Genève: Suite à l’initiative sur les minarets, les juifs de Suisse s’inquiètent des dérives populistes

105e Assemblée des délégués de la Fédération Suisse des Communautés Israélites FSCI

Genève, 14 mai 2010 (Apic) La communauté juive de Suisse, qui compte près de 17’000 membres, s’inquiète des dérives populistes qui se font jour suite à l’acceptation de l’initiative populaire sur les minarets. «Il y a des signes actuellement d’une tendance au durcissement, d’une surenchère politique. Si les musulmans sont actuellement visés, nous en ressentons également les ricochets», a déclaré vendredi à l’Apic Sabine Simkhovitch-Dreyfus, vice-présidente de la Fédération Suisse des Communautés Israélites (FSCI).

La vice-présidente de la FSCI relève qu’en Suisse, depuis longtemps, la minorité juive avait trouvé un équilibre; des arrangements avaient été acceptés sans créer de problèmes. Elle remarque cependant que le ton se durcit à propos de thèmes comme par exemple les cimetières confessionnels, la circoncision, le respect par les écoles publiques, pour la date des examens, d’arrangements concernant les samedis et les jours fériés juifs.

Crainte de surenchère de certains partis politiques

«Il y a des interdictions absolues pour les juifs religieux», relève-t-elle, et des arrangements étaient trouvés. Elle craint que le débat sur les minarets, et maintenant sur la burqa, qui ciblent les musulmans – dont la grande majorité ne sont pas des fondamentalistes, tient-elle à préciser – ne déborde également sur d’autres minorités, comme les juifs ou les adventistes, par exemple. Elle note le risque d’une surenchère de certains partis politiques sur ces thèmes, et cette dérive a déjà débordé les rangs de l’Union démocratique du centre (UDC).

En prélude à la 105e Assemblée des délégués de la Fédération Suisse des Communautés Israélites (FSCI), qui s’est tenue jeudi à l’Hôtel Crowne Plaza de Genève, un débat politique public portant sur «Etat-Religion: quel équilibre?» a été animé mercredi soir par la journaliste Esther Mamarbachi, productrice responsable de l’émission «Infrarouge» sur la TSR. Des personnalités de nombre de communautés religieuses présentes à Genève – catholique, protestante, musulmane, bouddhiste, etc. – avaient fait le déplacement.

En ouverture de l’assemblée de la FSCI, un débat entre des personnalités politiques représentant tous les grands partis suisses a vu la présence des conseillers nationaux Martine Brunschwig Graf (Libéraux-radicaux PLR), Christophe Darbellay (parti démocrate-chrétien PDC), Oskar Freysinger (Union démocratique du Centre UDC), Ueli Leuenberger, les Verts, Ada Marra (Parti socialiste PS), ainsi que Sabine Simkhovitch-Dreyfus, vice-présidente de la FSCI. Cette dernière a souligné qu’après l’acceptation de l’initiative sur les minarets, les juifs de Suisse tiennent plus que jamais à la préservation de la liberté religieuse et l’interdiction de toute discrimination.

Menaces sur des pratiques permettant aux juifs de vivre en accord avec leur foi

Des solutions pratiquées pendant des années et permettant aux juifs de vivre en accord avec leur foi sont remises en cause, a-t-elle affirmé. Par conséquent, en tant que citoyenne suisse, elle s’est dit préoccupée par le fait que le discours politique actuel ne résout rien et augmente les clivages.

Lors de la cérémonie qui a suivi, le président de la FSCI, Herbert Winter, a fait l’éloge de Genève en tant que «ville phare du judaïsme Suisse et des valeurs qui lui sont chères». La ville de la diplomatie internationale où, en 1936, a été fondé le Congrès juif mondial, dégage «cette ouverture au monde dont nous nous sentons particulièrement proches».

La question de la liberté religieuse n’est pas négociable

Conformément à la devise «Diversité juive», tout le spectre du judaïsme, tant en termes d’origines qu’au niveau religieux, est représenté à Genève, a-t-il souligné. Au centre du discours de Herbert Winter, les suites difficiles de l’acceptation de l’initiative sur les minarets. A cette occasion, la problématique du rapport entre l’Etat et la religion, mais aussi entre la démocratie directe et Etat de droit a refait surface de manière nouvelle et inattendue. Il a souligné que les règles impératives du droit international et les droits fondamentaux prévus par la Constitution tels que la liberté religieuse n’étaient pas négociables et ne devaient «être aliénés sous aucun prétexte».

Concernant les rapports entre la communauté juive de Suisse et l’Etat d’Israël, Herbert Winter a évoqué l’attachement des juifs suisses à l’Etat d’Israël tout en soulignant que la FSCI n’était pas le porte-parole du gouvernement israélien.

Jeudi, l’assemblée des délégués a élu Francine Brunschwig, de Lausanne, en tant que nouveau membre du comité directeur. Elle reprend le département de la culture. La partie statutaire était précédée d’ateliers sur des thèmes liés à la communauté juive de Suisse – coopération régionale, les besoins spécifiques des juifs et l’Etat, ainsi que l’avenir des communautés juives. JB

Encadré

Les juifs sont intégrés en Suisse, après des siècles de discriminations

Les premiers juifs arrivent en Suisse à l’époque des Romains. Au Moyen-Age, les juifs vivant dans les villes suisses sont soumis à des dispositions légales particulières et discriminatoires. Ils sont tenus de porter un signe distinctif sur leurs vêtements et ne sont pas en droit d’exercer la profession d’artisan, de commerçant ou de paysan. Les prêts à intérêts étant considérés comme une activité immorale par les chrétiens, ce sont les juifs qui prêtent de l’argent contre des intérêts, des gages et des garanties. Durant la peste de 1348/49, de nombreux juifs sont torturés, chassés ou assassinés. Au 15ème siècle, l’Eglise assouplit l’interdiction des prêts à intérêts pour les chrétiens. Les juifs ne sont plus nécessaires et chassés du pays. Jusqu’au 19ème siècle, la Suisse ne compte plus que quelques rares habitants juifs.

A compter de 1776, les juifs sont uniquement autorisés à s’installer dans les deux communes de Lengnau et d’Endingen, à l’est de Baden, dans le canton d’Argovie. Les juifs doivent acheter leur droit de séjour auprès du bailli fédéral. Ils restent exclus des activités artisanales et agricoles. A l’exception de quelques marchands de bétail et de chevaux, la plupart mènent une vie misérable de petits commerçants et de colporteurs. Ils sont par contre libres de pratiquer leur religion, de construire des synagogues et d’aménager un cimetière. En 1850, les deux villages comptent environ 1’500 habitants juifs.

Ce n’est qu’en 1874 que la Constitution suisse reconnaît les juifs comme des citoyens à part entière, avec les mêmes droits et obligations. Ils sont dès lors autorisés à choisir librement leur lieu de résidence et leur profession, sans être soumis à des prescriptions particulières discriminatoires. Des communautés religieuses juives se créent dans près de vingt communes. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, du fait de l’immigration en provenance des pays voisins et d’Europe de l’Est, la population juive augmente pour atteindre environ 20’000 personnes. Les demandeurs d’asile juifs qui fuient le nazisme, en dépit de protestations émises par des Eglises, des hommes politiques et une partie de la population, sont souvent refoulés à la frontière et envoyés ainsi vers une mort certaine. De 1933 à 1945, les juifs suisses luttent à la fois contre l’antisémitisme et s’inquiètent du sort des réfugiés dont ils doivent longtemps se charger seuls, ceci sur ordre des autorités. Après la Deuxième Guerre mondiale, l’évolution générale ayant instauré une Suisse pluraliste et une plus grande tolérance envers les différentes tendances religieuses et les divers modes de vie, les juifs suisses sont devenus une minorité reconnue et bien intégrée. (apic/com/be)

14 mai 2010 | 11:47
par webmaster@kath.ch
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