Bethléem: L’Université catholique offre aux jeunes Palestiniens une perspective d’avenir

Rencontre avec le recteur Peter Bray, Frère des Ecoles Chrétiennes

Fribourg, 17 mai 2010 (Apic) «Les Israéliens prennent les terres et les maisons des Palestiniens, mais ils ne peuvent pas les priver d’éducation. On doit préparer la jeunesse palestinienne afin qu’elle ait une formation, un avenir…  » Le Père Peter Bray, vice-chancelier (*) de l’Université de Bethléem (BU) depuis février de l’année dernière, ne mâche pas ses mots. De passage en Suisse (**), il a fait part à l’Apic de ses révoltes et de ses espoirs.

Le Père Peter Bray évoque ainsi les dures conditions de la vie de la population qui souffre depuis des décennies sous l’occupation militaire israélienne, avec son cortège de spoliations et d’humiliations constantes. Au cours de sa brève histoire, l’Université de Bethléem a été fermée à 12 reprises par les Israéliens, dont une fois pendant trois ans. C’était la période de la 1ère intifada, le soulèvement palestinien (***). Malgré tout, professeurs et étudiants se sont organisés dans la clandestinité; les cours et les examens se sont tenus dans des lieux privés.

Mais le religieux originaire de Nouvelle-Zélande tient également à souligner l’espoir que représente l’existence de «son» Université qui forme actuellement plus de 3’000 étudiants, dont 70% sont musulmans et 30% chrétiens. «Malgré toutes les restrictions, nous voulons être une oasis de paix!»

Apic: Les chrétiens sont de moins en moins nombreux en Terre Sainte et se plaignent à l’occasion de discriminations… Comment se passe la coexistence à l’Université de Bethléem ?

Père Peter Bray: Les étudiants vivent ensemble, se côtoient sur le campus, dans les cours. Ils suivent également tous un même cours sur l’interreligiosité où ils apprennent à connaître l’islam, le christianisme et le judaïsme. Ces «études religieuses» (religious studies) sont une chance pour eux de connaître les autres: cela aide à dépasser les préjugés et permet le dialogue entre les communautés. Il ne faut pas oublier qu’il reste moins de 2% de chrétiens dans toute la Palestine.

Apic: L’avenir semble de plus en plus sombre pour les Palestiniens…

Père Peter Bray: C’est un fait que les Palestiniens sont partout de plus en plus encerclés. Je ne suis pas optimiste en ce qui concerne la paix. Comment est-il possible d’avoir un Etat palestinien viable, avec toutes les implantations juives installées dans un territoire palestinien morcelé et avec la confiscation de tant de leurs terres ? Tout cela sans compter avec les barrages militaires qui empêchent les habitants de Hébron de se rendre à Ramallah et vice-versa! Le mur de séparation israélien coupe les villageois de leurs terres, les empêche de cultiver, dissuade les gens de circuler et les étudiants de se rendre à l’Université.

Le but des Israéliens est de décourager la population palestinienne en les empêchant de se déplacer, de voyager. Des jeunes de Gaza veulent étudier à notre Université de Bethléem, tandis que la politique israélienne est de les en empêcher.

Je ne peux comprendre ce choix et cette logique: les Palestiniens, qui ont perdu la grande partie de leurs terres, savent qu’ils doivent étudier pour s’en sortir, et les Israéliens ne font rien pour leur faciliter la tâche. En fait, ils aimeraient que les Palestiniens s’en aillent, car c’est leurs terres qu’ils veulent.

Apic: Les étudiants en provenance de Gaza sont dans le collimateur!

Père Peter Bray: En effet, ils pourchassent les gens originaires de Gaza qui n’ont pas de permission explicite de vivre en Cisjordanie, notamment des étudiants, comme ce fut le cas avec la jeune gazaouie Berlanty Azzam, déportée à Gaza à la veille de passer ses examens à l’Université de Bethléem.

Berlanty Azzam, âgée de 21 ans, a pu finalement terminer ses études par internet et téléphone et s’est vu décerner son diplôme de bachelor le dimanche 10 janvier à Gaza. Nous y sommes allés en délégation notamment avec le nonce apostolique en Israël et dans les Territoires palestiniens, Mgr Antonio Franco. Arrêtée sur un barrage, la jeune étudiante en gestion administrative avait été interdite de retour à l’Université par l’armée israélienne en octobre 2009. L’armée israélienne prétend que l’étudiante ne disposait pas d’un permis l’autorisant à résider en Cisjordanie, mais ce permis n’existait pas en 2005, lors de l’entrée de Berlanty Azzam dans ce territoire !

L’an dernier, nous avions 12 étudiants de Gaza – chrétiens et musulmans – dans notre Université, mais il leur est désormais impossible de revenir. Ils sont interdits de retour sur le campus par l’armée israélienne, qui a «saucissonné» les territoires palestiniens en érigeant un peu partout des barrages militaires. La Cisjordanie a été transformée en une suite de «bantoustans», comme au temps du régime d’apartheid en Afrique du Sud.

Nous avons actuellement 3 étudiants chrétiens de Gaza qu’Israël empêche de venir étudier à Bethléem. On essaye d’obtenir une permission grâce à l’aide de l’ONG israélienne Gisha qui milite pour la liberté de circulation. Malgré cette politique absurde, les Palestiniens résistent. Je suis très admiratif de leur résilience.

Apic: Vous ne semblez pourtant pas voir d’issue à l’occupation ?

Père Peter Bray: Il y a quelques décennies, qui aurait pensé que le mur de Berlin allait tomber, que le régime d’apartheid en Afrique du Sud allait céder la place à la majorité noire ? Je ne voyais pas à l’époque comment la paix pouvait venir, mais l’espoir, c’est différent de l’optimisme! Nous ne pouvons pas attendre que la situation change pour faire quelque chose. Nous avons besoin de gens formés en Palestine, et c’est ce que fait l’Université de Bethléem.

D’autre part, nous voyons bien qu’il y a beaucoup d’Israéliens et de nombreux juifs aux Etats-Unis qui sont désenchantés. Des organisations juives pour la paix questionnent la manière dont Israël est gouverné et mettent en cause le pouvoir qu’exercent les colons juifs sur le gouvernement actuel. Un tiers de nos étudiants viennent de la partie arabe de Jérusalem, et ils doivent passer les barrages israéliens deux fois par jour. Les Israéliens ferment les «checks points» quand ils veulent. A chaque fois, nos étudiants ne savent pas s’ils pourront revenir étudier le lendemain. Malgré tout, ils reviennent! Ils mettent d’une ½ heure à 2h pour franchir 12 km, et certaines fois, ils ne peuvent même pas passer. Je peux attendre 3/4h dans la file avant de pouvoir passer le contrôle. Il faut voir des adultes et des personnes âgées humiliés par des soldats israéliens de 19-20 ans aux barrages…

Nombre de chrétiens de Bethléem, qui se trouvent à une douzaine de kilomètres du Saint-Sépulcre, n’ont jamais pu se rendre aux lieux saints de Jérusalem, ou à Nazareth. A Pâques, quelques chrétiens reçoivent une permission, mais les Israéliens divisent les familles, en distribuant des permis à l’un des membres mais pas à l’autre…

Apic: Israël continue impunément sa politique d’occupation, et vient même de recevoir le feu vert pour adhérer à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)…

Père Peter Bray: Malgré ses constantes violations du droit international, Israël continue de bénéficier du soutien politique, économique et militaire des Etats-Unis – 6 à 7 millions de dollars sont alloués quotidiennement ! – et presque personne ne soutient les Palestiniens. Ce sont les Américains qui ont la clé de la situation et que font-ils ?

Malgré cette réalité attristante, mon intérêt n’est pas politique et mon attention se porte sur les 3’000 étudiants palestiniens de l’Université de Bethléem. Pour cela, il faut trouver des soutiens financiers à l’extérieur. Il s’agit d’un budget annuel de 10 millions de dollars, dont la majorité vient de collectes de fonds, notamment dans les milieux d’Eglise, et de l’aide officielle, comme celle du gouvernement espagnol. JB

(*) Le délégué apostolique à Jérusalem et en Palestine – depuis 2006, le nonce Antonio Franco – est d’office le chancelier de l’Université de Bethléem. Le vice-chancelier a la fonction de recteur.

(**) Il était invité à l’assemblée annuelle de l’Association en faveur de l’Université de Bethléem (ABU) tenue le 8 mai au séminaire St-Beat à Lucerne

(***) La première intifada a débuté à Bethléem en 1987. L’armée d’occupation a alors fermé l’Université catholique pendant plus de trois ans, jusqu’en 1990. Les professeurs étaient obligés de donner les cours clandestinement, dans des maisons, des hôtels, en cachette. «Les Israéliens voulaient nous empêcher d’éduquer toute une génération», note le recteur de l’Université. En 2001 et 2002, l’établissement a reçu une bonne centaine de grenades assourdissantes, censées être «non létales», l’Université a été mitraillée et des centaines de balles ont fait des dégâts. Quatre missiles filoguidés «TOW» – très précis! – ont visé trois fois le nouveau bâtiment du Millenium, causant de sévères dommages, ainsi que le centre palestinien «Turathuna» (»Notre héritage»), qui fait partie de la Bibliothèque. Des centaines de livres ont été détruits, et d’immenses dommages ont été causés. Ces tirs étaient intentionnels. L’Université a gardé un souvenir de ces attaques à l’entrée du Centre «Turathuna»: le grand trou causé par le missile TOW. Elle y a placé une plaque en arabe et en anglais: «Cadeau de l’armée israélienne».

Encadré

Frère des Ecoles Chrétiennes, fort de plus de 30 ans d’expérience dans le domaine de l’éducation catholique en tant que professeur, consultant, administrateur et expert dans le domaine des systèmes d’éducation, Peter Bray est le 8ème vice-chancelier de l’Université de Bethléem depuis février 2009.

Avant cela, il était directeur du Centre d’éducation catholique de Wellington, en Nouvelle-Zélande. Son activité professionnelle l’a conduit un peu partout dans le monde: de l’Australie aux Etats-Unis, en passant par la Turquie, l’Angleterre, l’Irlande et les Philippines. L’Université de Bethléem est la seule Université catholique en Palestine. C’est un établissement universitaire unique où étudiants et enseignants, chrétiens et musulmans, oeuvrent ensemble. Dans une atmosphère de respect mutuel, ils partagent les mêmes valeurs morales et contribuent ainsi à promouvoir la paix, la justice et la concorde.

La plupart des plus de 11’000 diplômés de l’Université sont restés au pays et oeuvrent au bien-être de la société – en tant qu’enseignants, pédagogues, catéchistes, infirmiers, hommes d’affaires, agents de tourisme et hôteliers, scientifiques, entrepreneurs et fonctionnaires de l’administration publique. Leur formation et leur implication professionnelle sont une source d’espoir dans un avenir meilleur, souligne le Père Peter Bray, recteur de l’Université de Bethléem. (apic/be)

17 mai 2010 | 16:16
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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