Irak: Menacés d’extinction, les chrétiens, de plus en plus minoritaires, ont de la peine à s’unir
Les terroristes, quand ils m’ont enlevé, ne m’ont pas demandé à quel rite chrétien j’appartenais …
Erbil/Mossoul, 16 février 2010 (Apic) Les terroristes, quand ils m’ont enlevé, ne m’ont pas demandé à quel rite chrétien j’appartenais… lance Mgr Georges Casmoussa. L’archevêque syriaque de Mossoul, métropole irakienne située à 375 km au nord de Bagdad, se lamente de la division des chrétiens irakiens menacés d’extinction. Dans le collimateur des islamistes, ils ont pourtant bien des difficultés à s’unir.
Si tu t’aventures en dehors du Kurdistan, à tes risques et périls! Mes compagnons de route renoncent à m’accompagner dans la Plaine de Ninive pour rencontrer Mgr Casmoussa, replié dans sa ville de Karakosh,. Peuplée de chrétiens, convoitée par les Kurdes, elle se trouve aux portes de Mossoul, près de l’antique Ninive. Cette ville, selon la Bible, «à la méchanceté légendaire» où le prophète Jonas fut envoyé prêcher la repentance.
Un plan pour vider Mossoul et tout l’Irak de ses chrétiens
Mossoul est désormais sous la coupe de bandes armées et d’islamistes sunnites. Les chrétiens en paient le prix fort: en octobre 2008, près de 15’000 personnes ont quitté la ville sous la menace des attentats et des enlèvements. En un an, des dizaines de chrétiens ont été assassinés, dont l’archevêque chaldéen Paulos Faraj Rahho. Commerçants, prêtres, diacres, institutions et églises sont depuis des années la cible des terroristes.
Pour maintenir la tension avant les élections générales annoncées pour le 7 mars, des attentats ont détruit le 27 novembre l’église Saint-Ephrem, dans le quartier d’al-Jadida, et endommagé le couvent des sœurs Dominicaines de Sainte-Catherine. Les derniers assassinats et enlèvement de commerçants chrétiens à Mossoul remontent à moins de deux jours. Qui se cache derrière ces attaques?
Le gouvernement irakien dénonce les suppôts d’Al-Qaïda. Les politiciens kurdes ont eux aussi des visées sur les régions de Kirkouk et de Mossoul, restées en territoire irakien. Ils veulent les intégrer au Kurdistan d’Irak, autonome suite à la 1ère Guerre du Golfe en 1991. Un religieux nous le confie: les Kurdes veulent apparaître comme les protecteurs des chrétiens, «mais on les soupçonne de fomenter à leur tour des violences… il suffit de connaître l’histoire tourmentée de la région !». (*).
«Un plan existe pour vider Mossoul de ses chrétiens, mais tout l’Irak est visé», nous déclare un intellectuel chrétien de la ville. «D’ici 2015-2020, il n’y en aura plus aucun dans ce pays, alors qu’ils sont en Mésopotamie, entre Tigre et Euphrate, depuis les premiers temps du christianisme». Nous rencontrons, après mille précautions, ce personnage de haute stature qui s’est fait un nom à l’étranger avec ses publications scientifiques. Il a reçu une lettre anonyme contenant une balle avec un message indiquant dans quelle mosquée aller payer la jizya, l’»impôt de protection» dû par le passé par les non musulmans, mais remis au goût du jour par les milices fondamentalistes.
Malgré un poste envié dans l’administration, il songe à émigrer dès qu’il en aura l’occasion. Il ne se sent pas protégé par les forces de sécurité gouvernementales, absentes des quartiers quand il y a un attentat… «Les chrétiennes, quand elles sortent de chez elles, doivent porter le hijab, le voile islamique, pour ne pas se faire attaquer… A Bagdad, beaucoup de prêtres paient la jizya, même s’ils ne l’avouent pas publiquement. Ils veulent tout simplement survivre aux enlèvements et aux assassinats!»
L’Occident aimerait que les chrétiens restent «comme symbole» dans cette région où ils vivent depuis les premiers siècles. La mort pour les chrétiens d’Irak, lance-t-il, n’est pas seulement physique, mais aussi sociale et culturelle: pratiquement plus aucun objet chrétien n’est montré dans les musées irakiens. «Nous avons 2’000 ans de civilisation chrétienne en Mésopotamie, mais il y a une volonté de moins en moins cachée d’effacer cet héritage!»
Mgr Casmoussa a envoyé son chauffeur me chercher au Kurdistan: il veut faire connaître sa communauté où nombre de chrétiens de Mossoul ont trouvé refuge. Une étape avant, peut-être, de rejoindre un parent installé en Amérique ou en Europe. La voiture fonce à 140 km à l’heure sur une route encombrée de camions et parsemée de barrages militaires où flottent tour à tour drapeau kurde – trois bandes horizontales rouge, blanche et verte, avec au centre un soleil à 21 branches – et emblème irakien…
Les chrétiens de la Plaine de Ninive ont leur propre milice armée
A chaque barrage, arrêt obligatoire ! Le chauffeur prononce un mot magique: el-Kanissa, «l’Eglise» en arabe. La plupart du temps, le soldat nous laisse passer sans nous fouiller. Nous évitons les villages chrétiens de Bartalla et Karamles avant d’arriver à Karakosh. Des civils brandissant des fusils AK47, déployés à l’entrée de la bourgade, parlent un dialecte syriaque, le sureth, sorte d’araméen oriental moderne. C’est la langue des chrétiens de ces villages: nous voilà protégés, comme le sont les églises, dont les ruelles d’accès sont barrées par de grosses chaînes en fer. Aux entrées, encore des gardes armés, membres du «Qaraqosh Protection Committee».
Cette milice chrétienne est semble-t-il financée par l’ancien ministre des finances du gouvernement régional du Kurdistan Sarkis Aghajan, un chrétien très engagé pour sa communauté. Il a investi des millions de dollars pour construire des églises, des séminaires, des maisons religieuses. Il a restauré dans la montagne 120 villages chrétiens, avec route, église, école, grande salle de réunion et génératrice pour l’électricité. Des maisons pour les villageois déportés dans les années 60-70 par Saddam Hussein et les précédents gouvernements de Bagdad guerroyant contre les Kurdes en rébellion.
Depuis la chute du dictateur, ces chrétiens installés à Bagdad, Mossoul ou Basra, sont menacés et rançonnés. Fuyant la violence, leur retour au Nord n’est souvent que temporaire. Nés en ville, les jeunes ne veulent plus vivre en vase clos. Il n’y a pas de travail dans ces villages. La majorité prend la route de l’exil vers la Syrie, la Jordanie, le Liban, voire la Turquie, en attendant de poursuivre vers l’Europe ou les Amériques.
Dans son petit bureau de Karakosh, l’évêque syriaque de Mossoul se désole: la communauté chrétienne est divisée L’Eglise chaldéenne, représentant la majorité des chrétiens, veut faire inscrire la nationalité chaldéenne dans la Constitution, finalement au détriment des autres minorités chrétiennes, alors que les chrétiens devraient être unis dans l’adversité. «Nous ne sommes plus que 1 ou 2%… on se divise alors que nous sommes la cible des islamistes !» JB.
(*) Dans l’histoire, l’attitude des Kurdes envers les chrétiens n’a pas toujours été pacifique: un religieux nous rappelle les massacres des chrétiens assyro-chaldéens au cours du XIXe siècle, et surtout ceux planifiés en 1915 durant «l’année de l’épée» (qu’ils appellent «Seyfo»), moins connus que le génocide des Arméniens, mais qui ont décimé leur communauté sous l’Empire ottoman. Plus près de nous, dans le Royaume hachémite d’Irak, plusieurs milliers d’Assyriens qualifiés de «séparatistes» ont été massacrés au Kurdistan, notamment à Sumail, en août 1933.