Mgr Bürcher rêve d’un monastère dans le «fjord des baleines»
Islande: Un évêque suisse à la lisière du Cercle Polaire arctique Apic Reportage I
Apic Reportage I Jacques Berset, agence Apic¨
Reykjavik, 30 août 2009 (Apic) De gros nuages s’étirent dans toutes les nuances de gris sur l’eau calme du «fjord des baleines», à peine agitée par un vent piquant. C’est dans ce paradis naturel du Hvalfördjur, à une heure de route au nord de la capitale islandaise Reykjavik, à l’est d’Akranes, que Mgr Pierre Bürcher rêve d’implanter un couvent de moines bénédictins, «pour renouer avec la tradition islandaise».
L’ancien évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg est depuis décembre 2007 à la tête de la communauté catholique islandaise, qui compte une dizaine de milliers de fidèles, en grande majorité étrangers et dispersés sur plus de 100’000 km2. Il rêve de faire venir sur ces terres magnifiques, à la lisière du Cercle Polaire arctique, une communauté de moines bénédictins, qui pourraient jouer, comme dans le passé, un rôle culturel de premier plan. «Ce serait une manière visible de renouer avec la tradition monastique qui fut extrêmement vivante au Moyen Age».
L’île scandinave comptait en effet avant la Réforme une bonne dizaine de monastères augustiniens et bénédictins, qui furent souvent à l’origine des lettres islandaises, dont les sagas et les poésies ne sont à nulle autre pareilles. Ces centres de culture – où l’alphabet latin avait remplacé l’ancienne écriture runique – furent abolis lorsque la Réforme luthérienne, imposée brutalement aux Islandais par le roi du Danemark, s’imposa définitivement en 1550.
«Le pays doit retrouver ses vraies valeurs chrétiennes»
Un tel monastère serait, aux yeux de l’évêque de Reykjavik, un apport vital dans la situation actuelle que vit l’Islande: «Le pays doit retrouver ses vraies valeurs et ses racines chrétiennes. Parce qu’avec le boom économique qu’a connu le pays ces dernières années, où moins de 10% de la population insulaire vivait au-dessous du «seuil de pauvreté», on a un peu oublié ces valeurs. C’était avant que la bourse ne s’effondre et ne provoque une profonde crise économique et sociale. Maintenant, les gens se trouvent face aux questions vitales. Il faut que l’Islande ait la possibilité de choisir, comme elle l’a fait en l’an 1000, le christianisme vivant, vécu».
L’évêque et ses conseillers ont déjà entrepris les premières démarches pour obtenir un terrain, mais rien n’a encore été finalisé. L’endroit convoité est suffisamment retiré pour y mener une vie monastique, mais également pas trop loin des agglomérations, pour que les touristes puissent venir et y passer un moment, et les intéressés y faire des retraites. «On pourrait débuter modestement, avec trois moines par exemple. J’ai déjà pris des premiers contacts avec des monastères en Suisse et en Allemagne».
Les moines vivraient selon la règle «ora et labora», prie et travaille. Car il faut bien qu’ils puissent vivre. Ils pourraient, sur le bien-fonds qui appartient à la Société d’électricité de Reykjavik et environs, exploiter le terrain de golf existant et également se consacrer à la plantation d’arbres. «On renouerait ici aussi avec la tradition bénédictine. En plus de la prière, les moines pourraient s’adonner à la confection de produits locaux ou importés et se consacrer surtout au développement d’une vie culturelle riche et variée».
Etablir un monastère, déjà le rêve de Mgr Meulenberg dans les années 20
Le rêve de Mgr Bürcher était déjà celui de son prédécesseur dans les années 1920, l’évêque Martin Meulenberg, vicaire apostolique d’Islande. Ce missionnaire monfortain fut le premier évêque catholique à résider dans le pays depuis l’imposition de la Réforme, après l’exécution par les agents du Danemark de Mgr Jón Arason, le puissant évêque de Hólar, au nord de l’île. Il fut décapité en compagnie de deux de ses fils à Skálholt le 7 novembre 1550.
Aujourd’hui, précise Mgr Bürcher, ce projet de monastère est salué par les luthériens, avec lesquels les contacts sont tout à fait cordiaux. Ce ne fut pas le cas durant des siècles. Ce n’est qu’en 1874, lorsque fut promulguée à l’occasion du millénaire de l’Islande une nouvelle Constitution accordant le droit à la liberté religieuse pour tous, ce qui permit à l’Eglise catholique de reprendre pied officiellement dans le pays.
Au siècle dernier, Rome pensait encore que les jours de l’Eglise luthérienne islandaise, une Eglise d’Etat, étaient comptés et que l’Eglise catholique allait reprendre sa place d’avant la Réforme. Mgr Meulenberg pensait également établir des monastères catholiques qui rappelleraient aux Islandais les temps fastes d’avant 1550. Il pensait que ces établissements seraient des exemples d’exploitations agricoles modernes qui stimuleraient les paysans locaux et des centres de renouveau culturel. Malheureusement, malgré ses voyages dans de nombreux pays, il ne put convaincre supérieurs et abbés en Europe: personne ne voulait venir vivre comme moine dans les frimas de cet Etat insulaire de l’Atlantique Nord! Mais Mgr Bürcher en est convaincu: l’Islande est à un tournant, les gens cherchent de nouvelles valeurs, et l’Eglise peut offrir des alternatives au consumérisme qui a subjugué bien des gens en cette période de prospérité qui s’achève.
Une période de prospérité qui s’achève
«L’évangélisation doit être progressive, elle prend du temps, et doit tenir compte des conditions particulières de l’Islande. Encore une fois, il faut beaucoup de patience», poursuit Mgr Bürcher, conscient de la tâche ardue qui l’attend dans sa nouvelle affectation. Ainsi, les congrégations religieuses féminines établies dans le pays depuis des décennies n’ont encore eu aucune vocation religieuse islandaise, «et cela depuis la Réforme!».
Il s’agit aussi, pour l’évêque d’origine haut-valaisanne, de trouver des vocations sacerdotales locales, car les Islandais considèrent encore trop souvent l’Eglise catholique comme une «Eglise d’étrangers». Actuellement, l’évêque compte beaucoup sur la persévérance d’Oskar Thorsteinsonn, un séminariste islandais issu d’une famille luthérienne de Neskaupstadur, un fjord à l’extrémité orientale de l’île. Après avoir achevé ses études de philosophie à Rome, il repart cet automne pour étudier la théologie. «Deux autres jeunes ont montré leur intérêt pour devenir prêtres, l’un d’entre eux partira cet automne, l’autre va encore attendre une année», précise Mgr Bürcher.
Certes, depuis la Réforme, quelques prêtres islandais ont servi l’Eglise catholique, mais ils restent encore trop peu nombreux. Sur les six évêques en fonction depuis la réintroduction de l’Eglise catholique dans le pays, on trouve cinq étrangers et un seul Islandais, Mgr Jóhannes Gunnarsson. Premier évêque natif de l’île depuis près de 400 ans, c’est-à-dire depuis la mise à mort à la Réforme de Mgr Jón Arason, Mgr Gunnarsson a été vicaire apostolique d’Islande de 1942 à 1967, avant la fondation du diocèse de Reykjavik en 1968. Quatre siècles plus tard, l’évêque islandais n’était à la tête que de trois paroisses et de 400 catholiques! Aujourd’hui, l’Eglise catholique en Islande a certes grandi, et si elle demeure une petite communauté, elle gagne en attractivité par la beauté de sa liturgie, et son engagement dans le champ de la culture et de la présence sociale. JB
Encadré
Une présence catholique récente, après quatre siècles et demi d’interdiction
La présence catholique en Islande est récente, car pendant plus de quatre siècles le catholicisme y fut interdit. Introduit sans violence vers l’an 1000 par un vote de l’Althing, le parlement national, le catholicisme a été brutalement aboli au XVIe siècle sur ordre du roi du Danemark, Christian III qui sécularisa les biens de l’Eglise et se les attribua. Il fit chasser tout le clergé catholique du pays. Mais pendant plusieurs années, le peuple resta en majorité fidèle au catholicisme et Jón Arason, le puissant évêque de Hólar, au Nord de l’île, se battit avec vigueur pour récupérer les monastères et autres biens d’Eglise confisqués par le pouvoir danois et ses partisans protestants. Fait prisonnier, les partisans du Danemark le firent décapiter avec deux de ses fils à Skálholt le 7 novembre 1550. JB
Encadré
L’Eglise catholique en Islande, une lente renaissance au XIXe siècle (*)
C’est en 1855 que fut fondée la Préfecture Apostolique du Pôle Arctique pour les pays nordiques. Des prêtres catholiques furent alors envoyés en Islande pour, officiellement, s’occuper des marins français qui y séjournaient lors de leurs campagnes de pêche. En mai 1857 débarquait à Fáskrúdsfjördur, dans un fjord de la côte Est de l’île, le Père Bernard Bernard. L’année suivante, un autre prêtre français, Jean-Baptiste Baudoin, arrivait en Islande. Il décidait avec son confrère d’aller à Reykjavik, ce qui faciliterait l’annonce de la foi. Ils y achetèrent un terrain nommé Landakot, où se trouvent l’actuelle cathédrale du Christ Roi, l’école catholique et l’évêché. Le Père Baudoin resta seul un certain temps, le Père Bernard ayant quitté le pays. Il n’avait le droit ni de dire la messe dans un lieu public, ni de porter à l’extérieur le moindre signe de la foi catholique. En 1875, le Père Baudoin quitta l’Islande sans avoir pu convertir personne! Le nombre d’Islandais convertis est longtemps demeuré désespérément faible, étant donné que le catholicisme était prêché en danois – la langue du colonisateur – et non en islandais.
L’Eglise catholique islandaise n’eut pendant des générations que quelques centaines de fidèles. Malgré tout, Rome décida d’ériger Reykjavík en diocèse en 1968, car jusque-là, les chefs de l’Eglise en Islande faisaient référence à l’ancien siège épiscopal du Nord, Hólar, celui que dirigeait Jón Arason, le dernier évêque catholique avant la Réforme exécuté en 1550. Avec l’arrivée de travailleurs étrangers, de nouveaux lieux de culte ont été érigés en Islande. La communauté catholique compte une dizaine de milliers de fidèles, en grande majorité des étrangers. JB
Encadré
Priorité: former des vocations locales, pour ne pas être une Eglise d’étrangers
L’Eglise catholique en Islande compte actuellement 36 religieuses pour tout le diocèse. La communauté la plus récente et la plus jeune est l’Institut des Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matara, une congrégation d’origine argentine avec actuellement 4 religieuses, dont 3 Argentines et une Brésilienne. Cet Institut se trouve à Hafnarfjördur, tout près du carmel qui abrite 11 religieuses polonaises. Ces dernières fêtent leurs 25 ans de présence, sans avoir eu jusqu’à maintenant des vocations islandaises.
Les sœurs de la Charité de Mère Teresa sont six à Reykjavik, et développent un apostolat extraordinaire face à la grave situation économique qu’affronte le pays depuis l’automne dernier. Ce sont des Polonaises, une Africaine et une Philippine. Deux religieuses d’une congrégation mexicaine, les Servantes de Sainte Marguerite Marie Alacoque et des Pauvres, travaillent à l’évêché, dont une Mexicaine et une Péruvienne. Sans compter les cinq sœurs carmélites apostoliques d’Akureiry, qui sont engagées dans la catéchèse. Elles tiennent également une garderie pour les tout petits enfants. Les Sœurs franciscaines missionnaires de Marie, qui avaient fondé l’hôpital de Stykkishólmur, l’un des premiers hôpitaux du pays, n’ont malheureusement pas suffisamment de vocations. Elles étaient quatre, qui s’en sont allées en août. Mgr Bürcher a trouvé pour les remplacer l’Institut des Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matara.
Le diocèse compte 17 prêtres, et du personnel laïc engagé au service du diocèse: archiviste, bibliothécaire, secrétaire, cuisinière, concierge, sans compter le personnel des paroisses. Tout le personnel de l’évêché et des paroisses est à la charge de l’évêque. L’Etat islandais ne reconnaît que le diocèse en tant qu’Eglise catholique, mais cette dernière dispose de cinq paroisses, dont 3 pour la capitale Reykjavik et son agglomération: la paroisse du Christ-Roi et celle de Sainte-Marie, ainsi que celle de Saint-Joseph à Hafnarfjördur. S’y ajoutent la paroisse St-Pierre à Akureiry, pour tout le Nord du pays, et la paroisse St-Thorlak – la plus récente – pour tout l’Est du pays. Cette paroisse porte le nom du chanoine Thorlak Thorhallson, évêque de Skálholt au XIIe siècle et patron de l’Islande. A chaque fois, les prêtres de ces paroisses ont plus de 600 km de routes à parcourir, car les gens habitent sur la côte, dans les fjords. JB
Encadré
La petite communauté catholique est bien vivante, mais manque encore de vocations
La tâche de Mgr Bürcher n’est pas simple: si sa petite communauté catholique est bien vivante, elle manque encore de vocations indigènes, et il est important pour les Islandais d’être compris dans leur langue, l’islandais, qui n’est pas une langue facile. «Dans l’apprentissage de l’islandais, je peux faire certaines comparaisons avec l’allemand, mais cela reste une langue difficile pour moi. J’essaye de lire correctement, je peux célébrer la messe en islandais, prêcher aussi, mais je dois tout faire traduire et relire avant. En tant qu’évêque, je n’ai pas le temps de consacrer trois ans à plein temps à l’Université pour maîtriser parfaitement cette langue. C’est la réalité islandaise… il faut beaucoup de patience», témoigne l’évêque de Reykjavik. Sans parler de la dispersion des catholiques sur un territoire 2 fois et demi la Suisse, les longues distances sur des routes pas toujours asphaltées, durant l’hiver parfois bloquées pendant plusieurs jours par les tempêtes de neige et le verglas.
De plus, les communautés catholiques en Islande sont en majorité composées de Polonais, puis viennent les Philippins, suivis des Lituaniens, sans oublier les Latino-américains. Les catholiques de souche islandaise sont très minoritaires.
La liturgie, à la cathédrale du Christ Roi de Landakot, à Reykjavik, se célèbre en différentes langues: le samedi soir en islandais, le dimanche matin en islandais et en latin, le dimanche après-midi en polonais, le dimanche soir en anglais. Il y a aussi durant certaines grandes fêtes des messes en français, en Italien, en espagnol et en lituanien. «Là aussi, il faut avoir les prêtres compétents. Sur les 17 prêtres, un seul est d’origine islandaise, l’abbé Hjalti Thorkelsson, qui est curé de la paroisse St-Pierre à Akureyri, tout en étant délégué épiscopal pour le catéchisme». Tous les autres prêtres doivent apprendre l’islandais, qui n’est pas une langue facile! «Et même quand on prêche, il faut donner à vérifier le texte, même avec plusieurs années d’études sérieuses de l’islandais».
«Les Islandais sont à la fois très indulgents envers les étrangers qui tentent de parler l’islandais, mais aussi très exigeants en ce qui concerne leur langue parce qu’ils savent l’importance qu’elle a eue dans l’histoire nationale, insiste Mgr Bürcher. C’est un peuple qui a beaucoup de poètes, et les longs hivers les incitent à la lecture et à l’écriture. Leur langue est restée très pure étant donné l’insularité du pays; l’islandais a connu très peu d’évolutions linguistiques au cours des siècles» (*). JB
(*) L’islandais (islenska) a pour racine historique le norrois, qui était pratiqué depuis le Moyen Age dans les pays scandinaves, mais l’isolement de l’Islande et son importante tradition écrite ont permis une conservation exceptionnelle de la langue originelle, non seulement dans sa version écrite, mais également dans sa version orale.
Les projets de Mgr Bürcher, qui dispose de très peu de ressources locales, sont soutenus par le biais de l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED) à Lucerne, CCP 60-17700-3 ou par l’Association Saint Jean-Marie Vianney Lausanne, CCP 17 215224-5
Des photos de ce premier reportage sur l’Eglise en Islande peuvent être commandés à l’agence Apic: jacques.berset@kipa-apic.ch, tél. 026 426 48 01. (apic/be)