Bernard Miserez

Abraham… l’humilité de la confiance

L’épreuve est de taille pour Abraham. Inhumaine à nos yeux. «Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai.» C’est le choc pour lui. Tout s’effondre. Pas moyen d’échapper à la confusion. Dieu insiste, persiste même: il s’agit de ton fils, celui que tu aimes, Isaac. Tout est si clair.

L’enjeu de ce vertige inexorable est sans appel. Il nous provoque encore. Abraham serait-il fanatisé, radicalisé ou pire encore, serait-il tombé dans un tel marasme, favorable à une aveugle servitude?  Est-il seulement possible de demander pareil sacrifice à un père? Comment entendre une parole aussi extrême de la part de Dieu?

A vrai dire, cet appel va tester Abraham de manière radicale. Lui qui a pris la route sans savoir où il devait se rendre au début de son histoire avec Dieu, il apprendra au long de son chemin de croyant à s’abandonner jusqu’au bout dans l’épreuve de la confiance. L’amour vrai se révèle toujours dans la totalité du don. Ce n’est pas tant une exigence qu’un éblouissement sans fin devant l’amour dont nous sommes aimés. Abraham le sait. Il a mûri en s’appuyant patiemment sur la promesse que Dieu lui a faite. Cette promesse l’a mis en route. Jamais, elle ne lui a fait défaut malgré les aléas de son périple singulier.

Abraham ne doute pas de son Dieu. Il ne peut refuser son propre fils à Dieu puisqu’Il le lui demande. D’ailleurs, il sait que son Dieu n’est pas un Dieu pervers et sadique. Sa confiance lui donnera d’accomplir le geste irrémédiable jusqu’au coup d’arrêt qui libérera Isaac de la mort. C’est vrai, l’épreuve de la foi passe par la mort, même si, ici, la mort n’est pas franchie.

«La foi, en fait, c’est croire en Dieu qui croit en nous.»

Ce temps de Carême nous propose un chemin de conversion. La rencontre d’Abraham sur notre route peut éclairer, de manière saisissante, notre vie de croyant. L’événement vécu par Abraham et Isaac va changer leur existence fondamentalement. Abraham, en allant jusqu’au bout de la confiance, découvrira sa vie comme un don. Ce jour-là, Isaac lui sera remis une deuxième fois comme signe de la promesse tenue par la fidélité du Seigneur.

Vivre sa foi en Dieu comme le Christ l’a vécue, c’est reconnaître que tout est donné. Bien plus, il nous est donné de nous donner dans la démesure même de Dieu. Un peu à sa manière Lui qui nous donnera son propre Fils pour qu’aucun ne soit perdu. Cette vie-là apparaît dans l’épisode de la Transfiguration. Dans sa montée vers Jérusalem, Jésus laisse percevoir à ses disciples désemparés la lumière intérieure qui lui permettra d’aller, à son tour, jusqu’au bout du don de lui-même.

La foi, en fait, c’est croire en Dieu qui croit en nous. Ainsi, l’aventure d’Abraham, nous la connaissons toutes et tous. L’appel lancé dans ce Carême suggère que nous aussi nous lâchions prise sur les petits Isaac qui peuplent nos histoires sans lumière, dans l’ombre de notre suffisance. La lumière de Jésus Transfiguré est sans doute l’icône la plus bouleversante de l’Homme pleinement donné à Dieu son Père et notre Père.

Bernard Miserez | Vendredi 26 février 2021


Gn 22, 1-2.9-13.15-18

En ces jours-là,
Dieu mit Abraham à l’épreuve.
Il lui dit :
« Abraham ! »
Celui-ci
répondit :
« Me voici ! »
Dieu dit :
« Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac,
va au pays de Moriah,
et là tu l’offriras en holocauste
sur la montagne que je t’indiquerai. »
Ils arrivèrent à l’endroit que Dieu avait indiqué.
Abraham y bâtit l’autel et disposa le bois ;
puis il lia son fils Isaac
et le mit sur l’autel, par-dessus le bois.
Abraham étendit la main
et saisit le couteau pour immoler son fils.
Mais l’ange du Seigneur l’appela du haut du ciel et dit :
« Abraham ! Abraham ! »
Il répondit :
« Me voici ! »
L’ange lui dit :
« Ne porte pas la main sur le garçon !
Ne lui fais aucun mal !
Je sais maintenant que tu crains Dieu :
tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. »
Abraham leva les yeux et vit un bélier
retenu par les cornes dans un buisson.
Il alla prendre le bélier
et l’offrit en holocauste à la place de son fils.

Du ciel, l’ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham.
Il déclara :
« Je le jure par moi-même, oracle du Seigneur :
parce que tu as fait cela,
parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique,
je te comblerai de bénédictions,
je rendrai ta descendance aussi nombreuse
que les étoiles du ciel
et que le sable au bord de la mer,
et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis.
Puisque tu as écouté ma voix,
toutes les nations de la terre
s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction
par le nom de ta descendance. »

«Sacrifice d'Isaac». Le Caravage. Huile sur toile, vers 1603 | Domaine public
26 février 2021 | 17:00
par Bernard Miserez
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