Brésil: L’Eglise brésilienne cherche à évangéliser par le tourisme
Croissance notable du tourisme religieux
Belém/Florianopolis, 30 août 2010 (Apic) Avec 15 millions de personnes qui se déplacent chaque année dans le pays pour des motifs religieux, l’Eglise catholique au Brésil entend exploiter son formidable patrimoine touristique religieux. En espérant qu’il ne sera pas trop vite «récupéré» par des Tour Opérateurs généralistes en quête de nouveaux marchés.
L’Eglise brésilienne a en effet décidé de s’appuyer sur son patrimoine religieux et la ferveur de ses 125 millions de fidèles pour devenir une destination majeure du tourisme religieux. «De tout temps, les lieux saints ont engendré des déplacements et on peut même dire que le tourisme est étroitement lié à la religion, explique Antonio Kater Filho, fondateur et directeur, depuis 1998, de l’Institut Brésilien de Marketing Catholique (IBMC), un cabinet de ›conseil en marketing aux différentes structures de l’Eglise catholique’. Ces pèlerinages sont en effet à l’origine du tourisme religieux tel que nous que nous le connaissons aujourd’hui».
Une activité de service dont les contours ne sont cependant pas simples à définir. Pour Mgr Murilo Krieger, archevêque de Florianopolis, au sud du Brésil, et coordinateur de la Pastorale du Tourisme au sein de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), «le tourisme religieux est une activité développée par des personnes qui se déplacent pour des motifs religieux ou pour participer à des évènements ayant un sens religieux et dont la motivation fondamentale est la foi».
Cette approche, volontairement large, va de la visite de sanctuaires de pèlerinages jusqu’à la participation à des évènements et célébrations à caractères religieux, en passant par des spectacles ou des congrès à caractère religieux, des retraites dans les monastères voire même des croisières. Autant de «possibilités» pour l’Eglise catholique de s’ouvrir au monde.
Le tourisme, une opportunité pour évangéliser
«L’Eglise voit le tourisme comme une rencontre, confirme Mgr Murilo Krieger. Une rencontre avec un lieu, avec l’autre et avec soi-même, dans le silence de la réflexion et de l’écoute de soi. Ce moment est fondamental pour annoncer dans la joie le mystère de Jésus de Nazareth, son nom, sa doctrine, sa vie…»
Pour mener à bien cette mission, l’Eglise a donc besoin d’être ouverte à toutes les opportunités. Et le tourisme est l’une d’entre elles. «Chaque année, des millions de personnes se rendent dans des sanctuaires, des églises et des lieux sacrés, pour une expérience de foi, par curiosité ou pour des raisons culturelles, poursuit l’archevêque de Florianopolis. Si l’Eglise profite de ces opportunités, elle pourra atteindre des personnes qu’elles n’auraient pas l’occasion d’approcher en d’autres circonstances».
Quitte à mélanger les genres ? «Pourquoi le tourisme serait une préoccupation exclusive des hommes d’affaires ? rétorque Mgr Murilo Krieger. La mission de l’Eglise consiste justement à donner un visage humain au tourisme, dont le cœur demeure la personne». D’où la nécessité, pour relever ces défis, de s’organiser au sein de l’Eglise brésilienne. Et de tenter de définir un cadre professionnel et éthique au tourisme religieux.
Créer une charte du tourisme religieux
Première règle, incontournable : l’espace sacré doit être au centre de l’activité touristique. «Qu’il s’agisse d’un pèlerinage, de la participation à un évènement ou de la visite d’un lieu, le but central de la visite doit demeurer religieux», rappelle le Père Carlos Alberto Chiquim, l’un des animateurs du site www.turismoreligioso.com.br, un site d’information sur le tourisme religieux au Brésil.
Autre élément, la présence d’un «orienteur spirituel». Un point fondamental aux yeux de Mgr Orani Joao Tempesta, archevêque de Rio de Janeiro et président de l’IBMC. «Le tourisme religieux est profondément différent du tourisme culturel, car le professionnel du tourisme n’a pas sa place pour parler, guider, organiser le temps du croyant s’il n’est pas respectueux de la foi et s’il n’agit pas en symbiose avec les institutions religieuses».
Deux règles également au centre des préoccupations de la Pastorale du Tourisme de la CNBB, qui axe en outre son travail sur «l’accueil» des touristes en cherchant à promouvoir la formation de personnels qualifiés au sein des diocèses. De quoi théoriquement répondre à ceux qui s’interrogent sur le risque de voir le tourisme religieux «récupéré» par des Tour Opérateurs généralistes en quête de «nouvelles niches».
«Le risque existe, admet Claudemir de Carvalho, responsable de «CNS Peregrinaçoes-Viagens Religiosas» («CNS Pèlerinages-Voyages Religieux»), l’une des premières agences de tourisme religieux du Brésil, située à Campinas, dans l’Etat de Sao Paulo et dont le slogan est «Evangéliser par le tourisme». C’est pour cette raison qu’il est important et urgent que la CNBB parvienne à établir une charte qui permette aux professionnels d’évoluer dans un cadre éthique précis et identifiable par les clients. L’avis semble partagé par Mgr Murilo Krieger, qui assure travailler à l’élaboration d’un texte dans le cadre de la Pastorale du Tourisme.
«Nous devons favoriser le développement d’un tourisme religieux respectueux des valeurs de l’Eglise catholique, précise l’archevêque de Florianopolis. Tout en sachant que son développement passe par une collaboration étroite entre l’Eglise, l’Etat et l’initiative privée». La précision a son importance, car si le Brésil dispose de plusieurs centaines de sanctuaires et autres lieux de tourisme religieux, l’absence d’investissements et d’infrastructures en limite encore l’exploitation. Une situation qui pourrait cependant changer rapidement. D’après une étude publiée récemment par le Ministère brésilien du Tourisme, pas moins de 15 millions de personnes se déplacent chaque année dans le pays pour des motifs religieux. De quoi croire en un avenir radieux pour le tourisme religieux au Brésil. JB/JCG
Encadré
A tous ceux et celles qui associent encore aujourd’hui le «tourisme religieux» à un marché de «niche», réservé à une clientèle de pèlerins relativement âgée et ne disposant que de petits budgets, ces chiffres devraient donner à réfléchir. D’après l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), en 2007, les déplacements, l’hébergement et les activités liés à ce secteur de l’industrie touristique ont généré 18 milliards de dollars de chiffre d’affaires et concerné près de 300 millions de voyageurs dans le monde. Soit près d’un tiers de l’activité touristique globale (880 millions de voyageurs pour 750 milliards de chiffre d’affaires.) Loin d’être une nouveauté, le tourisme religieux et culturel est pourtant en pleine croissance. Exemples: le Vatican a vu le nombre de ses visiteurs doubler au cours des dix dernières années pour atteindre 4,2 millions de personnes en 2006 ; Lourdes, Fatima, Saint-Jacques de Compostelle, la Terre Sainte… le succès croissant des destinations «classiques» a suscité l’intérêt de l’Eglise catholique dans son ensemble. JB/JCG
Encadré
2 millions de personnes pour honorer Notre-Dame de Nazareth à Belém
«C’est comme une mer de gens»… Chaque année, au mois d’octobre, des centaines de milliers de personnes convergent vers la ville de Belém, dans l’Etat du Pará, au nord du Brésil, pour fêter le Cirio de Nossa Senhora de Nazaré, le Cierge de Notre-Dame de Nazareth. Point culminant de ces festivités qui durent plus de deux semaines ? Le deuxième dimanche du mois, avec la procession du Cirio, au cours de laquelle près de 2 millions de personnes expriment leur foi chrétienne avec une ferveur et une dévotion poignantes.
Dès 5 heures du matin, les rues de la ville grouillent de monde. La foule se dirige vers le quartier le plus ancien de Belém, un ensemble restauré et auquel on a redonné l’ancien nom de la ville: Feliz Lusitania («Heureuse Lusitanie»). Dans la région, les traces de l’héritage portugais sont présentes non seulement dans les traditions religieuses, mais aussi dans le riche patrimoine architectural. Devant la cathédrale de la Sé, les fidèles venus de tous les coins d’Amazonie, souvent dans de petites barques amarrées dans la baie de Guajara, essaient alors de se faire une petite place pour écouter la messe célébrée avant le départ de la procession, lancée par les cloches et un feu d’artifice.
L’immense marée humaine parcourt lentement les rues. Des prières, des larmes et des gestes de dévotion saluent le passage du cortège. C’est au moment où la procession entre dans l’une des artères principales de la ville qu’éclatent les feux d’artifice que lancent entreprises, syndicats et institutions diverses en hommage à la Vierge. Les fidèles sont envahis par l’émotion. Ils lèvent leurs visages et leurs bras au ciel en signe de pénitence, dans une atmosphère de ferveur et de contrition.
Le Cirio, un véritable «carnaval dévot»
Plus grande manifestation catholique de la planète, véritable «carnaval dévot», le Círio de Nossa Senhora de Nazaré est d’abord une (grosse) entreprise dont le budget évolue chaque année. Il s’élevait ainsi à près de 2 millions de réais (environ 890’000 euros) en 2009. Soit plus du triple que lors de la première édition en 1994. Un budget (difficilement) bouclé, malgré les subventions publiques (Etat du Para, ville de Belém, Ministère de la Culture) et le sponsoring d’entreprises privées.
«Au-delà de sa fonction évangélisatrice, le Cirio de Nazaré est un grand catalyseur de l’économie de l’Etat du Para, assure Regina Ventura, du Comité d’organisation de l’évènement. Il emploie chaque année près de 400 personnes, sans compter les bénévoles et l’économie informelle». Quant aux touristes, ils sont chaque fois plus nombreux. «En 2009, plus de 66’000 touristes, en majorité des Brésiliens, ont séjourné en moyenne 6 jours durant le Cirio, se réjouit Regina Ventura. Soit 10 % de plus en cinq ans».
De quoi légitimement espérer cette année le titre de «patrimoine immatériel de l’humanité» auquel le Cirio de Nazaré postule. (apic/jcg/be)