Irak: Les chrétiens assyriens veulent fonder une province autonome
Une zone protégée pour échapper à la violence des extrémistes en Irak
Bagdad, 31 décembre 2010 (Apic) Des dizaines de milliers de chrétiens ont quitté leur patrie, l’Irak, depuis 2003, par peur des attentats ou par manque de perspectives. L’insécurité générale touche également certains groupes à dimension politique. Parmi eux figurent les chrétiens assyriens, qui consacrent beaucoup d’énergie depuis des années en vue de fonder une province chrétienne autonome. Cette idée de zone de sécurité sous forme de ghetto n’enchante pas les autres communautés chrétiennes.
Le lien étroit des chrétiens assyriens avec les organisations kurdes se manifeste entre autres par leur propre branche à l’intérieur du Parti communiste du Kurdistan, tout comme leurs excellents contacts avec le gouvernement régional kurde. Sous l’appellation de «Alliance assyrienne universelle» (AUA), ils prônent «un nom, une langue, des dirigeants et une patrie pour notre nation». Les nationalistes assyriens considèrent la Province de Ninive comme leur patrie historique d’origine. Ils se réfèrent pour cela au Royaume d’Assour, ville-Etat qui fut bien avant Jésus Christ la première capitale de l’Empire assyrien, associée au dieu Assour.
Personne ne conteste la présence historique des Assyriens en Irak. Mais leur lutte de longue haleine juste après le drame de la prise d’otages, le 31 octobre dans la cathédrale catholique syriaque de Bagdad, qui avait fait 58 morts, laisse chez beaucoup d’Irakiens un arrière-goût amer. Seule l’érection d’une province chrétienne assyrienne peut arrêter l’exode des chrétiens d’Irak, ont-ils affirmé dans une prise de position.
Protéger les petits groupes ethniques et religieux de la région
Ce point de vue a été approuvé par les communautés chrétiennes assyriennes en exil aux Etats-Unis et en Allemagne. Le président de la Société pour les peuples menacés basée à Göttingen (Allemagne), Tilman Zülch, a qualifié cette idée de «totalement justifiée». Il a même proposé de rattacher une province chrétienne autonome aux territoires autonomes kurdes, afin de «protéger les petits groupes ethniques et religieux dans ce territoire». Maintenant, un référendum doit être lancé le plus rapidement possible, estime Tilman Zülch. Une telle étape est prescrite dans la Constitution irakienne.
Du 2 au 5 décembre, les communautés chrétiennes assyriennes étaient invitées pour le congrès de l’AUA à Erbil, la capitale de la région autonome du Kurdistan irakien. Des messages de salutations leur ont été adressés par le président irakien Jalal Talabani et par le président kurde Massoud Barzani. Le premier ministre irakien Nuri al-Maliki a envoyé un représentant.
Les 16 principaux groupes chrétiens assyriens sont tombés d’accord sur la «fondation d’une province pour les chrétiens dans les territoires de la colonie assyrienne d’origine, dans la plaine de Ninive», ainsi que la formation «d’un parlement local et de leurs propres forces de sécurité». Les chrétiens qui ont fui devraient pouvoir être accueillis dans cette province et «la protection des sites archéologiques, saints et historiques assyriens» sera ainsi assurée. Un recensement doit encore être effectué en vue de fixer le nombre exact des chrétiens assyriens, «autant en Irak que dans la diaspora».
Un «cadeau de Noël pour les chrétiens en Irak»
Les résolutions prises début décembre à Erbil ont été qualifiées par le site internet des «Nouvelles chrétiennes assyriennes» de «cadeau de Noël pour les chrétiens en Irak». Les frontières de la future province sont actuellement définies. Le territoire est délimité au nord par la province autonome kurde de Dohuk, à l’ouest par la Syrie, au sud par la province de An Anbar et à l’est par les provinces d’Erbil et de Ta’min avec sa capitale contestée de Kirkouk, ainsi que la province de Salah ad-Din. Depuis plusieurs années, cette région est considérée comme une des moins sûres d’Irak. De très nombreuses attaques ont causé la mort de Yézides et de membres d’autres communautés religieuses minoritaires. Le gouvernement régional kurde a également des vues sur les régions qui entourent Mossoul et Kirkouk. Il est souvent arrivé, par ailleurs, que les troupes d’occupation américaines ont rendu les milices kurdes responsables des pressions qui s’exercent sur les minorités vivant dans la région. Le soutien de politiciens kurdes de haut rang à la formation d’une province chrétienne assyrienne à Ninive n’éveille pas seulement la méfiance des tribus sunnites locales. Des oppositions proviennent également d’autres communautés chrétiennes d’Irak.
Ce projet de province chrétienne ou de zone de protection accentue la scission interne de la société en Irak, estime le Père Saad Sirop Hanna, de l’église St-Joseph à Bagdad. L’Irak a besoin d’un «gouvernement fort, qui se soucie de faire respecter à nouveau les droits de toutes les personnes, qu’elles soient chrétiennes, juives ou musulmanes». L’archevêque chaldéen de Kirkouk, Mgr Louis Sako, affirme pour sa part qu’il est préférable pour les chrétiens de «développer une vision d’avenir claire» plutôt que de mettre en place une zone de protection». «Cette idée est dangereuse, estime-t-il. Nous serions casés entre des Arabes et des Kurdes, comme dans un sandwich. Il vaut mieux rester ici et agir sur place. C’est cela notre vocation de chrétiens, et non de vivre dans un ghetto».
Dans son message de Noël, Mgr Sako a lancé: «Le chemin vers la résurrection, la vie et le renouveau» est le rapprochement et non l’éloignement les uns des autres. Arabes, Kurdes et Turkmènes, musulmans et chrétiens doivent résister ensemble à la violence et demeurer ensemble. (apic/kna/am/bb)