Jacques Berset

Avec les musulmans, guérir une relation blessée

La semaine après Pâques, j’étais, avec mon épouse, en visite dans le cimetière-mémorial en l’honneur des tirailleurs sénégalais à Thiaroye, près de Dakar. Le 1er décembre 1944, dans ce camp militaire, l’armée française massacre des dizaines (des centaines?) de tirailleurs sénégalais qui avaient combattu pour la France lors de la Seconde Guerre mondiale.

Leur crime? Avoir réclamé le juste paiement de leurs soldes. La France a longtemps caché cette forfaiture. Le 30 novembre 2014, le président français François Hollande s’est recueilli au cimetière militaire de Thiaroye et a reconnu que ces soldats d’Afrique de l’Ouest avaient été «victimes d’une répression sanglante après avoir combattu pour la France et pour la liberté du monde». Ces soldats étaient tous musulmans, comme nombre de ceux que l’ont voit dans les cimetières de Normandie ou de Verdun!

Depuis quelques temps la France connaît une vague d’islamophobie et des attentats contre les lieux de culte musulmans (Coran brûlé devant une mosquée de Villeurbanne), voire des assassinats anti-musulmans (meurtre, fin avril, d’Aboubakar Cissé dans la mosquée de La Grand-Combe, dans le Gard, ou meurtre par un fanatique d’extrême-droite d’Hichem Miraoui le 31 mai à Puget-sur-Argens, dans le Var).

Où est la reconnaissance pour les services rendus? D’où vient ce climat raciste délétère qui parcourt notre voisin? Même si le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau affirme que «le racisme est un poison qui tue. Chaque acte raciste est un acte anti-français», qu’en est-il des discours de banalisation du racisme et de la xénophobie entretenus par la droite et l’extrême droite en France. Qu’en est-il de ces «pompiers pyromanes» qui prétendent éteindre le feu qu’ils ont eux-mêmes allumés?

«Merci à ce journaliste musulman – un ami du monastère vivant à Dakar – qui cultive son amitié avec les bénédictins de Keur Moussa»

La Grande Mosquée de Paris a souligné que «quelques semaines après l’assassinat d’Aboubakar Cissé dans une mosquée du Gard», une «même haine, aveugle et barbare» a tué Hichem Miraoui. Et de dénoncer les discours de haine en France qui «sévissent en toute impunité» dans certaines sphères médiatiques et politiques, appelant à une «prise de conscience urgente et nationale».

Pour faire contrepoids à ces informations inquiétantes: une anecdote riche en enseignement, qui nous vient du Sénégal, un pays à près de 95% de fidèles musulmans, affiliés dans leur immense majorité au soufisme à travers ses confréries: tidjane, mouride, layenne, sans oublier la Qadiriyya, la plus ancienne, fondée par le mystique soufi Abd al Qadir al-Jilani au XIIe siècle.

Dans l’église du monastère de Keur Moussa (Sénégal), hommage au pape François | © Jacques Berset

Un pays où les chrétiens vivent vraiment en sécurité. Nous avons passé les fêtes de Pâques au monastère bénédictin de Keur Moussa, à une cinquantaine de kilomètres de Dakar. Le lundi matin, un appel d’un ami musulman sur notre téléphone: le pape François est mort! Nous en avertissons immédiatement le Frère Thomas Pikandieu-Gomis, à la sortie de la prière des laudes. Les moines n’étaient pas encore au courant. Ils font alors sonner les cloches et mettent dans l’église une image du pape avec un cierge allumé.

Merci à ce journaliste musulman – un ami du monastère vivant à Dakar – qui cultive son amitié avec les bénédictins de Keur Moussa, qui vivent, eu aussi, en bonne intelligence avec leurs voisins musulmans. A nous aussi de cultiver cette amitié!

Jacques Berset

9 juin 2025

Au cimetière militaire de Thiaroye (Sénégal) | © Jacques Berset
9 juin 2025 | 15:14
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 2  min.
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