Mgr Malcolm Ranjith dénonce l’intolérable «prolongation de la présence militaire»

Sri Lanka: Les évêques défendent les droits des Tamouls

Colombo, 7 novembre 2010 (Apic) Devant la Commission d’Etat pour la réconciliation, les responsables chrétiens du Sri Lanka ont exprimé leurs attentes et leurs craintes concernant la situation des populations tamoules vivant dans les parties Nord et Est du pays.

D’après l’agence d’information des missions étrangères de Paris, Eglises d’Asie, les évêques catholiques du Sri Lanka, ainsi que l’Eglise anglicane et d’autres institutions ont présenté leur rapport à la Commission nommée par le gouvernement pour oeuvrer à la réunification du pays et enquêter sur les violations des droits de l’homme pendant la guerre civile. La réunion a eu lieu le 4 novembre, au centre des Etudes internationales de Kadirgamar.

La Lessons Learnt and Reconciliation Commission (LLRC), mise en place par le président sri-lankais Mahinda Rajapaksa, a officiellement commencé son investigation, malgré le fait que sa neutralité est déjà contestée par de nombreuses ONG qui ont refusé d’y participer tels The International Crisis Group (ICG), Human Rights Watch (HRW), ou encore Amnesty International. Les Nations Unies qui viennent d’envoyer une délégation sur place, n’ont pour le moment qu’un rôle consultatif, Mahinda Rajapaksa ayant dénoncé une «immixtion de puissances étrangères dans les affaires intérieures du Sri Lanka» et à ce titre, exigé de diligenter et de contrôler l’enquête sur les crimes de guerre.

Mgr Malcolm Ranjith, archevêque de Colombo et récemment nommé cardinal, menait la délégation représentant l’Eglise catholique. Il a soutenu fermement devant les membres du LLRC que seule une décision politique mise en application dans des délais rapides pourrait permettre un règlement de la situation. «Les chrétiens espèrent que la commission d’Etat prendra sérieusement en considération nos recommandations afin que les blessures de la guerre puissent se refermer et que les fondations pour une paix durable puissent être posées», a déclaré le président de la Conférence des évêques catholiques du Sri Lanka. Mgr Ranjith est revenu sur les origines historiques du conflit entre les Cinghalais et les Tamouls, comme le Sinhala Only Act (1) ou encore la constitution de 1972 (2), et a engagé le gouvernement à prendre désormais les mesures «qui pourraient restaurer la confiance des minorités et prévenir de nouvelles effusions de sang».

Dans leur rapport, les évêques ont souligné la perte d’identité culturelle dont souffrent, dans les territoires du Nord, les minorités tamoules, qui sont victimes d’un «Etat policier» ; une situation qui «ne peut ni aider à la reconstruction ni permettre de ramener la confiance entre les communautés». Afin de préserver la culture tamoule, les prélats ont préconisé la création d’un système éducatif trilingue (cinghalais, tamoul, anglais) ainsi que l’obligation de maîtriser les trois langues pour accéder à l’université. Mgr Ranjith a rappelé en outre que le principal défaut des administrations locales était de ne pas être capables de communiquer en tamoul.

Après avoir fait état de l’intolérable «prolongation de la présence militaire» dans les anciennes zones de combat et dénoncé la confiscation des terres et leur occupation par l’armée – particulièrement dans la région de Tricomalee – les responsables de l’Eglise catholique ont demandé au gouvernement d’appliquer dans son intégralité le 13e amendement à la constitution (3), faisant valoir que les mesures prises en temps de guerre comme le Prevention of Terrorism Act (PTA) ou la loi martiale dans les zones dites de Haute Sécurité, n’étaient plus légitimes depuis la défaite du LTTE.

Mgr Kingsley Swampillai, évêque de Tricomalee-Batticaloa, a quant à lui rappelé les nombreux cas de disparitions non résolues, dont celles de nombreux prêtres. Il a également reproché au gouvernement de continuer à violer régulièrement les droits de l’homme dans les régions majoritairement tamoules et l’a mis en garde contre le risque d’une nouvelle insurrection si cette situation perdurait.

Chitta Ranjan de Silva, qui dirige la LLRC, a répondu aux évêques que le Sri Lanka n’était pas le seul pays à avoir mis en place des lois spéciales pour combattre le terrorisme et que ces mesures étaient nécessaires pour combattre les derniers Tigres tamouls ainsi que d’autres groupes armés.

Au Sri Lanka, les Tamouls représentent environ 18 % d’une population à 73 % cinghalaise. L’Eglise catholique demeure l’une des rares institutions qui s’oppose à une vision essentiellement cinghalaise de l’Etat sri-lankais, la communauté chrétienne (7 % de la population de l’île) ayant la particularité d’être formée aussi bien de Tamouls que de Cinghalais.

(1) Le Sinhala Only Act, instituant le cinghalais comme seule langue officielle, a été adopté en 1956 par Ceylan, indépendante depuis 1948. Devant la résistance des Tamouls, la loi a été ensuite modifiée par le Tamil Language Act en 1958, avant d’être abrogée en 1977, trop tardivement pour empêcher la rupture profonde entre les communautés tamoule et cinghalaise.

(2) Le 22 mai 1972, Ceylan adoptait une nouvelle constitution créant la république du Sri Lanka et instituant le cinghalais comme unique langue officielle du pays, le tamoul restant cependant autorisé dans la législation et au sein des tribunaux des provinces du Nord et de l’Est. Cette discrimination à l’égard de la minorité tamoule a été l’élément déclencheur du mouvement séparatiste et de la guerre civile.

(3) Le 13e amendement à la Constitution, négocié avec l’aide de l’Inde en 1987, a accordé un statut officiel à la langue tamoule et institué le partage des pouvoirs entre l’administration centrale et des conseils provinciaux créés en vertu dudit amendement. (apic/eda/amc)

7 novembre 2010 | 11:16
par webmaster@kath.ch
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