«De la honte et une profonde consternation»
Suisse: La Conférence des évêques réagit face aux cas d’abus sexuels dans la pastorale
Berne, 31 mars 2010 (Apic) Face aux révélations d’abus sexuels commis par des prêtres qui surgissent depuis des semaines dans les médias, la Conférence des évêques suisses (CES) a estimé qu’il fallait réagir promptement. Mercredi 31 mars, devant une foule de journalistes, dont des médias étrangers, Mgr Norbert Brunner a détaillé les mesures prises par l’Eglise pour faire face à ces cas d’abus. Mais tout d’abord le président de la CES a tenu à lire une déclaration souscrite par tous les évêques de la Conférence, qui disent éprouver «de la honte et une profonde consternation» face aux abus commis dans le cadre de la pastorale.
La CES traitera encore de ces questions lors de sa prochaine assemblée plénière en juin. Mais après concertation, vu la pression médiatique, les évêques ont décidé d’intervenir dès à présent en publiant un communiqué en huit points dans lequel ils disent avouer «humblement avoir sous-estimé l’ampleur de la situation».
Le bien des victimes est prioritaire
«Les responsables dans les diocèses et les ordres religieux ont commis des erreurs. Nous demandons pardon pour ces erreurs», a déclaré Mgr Brunner. L’évêque de Sion a rappelé que l’Eglise avait déjà publié en décembre 2002, à l’intention des diocèses, des directives intitulées «Abus sexuels dans le cadre de la pastorale», avec une deuxième édition en mars 2009.
Le président de la CES rappelle que l’intérêt des victimes, la prévention des abus et une procédure systématique à l’encontre de leurs auteurs sont prioritaires. «Nous appliquerons avec fermeté ces directives», a-t-il assuré. Et Mgr Brunner de souligner que depuis 2002, «la situation a pas mal changé».
Ne pas commettre les mêmes erreurs qu’autrefois
Avec toutes ces révélations sur les cas d’abus – 60 cas annoncés en Suisse dans les diocèses et les congrégations religieuses, précise-t-il, dont une large majorité remontent à de nombreuses années – le président de la CES se demande dans quelle mesure il est nécessaire d’adapter ces directives «qui en général et dans les grandes lignes remplissent bien leur rôle et ont de l’effet». Mais, insiste-t-il, «notre souci, notre devoir, est de ne pas commettre les mêmes erreurs qu’on a peut-être commises autrefois!» Les évêques estiment important qu’une transparence totale soit faite sur le passé.
Dans leur déclaration du 31 mars 2010, les évêques encouragent tous ceux qui ont souffert d’abus à s’annoncer auprès des centres de consultation pour les victimes ou des centres de consultation diocésains et, le cas échéant, à porter plainte. «La victime doit être aidée si elle veut porter plainte… Il faut voir la gravité du cas, mais s’il y a danger de récidive, nous devons dénoncer l’abuseur à la justice. Nous verrons lors de l’assemblée de juin, en discutant avec les experts, s’il faut aller dans le sens de la dénonciation automatique, mais il est certain qu’il y a des cas où sans conteste il faut le faire».
La déclaration incite tous ceux qui ont commis des abus – agents pastoraux, membres d’ordres religieux, collaborateurs dans les paroisses, dans les écoles et dans d’autres institutions sous la responsabilité de l’Eglise – à assumer leurs fautes et à s’annoncer à l’autorité compétente.
Améliorer la collaboration entre diocèses et ordres religieux
Mgr Brunner a encore souligné qu’il fallait améliorer la collaboration et l’information entre diocèses et ordres religieux, également au plan international. Les responsables doivent avoir la certitude que leur collaborateurs et collaboratrices sont intègres. Pour le président de la CES, l’échange d’informations entre les diocèses suisses fonctionne bien, mais il faudrait l’améliorer avec l’étranger. Il ne sait pas, par contre, si l’établissement de «listes noires» d’agents pastoraux susceptibles d’être des abuseurs est le meilleur moyen de prévention. «C’est une question majeure dont la Conférence des évêques va discuter en juin… La question de l’efficacité de telles listes est discutée non seulement dans l’Eglise mais aussi dans les instances civiles».
Le célibat n’est pas le remède contre la pédophilie
Interrogé sur le rapport entre célibat des prêtres et cas de pédophilie, Mgr Brunner a déclaré ne pas voir de relations directes, relevant que selon une statistique française portant sur les cas d’abus sexuels, seuls 5% sont commis par des personnes vivant comme célibataires.
S’il considère toujours l’ordination d’hommes mariés (»viri probati») comme une possibilité dans l’Eglise latine (les Eglises catholiques de tradition orientale connaissant déjà l’ordination sacerdotale d’hommes mariés), Mgr Brunner estime que cette problématique ne doit pas être mise dans le contexte des abus sexuels. «La question se pose de savoir si les personnes ont ou non la vocation, pas pour éviter les abus sexuels». Et de toute façon, cela ne peut pas être résolu au niveau d’un diocèse ou d’un pays, mais au plan de l’Eglise universelle. «Il y a autant de partisans que d’opposants à l’ordination de ’viri probati’ à tous les niveaux de l’Eglise, c’est une question transversale». Elle n’est pas discutée actuellement.
L’Eglise veut aller au-delà des déclarations d’intention
Le président de la CES a relevé que les évêques suisses n’ont pas seulement la volonté de faire toute la lumière, mais qu’ils s’en donnent les moyens: «Ce n’est pas seulement une déclaration d’intention, on travaille effectivement dans ce sens dans les diocèses, dans les séminaires. On pourrait penser qu’en raison du manque de vocations, l’on serait amené à diminuer les exigences pour les futurs prêtres. Mais en tout cas dans mon séminaire, c’est le contraire qui se passe, car dans la réalité actuelle, les exigences sont beaucoup plus élevées.» Les problématiques sexuelles et la vie sexuelle sont thématisées – du point de vue spirituel, psychologique, médical – durant le parcours de formation du séminariste. En cette Semaine sainte, à la veille de Pâques, Mgr Norbert Brunner a tenu à rappeler que la très grande majorité des prêtres ont une vie irréprochable et qu’ils méritent le soutien des fidèles. JB
Document
Abus sexuels dans la pastorale :
Déclaration de la Conférence des évêques suisses
1. Les membres de la Conférence des évêques suisses éprouvent de la honte et une profonde consternation face aux abus sexuels perpétrés dans le cadre de la pastorale.
2. Nous avouons humblement avoir sous-estimé l’ampleur de la situation. Les responsables dans les diocèses et les ordres religieux ont commis des erreurs. Nous demandons pardon pour ces erreurs.
3. Nous encourageons tous ceux qui ont souffert d’abus à s’annoncer auprès des centres de consultation pour les victimes ou des centres de consultation diocésains et, le cas échéant, à porter plainte. Nous estimons important qu’une transparence totale soit faite sur le passé.
4. Nous prions tous les agents et agentes pastoraux, les membres des ordres religieux, les collaborateurs et collaboratrices dans les paroisses, dans les écoles et dans d’autres institutions sous la responsabilité de l’Église, qui ont commis des abus d’assumer leurs fautes et de s’annoncer à l’autorité compétente.
5. Nous remercions toutes celles et ceux qui vivent fidèlement leur vocation et les encourageons à continuer à servir, surtout dans ce temps de crise.
6. La Conférence des évêques a édicté, en 2002 déjà, des directives sur le sujet. Elles posent comme prioritaires les intérêts de la victime, la prévention des abus et une procédure systématique à l’encontre de leurs auteurs. Nous appliquerons avec fermeté ces directives qui ont été complétées en 2009.
7. Il faut améliorer la collaboration entre les diocèses et les ordres religieux, également au plan international. Les responsables doivent avoir la certitude que leur collaborateurs et collaboratrices sont intègres. La Conférence des évêques abordera cette question et d’autres lors de sa séance du mois de juin.
8. Le temps de carême invite à reconnaître ses fautes, à assumer ses mauvais comportements, à trouver des moyens de s’améliorer et à demander pardon à Dieu et aux hommes. Nous remercions tous les fidèles qui aident notre Église à une crédibilité toujours plus grande.
Fribourg, 31 mars 2010
Les évêques suisses