kilomètres avant d’arriver, les yeux commencent à piquer. La gorge et les sinus sont irrités. Sans parler de ce goût métallique dans la bouche. A l’entrée de la ville, dans un nuage de fumée blanche permanent, on distingue des maisons grises accrochées aux collines dénudées par des décennies de pluies acides. En contrebas, les eaux du fleuve Mantaro charrient toutes sortes d’ordures…
La Oroya, «capitale métallurgique du Pérou et de l’Amérique latine»
«Bienvenue» à La Oroya, petite ville située dans les Andes péruviennes, à 3’800 mètres d’altitude. C’est là, au creux de la vallée, que se dresse l’immense cheminée du site métallurgique Doe Run Peru, une entreprise américano-péruvienne qui traite chaque année des millions de tonnes de terre pour en extraire du plomb, du zinc, de l’argent et du cuivre. Autoproclamée «Capitale métallurgique du Pérou et de l’Amérique latine», La Oroya est l’un des fleurons du secteur minier péruvien. Mais ce statut lui vaut également une autre «distinction.» Selon le Blacksmith Institute, un «think thank» américain, la ville est le 6ème site le plus pollué au monde. Devant Tchernobyl.
«La fonderie de La Oroya a été créée en 1922 pour exploiter les énormes filons polymétalliques de cette partie des Andes centrales, explique Paula Meza, ingénieure métallurgiste. Depuis cette époque, elle constitue le point de convergence de plusieurs mines des environs, qui acheminent ici leurs productions pour y être traitées.» Le travail de Doe Run Peru ? Isoler chaque métal avant de les exporter vers différents pays d’Europe et d’Amérique du Nord.
«Mais pour parvenir à ce résultat final, poursuit Paula, il faut procéder à une série d’opérations nécessitant l’usage de produits hautement toxiques.» Résultat, l’air, l’eau et la terre de La Oroya et de ses environs sont largement contaminés et la cheminée du site crache 24 heures sur 24 un panache de fumée chargée en arsenic, dioxyde de souffre, plomb et autres substances que l’on retrouve dans le sang des habitants à des niveaux dépassant de loin les normes recommandées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Premières victimes ? Les enfants, bien sûr.
D’après une étude réalisée en 2005 par le Ministère de la Santé péruvien, «99 % des enfants de La Oroya et de ses environs, âgés de 6 mois à 12 ans, présentent des taux de concentration de métaux dans le sang dépassant nettement les normes sanitaires internationales.» Un exemple, le plomb. Alors que l’OMS recommande un seuil maximal de 10 microgrammes par décilitres de sang (10 µg/dL), les enfants de La Oroya affichent une moyenne de… 33,6 µg/dL.
Mêmes proportions pour le dioxyde de souffre, l’arsenic et l’antimoine. La contamination est telle que, selon une récente étude menée depuis quelques années par des neurobiologistes de l’hôpital local, même les nouveaux nés présentent des niveaux inquiétants de substances toxiques dans le sang. Autant de poisons qui entraînent des problèmes récurrents d’apprentissage, des retards mentaux, de croissance physique, d’anémie et de cancers de la peau et des intestins. Et le drame ne semble pas devoir s’arrêter dans un pays où, du nord (or et zinc) au sud (étain et cuivre), l’activité minière est en pleine expansion.
Une activité minière est en pleine expansion
«Ce secteur est effectivement en plein essor, confirme José de Echave Caceres, économiste au sein de CooperAccion, une ONG péruvienne, travaillant dans le domaine du développement durable. Ainsi, dans les années 90, le secteur minier en Amérique latine ne recevait que 12% des investissements mondiaux. Aujourd’hui, c’est le double.» Ainsi, au Pérou, le secteur minier représente à lui seul 60% des exportations. «Entre 1993 et 1997, la surface occupée par les mines est passée de 2,3 à… 16 millions d’hectares», poursuit José de Echave Caceres.
Mais cette expansion a commencé à générer de nombreux problèmes, car pour pouvoir extraire les métaux, les entreprises minières ont besoin de grandes superficies de terres et d’avoir un contrôle de l’eau.» Pour avoir accès à la terre, les entreprises minières ont donc commencé à faire pression, notamment sur le secteur agricole traditionnel. Idem pour l’eau. Sauf que le problème n’est pas tant d’y avoir accès, que les conséquences environnementales de son utilisation.
Tunnel de Kingsmill, à 30km en amont de La Oroya. Carlos Lopez Mucha enfile un gant de silicone avant de plonger une bouteille en plastique dans un cours d’eau… orange vif qui se déverse dans le fleuve Mantaro. Cet ingénieur métallurgiste a rejoint l’an dernier le «Proyecto Mantaro Revive» (»Projet Mantaro Revit»), une association créée en 2005 sous l’impulsion de Mgr Pedro Barreto, archevêque de Huancayo, le diocèse dans lequel se trouve La Oroya. Objectif ? Assurer, entre autre, un contrôle de la qualité de l’eau, de l’air et du sol et proposer un suivi sanitaire et nutritionnel des enfants.
Malgré les discours rassurants, l’industrie minière continue de polluer
«Nous effectuons des relevés dans différents cours d’eau de la région pour mesurer la contamination», explique Carlos. Même chose pour l’air et le sol. «Nous envoyons ensuite ces échantillons dans un laboratoire indépendant à Lima, ainsi que dans un laboratoire américain, pour confirmation. Cela nous permet de nous appuyer sur des données scientifiques précises pour démontrer que, malgré les discours rassurants, l’industrie minière continue de polluer.»
Face au double langage des entreprises et au laisser-faire de l’Etat, la démarche du «Proyecto Mantaro Revive» est un exemple dans un pays où, d’après les autorités environnementales, les deux tiers des sites écologiquement sensibles sont directement liés à l’exploitation de la mine. «Dans les années 90, rappelle José de Echave Caceres, les problèmes liés à l’exploitation minière étaient de l’ordre du travail. Mais depuis, les conflits les plus marquants opposent les entreprises minières et les populations à propos de l’environnement.»
Une conséquence de 20 années de réformes structurelles ayant produit des lois très favorables pour attirer les investissements, mais qui ont porté atteinte aux droits économiques, environnementaux et sociaux des populations. Du coup, deux grands thèmes sont en discussion aujourd’hui au sein de la société civile : «la nécessité de légiférer pour réguler les conséquences de l’activité minière, notamment sur l’environnement. Et l’obligation de renforcer le processus de gouvernabilité démocratique, en favorisant la participation citoyenne dans la prise de décision». Plus facile à dire qu’à faire.
Du statut «d’écologistes» à celui «de terroristes»
En 2002, la société civile péruvienne a certes organisé la première consultation citoyenne latino-américaine sur un projet d’implantation d’une mine d’or à Tambogrande, au nord du pays. Verdict ? Rejet du projet. Puis, cinq ans plus tard, en décembre 2007, nouvelle consultation, dans une région voisine. Là encore, résultat sans appel : 70 % de la population s’est prononcée contre l’ouverture de l’exploitation aurifère. La différence entre les deux consultations ?
«Les acteurs de la société civile sont passés du statut «d’écologistes» à celui «de terroristes», opposés au développement économique du pays», souligne José de Echave Caceres. Et les entreprises n’hésitent plus désormais à traduire en justice ceux qui osent organiser de telles consultations publiques.» Rien de tel à La Oroya. «Nous sommes dans le cas d’une mine ancienne, explique Paula Meza. Ici, la population ne dit pas que la mine doit partir, mais exige qu’après 60 ans d’activité, elle prenne des mesures afin de cesser d’empoisonner la population.» Pour faire en sorte qu’à 3’800 mètres d’altitude, les enfants de La Oroya puissent enfin respirer. JCG/JB
(1) A suivre demain, l’interview de Mgr Pedro Ricardo Barreto Jimeno, archevêque de Huancayo (diocèse dans lequel se trouve La Oroya). Initiateur, en 2004, de la «Table de dialogue environnemental», Mgr Barreto explique comment il tente d’apporter une réponse collégiale aux graves problèmes environnementaux causés par les exploitations minières de la région.
Des photos de ce reportage peuvent être commandées à l’agence apic: tél. ++41 (0)26 426 48 01 ou jacques.berset@kipa-apic.ch (apic/jcg/be)