Présentation de l’ouvrage: «Bernardine tu seras!»
Valais: Le monastère des Bernardines de Collombey, un patrimoine de 4 siècles
Collombey/VS, 30 novembre 2010 (Apic) «Pour nous, ce n’était pas évident d’entrer dans un monastère de religieuses cloîtrées… mais nous avons été reçus à bras ouverts», lance l’historien des monuments Patrick Elsig, directeur du Musée d’histoire du Valais. Il présentait mardi 30 novembre au monastère Notre-Dame de St-Joseph, à Collombey, dans le Chablais valaisan, le résultat d’un travail pluridisciplinaire mené par une équipe de quatre chercheurs durant quatre ans. Ne voulant pas s’en tenir à un simple inventaire du mobilier répertorié, ils ont décidé d’en faire un ouvrage complet, accessible dans une large mesure au grand public (*), intitulé «Bernardine tu seras! – Le monastère de Collombey: un patrimoine de 4 siècles».
Depuis quatre siècles, le Valais connaît les «Bernardines» – nom populaire donné depuis longtemps aux moniales cisterciennes réformées de la «Congrégation de Saint-Bernard»- venues de la Savoie où elles ont été fondées en 1622. Sous la direction de la savoyarde Anne-Gasparde de Ballon, elles s’établissent en Bas-Valais dès 1629 pour s’installer définitivement à Collombey en 1647.
Méfiance des patriotes valaisans
Mais cela ne va pas de soi: les patriotes valaisans (opposés au prince-évêque) voient d’un mauvais œil cette maison «importée et gouvernée par des Savoyardes!», note l’archiviste Alain Guerrier dans l’ouvrage. La diète de mai 1636 ordonne même leur expulsion et les Savoyardes doivent alors s’en aller! Une sœur bernardine confie à l’Apic: «la diète était suspicieuse à l’égard de ces femmes, elle ne savait pas où les situer…»
Patrick Elsig, s’il ne parle pas de xénophobie, reconnaît que l’arrivée de sœurs extérieures au canton posait problème. Le pays vivait un moment charnière: on était dans le contexte politique de la Contre-Réforme, et il ne faut pas oublier qu’au XVIe siècle, les élites valaisannes étaient majoritairement en faveur de la nouvelle foi réformée. On avait donc tendance à se méfier des étrangers, à leur limiter l’accès au territoire…
Très rapidement, à leur retour, les religieuses qui s’installent dans l’ancien château d’Arbignon en 1647 (dont elles avaient fait restaurer les ruines) font du monastère un foyer de dévotion bien intégré dans la société valaisanne. Au début, admet Mère Gilberte Coutaz, la prieure actuelle du monastère, on leur a demandé comme «tribut» d’apprendre à lire aux filles… Du XVIIe siècle à aujourd’hui, près de 300 moniales y ont fait profession et y sont mortes. Ce sont majoritairement des filles du Bas-Valais et du Centre (82%), du Haut-Valais (7%), des autres cantons suisses (7%), le reste venant d’autres pays.
Dans l’histoire, les Bernardines connurent des moments difficiles. Ainsi, à deux reprises au XIXe siècle, le monastère fut fermé: lorsque le Valais fut réuni en 1798 à la République Helvétique, la diète d’Aarau décida de nationaliser les biens des corporations religieuses et interdit de recevoir des novices et des professes. En 1810, le Valais est annexé à la France et le couvent supprimé le 17 janvier 1812. La maison est réoccupée le 11 avril 1814 et le recrutement peut alors reprendre. Mais les troubles du Sonderbund (1847-1857) entraînent une nouvelle nationalisation du couvent. La vie religieuse peut cependant reprendre à partir de 1859.
Le manque de vocations se fait sentir
La communauté vit de son travail: hosties, vêtements liturgiques, petit artisanat, gestion de l»Etoile Sonore», la Bibliothèque sonore pour aveugles et malvoyants de Suisse romande. Aujourd’hui, les sœurs n’ont plus à craindre les persécutions passées, mais elles doivent faire face au vieillissement. Selon Mère Gilberte Coutaz, outre une sœur âgée et malade hébergée en EMS et deux autres installées à Genève, il ne reste plus dans le couvent que 11 Bernardines, avec une moyenne d’âge approchant les 74 ans. Le monastère n’a plus de vocations depuis belle lurette.
Malgré tout, à l’heure d’internet, la communauté de contemplatives n’est pas isolée pour autant: elle a tissé des réseaux vivants. Les sœurs partagent la vie du diocèse de Sion, ont des échanges avec les autres communautés religieuses et entretiennent un dialogue avec les réformées depuis plusieurs décennies. Elles accueillent dans leur église un temps de prière du Groupe de l’Unité. Une religieuse bernardine est déléguée auprès du DIM (Dialogue Interreligieux Monastique) et fait ainsi partager à la communauté ce que vit ce groupe, qui rassemble notamment des bouddhistes et des soufis.
Un patrimoine exceptionnel et unique
Après avoir travaillé sur un nombre considérable d’objets, contenus notamment dans 16 grands bahuts de bois (Merci à la Protection civile de Collombey qui a prêté main-forte aux historiens!), ces derniers ont décidé d’en faire profiter un large public en réalisant le présent ouvrage de teneur scientifique, qui contient une abondante documentation photographique. Les quatre auteurs y présentent pour la première fois le patrimoine exceptionnel et unique du monastère des Bernardines de Collombey.
Tout d’abord, l’archiviste Alain Guerrier expose ce que signifie être Bernardine à travers l’histoire et plus particulièrement l’histoire valaisanne. Cette qualité de moniale nécessite un lieu adapté dont le développement est présenté par l’historien de monuments Patrick Elsig. Qui dit lieu particulier, dit objets particuliers. Romaine Syburra-Bertelletto, historienne de l’art, envisage tous ces objets sous l’angle de leur utilisation dans ce contexte conventuel. La lecture, comme moment essentiel dans la vie d’une Bernardine, est approché par Alain Guerrier qui examine le contenu et la constitution de la bibliothèque du monastère. Enfin, Thomas Antonietti, ethnologue, aborde, par des exemples choisis, les travaux de couvent comme activité manuelle au service de l’élévation spirituelle des moniales.
Au cours de la conférence de presse, Mère Gilberte admet qu’il n’était pas facile de frapper à la porte des Bernardines, «mais on s’est tout de suite senties en confiance, on a alors fait le maximum pour leur faciliter le travail. Les chercheurs ont fini par faire partie des coffres et des meubles. Il en est né des liens d’amitié et de confiance réciproque. Sans oublier qu’ils nous ont permis de redécouvrir notre riche patrimoine!»
(*) Les Musées cantonaux du Valais et les éditions «hier + jetzt» sortent de presse le 11e volume de la collection des Cahiers du Musée d’histoire du Valais, «Bernardine tu seras! – Le monastère de Collombey: un patrimoine de quatre siècles». Fruit de quatre ans de recherches pluridisciplinaires, cet ouvrage est co-signé par l’historienne de l’art Romaine Syburra-Bertelletto, l’historien des monuments Patrick Elsig, l’ethnologue Thomas Antonietti et l’archiviste Alain Guerrier. (apic/be)