Sénégal : Rapport accablant de Human Rights Watch sur les enfants mendiants

Confiés à des marabouts, des milliers de talibés subissent de graves abus

Dakar, 18 avril 2010 (Apic) Human Rights Watch (HRW) a dénoncé, dans un rapport accablant, l’exploitation des enfants par des marabouts au Sénégal. A travers le pays, au moins cinquante mille garçons, de quatre à douze ans, sont forcés de mendier dans les rues pour leurs enseignants du coran, note l’organisation américaine de défense des droits humains.

En visite officielle au Sénégal lors de la publication du rapport, la Gouverneure générale du Canada Michaëlle Jean s’est émue de cette situation et a demandé au gouvernement sénégalais de se pencher sur le cas de ces «milliers d’enfants livrés à la mendicité». Elle a assimilé cette situation à de «l’esclavage».

Le Sénégal est l’un des seuls pays musulmans au monde où la mendicité juvénile, au nom de l’Islam, est acceptée et tolérée. Les parents envoient leurs enfants dans des daaras ou écoles coraniques dans le souci de leur assurer une éducation religieuse. Dans ces écoles de fortunes, ils sont appelés talibés ou apprenant le Coran.

A cause de la pauvreté également, beaucoup de familles préfèrent confier leurs enfants à des marabouts. Dans ces lieux d’apprentissage du Coran, la plupart des parents ne fournissent aucun soutien financier ni ne s’inquiètent de la santé de leurs enfants. Beaucoup d’entre eux ignorent les abus commis sur eux. Il arrive aussi que des parents envoient ou renvoient délibérément leurs enfants vers une situation qu’ils savent entachée d’abus, a souligné le rapport de 126 pages, intitulé «Sur le dos des enfants: Mendicité forcée et autres mauvais traitements à l’encontre des talibés au Sénégal».

Très largement diffusé au Sénégal, ce rapport souligne que les enfants sont forcés de mendier dans les rues pendant de longues heures, sept jours par semaine, par des professeurs appelés marabouts dont plusieurs adoptent «des comportements abusifs et brutaux ».

Selon le rapport, les adolescents sont souvent soumis par leurs maîtres coraniques à «des formes extrêmes» de maltraitance, de négligence et d’exploitation. Les auteurs du document se sont appuyés sur des entretiens menés auprès de 175 talibés ou anciens talibés, ainsi qu’auprès d’environ 120 autres personnes, dont des marabouts, des familles qui ont envoyé leurs enfants dans ces écoles, des spécialistes de l’islam, des représentants gouvernementaux et des travailleurs humanitaires.

L’éducation comme couverture pour l’exploitation des enfants

Les recherches menées par HRW ont montré qu’actuellement, dans de nombreux daaras urbains fonctionnant en internats, des marabouts se servent de l’éducation comme couverture pour l’exploitation économique des enfants à leur charge. Ils exigent que les enfants leur remettent quotidiennement le produit de leur mendicité. Aux enfants qui ne s’acquittent pas de cette obligation, ils leur infligent de graves violences physiques et psychologiques. L’organisation a recensé de nombreux cas de sévices corporels, ainsi que plusieurs cas où des enfants ont été enchaînés, attachés et forcés de rester dans des positions pénibles pendant qu’ils étaient battus.

Dans plus de cent lieux d’apprentissage du Coran dont HRW a interrogé des talibés actuels ou anciens, le marabout recueille en général entre 20’000 et 60’000 dollars par an grâce à la mendicité des garçons. Cette somme est substantielle dans un pays où la plupart des populations vivent avec moins de deux dollars par jour. Certains entretiens laissent supposer que des marabouts peuvent amasser jusqu’à 100’000 dollars par an, en exploitant les enfants qui leur sont confiés.

Au regard de la gravité de la situation, HRW a appelé l’Organisation de la conférence islamique (OCI) à dénoncer la pratique de la mendicité forcée des enfants, et à la considérer comme un acte contraire aux obligations en matière de droits humains, au regard de la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en Islam. Elle a aussi demandé au Rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines d’esclavage, d’entreprendre une enquête sur la situation des talibés.

Le gouvernement sénégalais a également été invité par l’organisation de défense des droits humains, à ne pas rester les bras croisés pendant que des dizaines de milliers d’enfants talibés sont soumis chaque jour à des violences physiques et à une négligence totale.

Aucun marabout n’a été accusé pour crime de mendicité forcée

Pourtant, ce gouvernement a fait voter en 2005 au parlement une loi interdisant de forcer autrui à mendier en vue d’en tirer personnellement profit. Mais jusqu’ici, les autorités se sont abstenues de prendre des mesures concrètes pour faire appliquer la loi, et ainsi mettre un terme à l’exploitation et aux abus contre les talibés. Bien que le phénomène soit très visible, aucun marabout n’a été accusé ni jugé pour «crime de mendicité forcée».

La Gouverneure canadienne Michaëlle Jean, en visite officielle au Sénégal, a demandé au président Abdoulaye Wade, lors d’une conférence de presse commune de se pencher sur la situation de ces «milliers d’enfants livrés à la mendicité». «Le rapport de Human Right Watch sur la condition de milliers d’enfants au Sénégal retient mon attention et certainement aussi la vôtre. Que tant d’enfants soient livrés à la mendicité, qu’on exploite la force de travail de tant d’entre eux (…) cela porte un triste nom et ça s’appelle l’esclavage», a-t-elle déclaré au président Wade. (apic/ibc/bb)

18 avril 2010 | 11:09
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 4  min.
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