Chili: Manifestation massive pour une éducation publique, gratuite et de qualité
L’Eglise appelle les autorités à entendre les étudiants
Santiago du Chili, 1er juillet 2011 (Apic) Au Chili, entre 100’000 et 400’000 (selon les sources) étudiants, lycéens, professeurs et autres citoyens ont manifesté le 30 juin, à Santiago et dans plusieurs villes du pays, pour exiger une éducation publique, gratuite et de qualité. L’Eglise a appelé les autorités à écouter les manifestants.
«Une mobilisation historique», estiment les porte-parole des étudiants. «Une journée grandiose et monumentale qui montre qu’il s’agit bien d’un mouvement citoyen pour l’éducation publique», commente Jaime Gajardo, président du Collège des Professeurs. Cela fait plus de 20 ans en effet, qu’une cause n’avait pas réuni autant de manifestants dans les rues.
Dans les cortèges ce jeudi, se trouvaient des étudiants et des lycéens – à l’origine du mouvement -, mais aussi des professeurs, des parents d’élèves, des syndicalistes et plusieurs organisations culturelles et écologistes. «Stop au profit dans l’éducation!», «Mes études coûtent 300 euros par mois et mon père en gagne 250. Comment dois-je faire?!» Sur les pancartes brandies par les étudiants, les messages disent la révolte de nombreux Chiliens face à un système éducatif parmi les plus chers et les plus inégalitaires du monde.
Au Chili, c’est le dictateur Augusto Pinochet qui, dans les années 80, ouvre les portes de l’école et de l’université au privé. Il réduit aussi drastiquement le budget public destiné à l’éducation. «En quelques années, les dépenses pour l’éducation ont été réduites sauvagement», explique Gonzalo Zapata, sociologue de l’Université Catholique du Chili et spécialisé en politiques d’éducation supérieure. «De 7% à 3% du PIB», précise l’économiste Marcel Claude, sur son blog.
Résultat: depuis lors, dans le primaire comme dans le secondaire, seuls les plus riches élèves peuvent se payer un enseignement de qualité dans les institutions privées. Les autres, et surtout les plus pauvres, doivent se contenter d’établissements semi-publics (qui restent chers) ou publics (aux mains des municipalités), connus pour leur manque de moyens et leur mauvais niveau.
«Toutes les études internationales placent le Chili au bas de la liste des pays de l’OCDE, en matière d’éducation, indique Gonzalo Zapata. Surtout, le Chili est désigné comme le pays où la différence est la plus grande, en terme de réussite scolaire, entre les enfants les plus riches et les enfants les plus pauvres.»
A l’Université, même chose: les droits d’inscription sont exorbitants et les enseignements des universités privées pas toujours de bonne qualité. «Les universités privées sont tellement peu régulées que certaines d’entre elles font véritablement de la publicité mensongère: elles offrent des diplômes sans avoir les moyens de former les jeunes de manière adéquate», affirme Gonzalo Zapata. Autre abus fréquent: certaines universités échappent à leur obligation légale de réinvestir leurs excédents en publiant des loyers immobiliers sur-gonflés. «Des loyers qui vont directement dans les poches de propriétaires immobiliers qui, au passage, possèdent aussi les universités en question.»
Au Chili, si un peu plus de 40% des bacheliers poursuivent des études supérieures, la moitié d’entre eux ne les terminent pas, faute de moyens. Et tous ou presque doivent s’endetter pour financer leurs études, auprès de banques qui prêtent à des taux très élevés. «En arrivant sur le marché du travail, un étudiant chilien doit en moyenne 30’000 euros. C’est-à-dire le prix d’une maison», souligne Marcel Claude.
«Le système éducatif chilien est très cher, peu efficace, sous-financé et très inégalitaire», résume Gonzalo Zapata. D’où, les revendications des étudiants et lycéens qui ont commencé à protester il y a plus d’un mois déjà. «L’éducation doit être un droit, pas une marchandise», répète Camila Vallejo, porte-parole des étudiants.
«Pour nous, la solution de fond est d’augmenter le budget national de l’éducation publique, dit-elle. Nous n’avons pas besoin des universités privées: elles font des bénéfices sur notre dos, elles ne font pas de recherche, elles ne contribuent pas au pays. L’éducation publique est ici la seule qui garantisse un enseignement de qualité.»
Tous les rapports internationaux vont dans ce sens: le Chili connaît une croissance économique admirable mais il doit investir davantage en éducation et réguler son système éducatif pour atteindre un développement intégral.
Les évêques s’expriment.
C’est d’ailleurs le message qu’a envoyé l’Eglise chilienne au gouvernement de Sebastian Pinera (coalition de droite conservatrice et ultraconservatrice). D’abord sollicité pour jouer le rôle de médiateur entre les étudiants et le ministre de l’Education, Mgr Ezzati, président de la Conférence épiscopale chilienne, a écarté cette possibilité. Les évêques chiliens se sont toutefois exprimés, appelant les autorités à «entendre les étudiants».
Dans un communiqué publié le 23 juin, la Conférence épiscopale a appelé au dialogue, reconnaissant que le pays a «une grave dette à solder» en matière d’éducation et qualifiant les revendications des manifestants de «justes demandes». «Il reste encore un long chemin à parcourir pour consolider un modèle éducatif avec des apprentissages de qualité, juste et égalitaire, dans lequel chaque élève, quelle que soit sa condition personnelle et sociale, se voit assurer la formation nécessaire pour se développer intégralement, construire un projet de vie complet et apporter généreusement toute sa richesse à la société de son temps.»
Elle a aussi rappelé que «l’éducation est un bien public» et que «de l’éducation, dépendent la qualité de vie, la sortie de la pauvreté, le niveau culturel et la noblesse des relations humaines d’un peuple».
Le 22 juin, le ministre de l’Education (ultraconservateur et Opus Dei), Joaquín Lavín, a présenté ses réponses aux jeunes manifestants, mais sans s’engager, selon eux, sur «les changements profonds» qu’ils réclament. Devant leur refus de reprendre les cours – plusieurs dizaines d’universités sont en grève et 200 collèges occupés -, le ministre a décidé d’avancer la date des vacances d’hiver. Officiellement, pour stopper la perte des heures de cours. Selon les étudiants, pour tenter d’affaiblir le mouvement.
L’Eglise, quant à elle, a averti: «Normaliser l’activité scolaire, ce n’est pas juste mettre fin à une mobilisation, cela requiert la volonté de discerner les nécessaires réformes attendues par le pays». (apic/lg/bb)