Bosnie-Herzégovine: Les catholiques de la Republika Srpska luttent pour leur existence

La purification ethnique a été consacrée par les Accords de Dayton

Banja Luka, 6 juillet 2011 (Apic) Les catholiques expulsés de leurs terres par les forces serbes durant la guerre qui a ensanglanté la Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995 (*), ne peuvent toujours pas rentrer chez eux dans ce qui est devenu la Republika Srpska. «Les catholiques ne sont plus que 7’000, soit moins du dixième de la population catholique présente dans la région de Banja Luka avant ’l’épuration ethnique’… Il n’y a aucune volonté politique de laisser revenir les Croates», déplore Mgr Franjo Komarica, évêque de Banja Luka, la capitale des Serbes de Bosnie.

«Il s’agit pour nous d’une lutte pour l’existence des catholiques dans notre pays… Le gouvernement de la Republika Srpska (RS) propose d’étatiser les biens de ceux qui ont été chassés, pour passer d’un état de fait à un état de droit», dénonce l’évêque de Banja Luka. «Il s’agit d’effacer toute présence et toute mémoire de la présence catholique dans ces lieux. C’est pour cela que l’on a détruit ici systématiquement, et en dehors de tout combat, églises et monastères, dynamités, rasés au sol. Cela faisait partie d’un programme bien élaboré; les forces serbes ont fait de même avec les mosquées…»

Deux de ses prêtres ont été assassinés. Le Père Tomislav Matanovic, âgé de 33 ans, curé de Prijedor, a été arrêté par la police locale serbe le 24 août 1995 avec ses deux parents. En septembre 2001, les restes de trois corps menottés ont été retrouvés au fond d’un puits dans le village de Biscani. Ce fut aussi le sort du curé de Nova Topola, Ratko Grgic, âgé de 48 ans. Emmené par des soldats de la RS le 16 juin 1992, il est toujours porté disparu. Les fidèles de sa paroisse n’ont pas pu l’enterrer au cimetière, en l’absence du corps. Malgré les interventions de l’évêque auprès des autorités, rien n’a été entrepris pour le retrouver. Durant la guerre, plus de 400 catholiques ont été tués dans la région.

«Les Croates, que cherchent-ils encore en Republika Srpska ?»

«On l’entend dans le public, à la télévision: les catholiques (**), qu’ont-ils à chercher dans la RS ? Ils ont déjà la Croatie! Les politiciens locaux ne font rien pour le retour de nos fidèles, bien au contraire… Et Sarajevo n’entreprend rien non plus pour les Croates de la RS, le gouvernement de la Fédération croato-musulmane ne travaille que pour la majorité ethnique, c’est-à-dire pour les musulmans».

Alors que Mgr Komarica reçoit l’Apic dans sa résidence épiscopale, située sur l’avenue Kralja Petra I, des manifestants défilent dans la rue en soutien au général Mladic, le «bourreau de Srebrenica», qui vient d’être transféré à La Haye pour y être jugé par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Nous sommes en effet ici au coeur de la République serbe de Bosnie, qui, avec la Fédération croato-musulmane, compose la Bosnie-Herzégovine.

Tendant dans ses mains le rapport sur les droits humains 2010 de la Commission «Justice et Paix» de la Conférence épiscopale de Bosnie-Herzégovine, Mgr Komarica fustige les Accords de Dayton (***) qui ont mis fin à la guerre. «Ces accords imposés par la communauté internationale ont légalisé l’épuration ethnique, et la majorité des quelque 2,68 millions de réfugiés et de déplacés internes n’ont pu retrouver leur foyer, malgré l’énorme investissement de la communauté internationale.

Des politiciens «racistes et fascistoïdes»

«Si nous réclamons le retour des Croates de Bosnie – qui sont avec les Bosniaques musulmans et les Serbes de Bosnie, l’un des trois ’peuples constituants’ de la Bosnie-Herzégovine, le Haut représentant de la communauté internationale (OHR) à Sarajevo nous qualifie de ’fauteurs de troubles’. On nous nie le droit au retour, à notre patrie, à notre lieu d’origine! La communauté internationale, suite aux Accords de Dayton, estime normal que les catholiques soient évincés de la RS. Ainsi, l’épuration ethnique en vient à être considérée comme légitime. A mes yeux, c’est le fait de politiciens racistes et fascistoïdes!»

Mgr Komarica, qui défend sans relâche depuis deux décennies la communauté catholique de Bosnie, affirme que les responsables de l’Eglise catholique seraient des «menteurs» et des «traîtres» s’ils n’élevaient pas la voix contre cette injustice.

L’évêque croate, lui-même originaire de Novakovici, dans le diocèse de Banja Luka, regrette que personne ne s’engage pour les catholiques de Bosnie-Herzégovine, si ce n’est le Vatican.

Si un bon nombre de réfugiés bosniaques et serbes ont pu retourner sur leurs terres – seulement dans leurs entités respectives, pas là où ils sont minoritaires, affirme-t-il, les Croates, minoritaires tant en RS que dans le Fédération croato-musulmane, sont laissés de côté: «Rien n’est fait pour que les catholiques puissent se réinstaller dans leur maison. La région de la Posavina, au nord, a été vidée de ses catholiques, et ils n’ont pas pu revenir. Par chance, quelques journalistes serbes et bosniaques soutiennent nos revendications, mais les évêques croates nous ont laissé tomber, ils ont d’autres priorités… La Croatie ne fait pas assez pour le retour des réfugiés et des déplacés, elle a l’air d’avoir peur d’intervenir dans les affaires intérieures d’un autre pays, malgré son obligation constitutionnelle d’aider les Croates en dehors de la Croatie…»

Les catholiques se sentent abandonnés par l’Europe et les Etats-Unis

L’évêque de Banja Luka déplore également qu’il n’y a pas de la part de la Croatie de stratégie réelle pour l’aide au retour des catholiques en Bosnie: «Seulement 8% de l’aide de la Croatie va aux Croates qui veulent rentrer en RS. Ici, les catholiques se sentent abandonnés également par les Etats-Unis et l’Union européenne. Notre communauté manque totalement de moyens et d’infrastructures et nous ne sommes pas traités sur un pied d’égalité».

Certes, la Bosnie-Herzégovine est composée «sur le papier» de trois peuples constituants, mais dans les faits, affirme-t-il, «il manque un peuple dans ce modèle, ce sont les Croates» (Depuis la guerre et l’exode de masse, ils sont moins de 10% de la population de la Bosnie-Herzégovine, alors qu’ils étaient 17% lors du dernier recensement de la population, en 1991). «Serbes et musulmans veulent se partager le pays alors que les Croates pourraient jouer un rôle de médiation, un rôle clef entre les deux principales composantes du pays».

«Le temps est notre premier ennemi»

Pour cela, admet l’évêque de Banja Luka, les Croates devraient d’abord rester dans le pays, «mais le temps est notre premier ennemi». En effet, les réfugiés installés à l’étranger, en Croatie, ailleurs en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord, en Australie, y refont leur vie et ne sont plus disposés à rentrer après plus de 15 ans d’exil. «En 1996, nous avions fourni une liste portant les noms de 12’500 familles qui s’étaient annoncées à la Caritas diocésaine pour revenir, mais les responsables internationaux à Sarajevo nous ont demandé ce que l’on cherchait en Bosnie-Herzégovine, disant que l’on était un facteur de dérangement…»

Des représentants internationaux lui ont dit, non sans cynisme, que «les Croates attendaient avec nostalgie d’être chassés de chez eux!» Mgr Komarica qualifie cette attitude d’»ignorance» et d’»arrogance». Mais, reconnaît la Commission «Justice et Paix» dans son rapport 2010, si les Croates, par le système de majorité ethnique, ont perdu leur statut d’élément constituant et leurs droits tant dans la RS que dans la Fédération croato-musulmane, les droits des minorités qui n’appartiennent pas aux trois «ethnies constituantes» du pays sont encore plus restreints.

Déplorant la «rhétorique haineuse» qui se développe entre les communautés, le diplomate autrichien Valentin Inzko, Haut représentant de la communauté internationale à Sarajevo (OHR), a déclaré à l’Apic que huit mois après les élections générales, la situation politique restait tendue. «La formation d’un gouvernement est virtuellement impossible, le processus législatif au niveau de l’Etat est dans l’impasse depuis des mois…». De plus, a-t-il regretté, la Bosnie-Herzégovine n’a pas appliqué les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme pour le cas «Sejdic et Finci», (****) et la Bosnie-Herzégovine sera l’un des rares pays du monde où il n’y aura pas de recensement de la population en 2011. «Aucun progrès n’a été effectué sur la voie de l’intégration à l’Union européenne (UE) ni à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN)».

La Cour européenne des droits de l’homme rappelle également que la révision de la loi électorale fait partie des engagements souscrits par la Bosnie-Herzégovine lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, en 2002, et lors de la signature d’un accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne en 2008, premier pas vers son adhésion.

La Commission «Justice et Paix», dans son rapport, note que les élections de 2010 ont montré que les partis politiques «exclusivement ethniques» ont une nouvelle fois dominé la scène en Bosnie-Herzégovine, au détriment de partis privilégiant la citoyenneté de tous. Elle conclut que la transition du pays vers un Etat de droit démocratique ne peut être atteinte en modifiant simplement le cadre juridique imposé par les Accords de Dayton, «mais en adoptant une nouvelle Constitution qui garantisse l’égalité des trois peuples constituants et de tous les citoyens», car pour le moment, aucun des trois peuples constituants ne jouit sur l’ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine des garanties proclamées en 2000 par la Cour constitutionnelle, qui sont pour le moment restées «lettre morte».

Les Croates de Bosnie-Herzégovine

Installés en Bosnie depuis le Haut Moyen-Age, les Croates ne peuvent pas être considérés comme des immigrés, puisqu’ils sont une ancienne population de cette région. Ils ne sont donc pas une diaspora, mais bien une population autochtone. Ils sont l’un des trois peuples constituants de cet Etat, aux côtés des Bosniaques et des Serbes de Bosnie. Selon le recensement de 1991, 761’000 Croates (essentiellement des catholiques) vivaient en Bosnie-Herzégovine et représentaient 17,3 % de la population. Ils se concentraient principalement le long des vallées de la Bosna et de la Neretva, autour de trois régions: la Posavina, au nord; la Bosnie centrale, entre Travnik et Sarajevo; et l’Herzégovine occidentale, au sud, entre Livno et Mostar. Ils constituaient une forte minorité dans les deux premières régions, et représentaient plus de 80 % de la population de la troisième, laquelle abritait 40 % des Croates de Bosnie-Herzégovine. En Bosnie occidentale (aujourd’hui en République serbe de Bosnie, région de Banja Luka), sur les quelque 70’000 Croates chassés de chez eux et réfugiés en Croatie, seuls 10% d’entre eux ont pu regagner leurs foyers. Le nombre de Croates restés en Bosnie-Herzégovine a diminué de moitié par rapport à la période d’avant la guerre de 1992-1995. Ils sont principalement concentrés au sud, en Herzégovine.

(*) Depuis le commencement de la guerre en 1992 jusqu’à la cessation des hostilités suite aux Accords de Dayton de fin 1995, 2,68 millions de personnes, soit 59,6% de la population totale de la Bosnie-Herzégovine avait été ou déplacée à l’intérieur du pays (1,37 million de personnes, soit 31,2 % de la population), ou bien réfugiée hors du pays (1,25 million, soit 28,4% de la population), selon le rapport sur les droits humains de la Commission «Justice et Paix» de la Conférence des évêques de Bosnie-Herzégovine.

(**) Les catholiques de Bosnie-Herzégovine sont à plus de 90% Croates, tandis qu’une petite proportion appartient à d’autres minorités comme les Tchèques, les Italiens, les Polonais, les Ukrainiens, les Slovaques, les Ruthènes, les Allemands, les Autrichiens, etc.

(***) En novembre 1995, sur une base aérienne près de Dayton, dans l’Etat américain de l’Ohio, se sont déroulées des négociations visant à mettre fin à la guerre qui ravageait la Bosnie-Herzégovine depuis 1992. Les principaux participants étaient les présidents serbe Slobodan Milosevic, croate Franjo Tudjman et bosniaque Alija Izetbegovic, ainsi que le négociateur américain Richard Holbrooke assisté de Christopher Hill. Les accords de Dayton prévoient une partition de la Bosnie-Herzégovine à peu près égale entre la Fédération de Bosnie et Herzégovine (croato-bosniaque) et la République serbe de Bosnie (Republika Srpska), ainsi que le déploiement d’une force de paix multinationale, l’IFOR.

(****) La Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg a rendu un arrêt important, estimant discriminatoires les dispositions de la Constitution de Bosnie-Herzégovine prévoyant que seules des personnes issues des «peuples constituants» (Musulmans, Serbes et Croates) peuvent être élues à la présidence de l’Etat et à la Chambre des peuples du Parlement national, excluant ainsi les représentants des minorités ethniques. Jacob Finci, juif, et Dervo Sejdic, rom, se sont plaints à Strasbourg que cet obstacle discriminatoire empêchait leur candidature à ces fonctions. (apic/be)

6 juillet 2011 | 17:40
par webmaster@kath.ch
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