Jean-Jacques Friboulet

Corruption en Suisse?

L’abbé Claude Ducarroz a mis l’accent dans sa dernière chronique sur les abus de pouvoir. Je veux compléter ici son propos en présentant quelques clefs sur la question de la corruption et les moyens d’y remédier. C’est un sujet qui m’a beaucoup préoccupé lorsque j’enseignais l’économie du développement à l’Université de Fribourg.

La Suisse se félicite en général de son bon classement en matière de corruption par les organismes internationaux. Elle est classée troisième au niveau mondial par Transparency International, l’ONG qui fait foi en la matière, juste après la Nouvelle-Zélande et le Danemark et au même niveau que la Finlande et la Norvège. Et pourtant, récemment, trois événements sont venus nous alerter sur ce sujet. Deux à Genève donnent lieu à une enquête pénale. Il ne faut donc pas les minimiser. Interrogés au sujet d’avantages mal acquis ou acquis dans l’opacité, les intéressé(e)s ont reconnu des erreurs involontaires ou des erreurs d’appréciation.

Il ne s’agit pas ici de se livrer à une quelconque leçon de morale, mais de mesurer les enjeux personnels et sociaux de pratiques qui relèvent au sens propre de la corruption. Celle-ci est par définition l’abus d’un pouvoir reçu en délégation à des fins privées. Derrière ces pratiques, il y a toujours un avantage personnel reçu pour soi-même ou ses proches.

«L’absence de réglementation et de transparence sont les deux sources principales de corruption»

Comment expliquer que, dans notre pays, on puisse observer de tels comportements? Il y a d’abord l’absence de règlementation ou de normes adéquates. Contrairement aux autres grandes villes de Suisse, la ville de Genève ne soumettait pas les dépenses de ses élus à une règle. Cela n’excuse pas les élus mis en cause, mais celui qui a étudié cette question, sait que la loi protège. Elle protège les citoyens contre les abus mais aussi les élus contre la  tentation de la corruption.

Le second élément frappant, dans le cas qui concerne une élue vaudoise, est l’absence de transparence. Celle-ci a eu recours au financement partiel de ses campagnes par le bénéficiaire d’un forfait fiscal. Il s’agit d’une spécificité suisse. Les personnalités qui financent les campagnes électorales sont assurées de l’anonymat, ce qui jette toujours une suspicion sur leur motivation. Pour remédier à cette suspicion, il faudrait une loi qui instaure davantage de transparence dans le financement des partis, mais les partis bourgeois s’y sont toujours opposés.

«Il y a, derrière la corruption contemporaine, un excès de confiance dans sa propre capacité de contrôle»

L’absence de réglementation et de transparence sont les deux sources principales de corruption et il est vain de se plaindre si l’on ne remédie pas à cette mauvaise gouvernance. Deux éléments sont à noter quant aux effets sociaux de la corruption. Ils justifient que celle-ci soit fermement combattue. La corruption commence toujours chez les élites avant de s’étendre parmi les citoyens. Si les fautes des élus ne sont pas corrigées fermement, le citoyen se dit pourquoi pas moi et il va tenter à son tour de «graisser la patte» de son interlocuteur. L’imitation joue à ce niveau un rôle moteur. Il faut observer également que la corruption se fait toujours au bénéfice de la consommation, d’où son attrait pour le corrompu.

Au-delà d’un excès d’estime de soi-même, qui peut expliquer cette façon d’abuser du pouvoir, il y a, derrière la corruption contemporaine, un excès de confiance dans sa propre capacité de contrôle. On pense toujours mesurer complètement les conséquences de ses actes, alors que dans notre économie mondialisée il est possible d’avoir affaire à des problèmes systémiques, comme la corruption justement, qui, une fois enclenchée, ne peut être contrôlée. Le corrompu est pris dans une spirale dont il ne peut sortir. En la matière, outre les normes et la transparence citées plus haut, il n’existe qu’un seul garde-fou: une éthique du devoir, appelée encore éthique de conviction. Tenté par la corruption, il faut se raccrocher à une vision claire de ses obligations, et ceci devrait être enseigné sur les bancs de toutes les hautes écoles.

Jean-Jacques Friboulet

14 novembre 2018

 

Garder un oeil sur la corruption, même en Suisse | © ott1mo/Flickr/CC BY-SA 2.0
13 novembre 2018 | 17:22
par Jean-Jacques Friboulet
Temps de lecture: env. 3 min.
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