Rédaction

«Défendre les valeurs chrétiennes – quelques questionnements»

Daniel Kosch / Traduction André Kolly

Le christianisme, c’est l’ouverture, l’acceptation de l’autre, non pas le repli sur soi et la défense, affirme Daniel Kosch, secrétaire général de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ). Il répond ainsi à de récents appels de politiciens PDC et UDC à «défendre les valeurs chrétiennes» de la Suisse, notamment face à l’islam. Le commentaire original en allemand est paru le 15 juin sur kath.ch. Traduction André Kolly.

La présence et la visibilité accrues de membres d’autres communautés religieuses que le christianisme fait se multiplier ces derniers temps des appels de politiciens en faveur de la «défense des valeurs chrétiennes» : il s’agit «dans notre pays chrétien» de «se remettre debout» (cf. ” Questions de foi : une égalité de droits pour l’islam», Argauer Zeitung, 13 juin 2016).

Ce type de discours soulève plusieurs questions:  Se défendre signifie qu’on se sent attaqué et menacé. Dès lors se pose la question : qui sont donc les agresseurs qui menacent les valeurs chrétiennes ? S’agit-il principalement des membres d’autres communautés religieuses (en l’occurrence les musulmans), qui menacent les valeurs chrétiennes, la vie chrétienne dans notre pays?Sont-ils responsables du fait que beaucoup de gens – y compris les membres des grandes Eglises – ne savent plus ce que signifie Noël, ne prient plus avant les repas, ou évoquent d’abord les lapins en chocolat lorsqu’ils pensent à Pâques ? Est-ce à cause des autres communautés religieuses que de moins en moins de chrétiens sont capables de dire quelque chose sur «Le Sermon sur la montagne» ou «La parabole du Bon Samaritain»? Ceux qui parlent de valeurs chrétiennes, doivent avoir une idée de ces valeurs qui, pour un chrétien, engagent à se mettre à la suite du Christ Jésus.

Se peut-il qu’y manquent des mots comme amour ou espérance ? L’hospitalité et le dialogue ne sont-elles pas aussi typiquement des valeurs chrétiennes (tout en étant aussi centrales dans les autres religions et dans l’humanisme laïque) ?

Qui prétend défendre les valeurs chrétiennes présuppose que la ‘défense» comme telle est une attitude chrétienne. Peut-on affirmer cela? Ou n’est-ce pas le contraire qui est vrai ? L’Evangile chrétien ne parle-t-il pas plutôt d’ouverture, d’hospitalité, d’acceptation, d’accueil ? Les termes pertinents ne sont-ils pas «non-violence», «réconciliation» et même «amour des ennemis» ?Celui qui parle de la Suisse comme d’un pays chrétien, doit non seulement avoir à cœur de se situer par rapport à la neutralité religieuse de notre Etat et à la liberté religieuse. Il doit aussi prendre en compte le fait que des millions de chrétiens vivent en Suisse.

Se défendre des étrangers peut-il vraiment  être en tête des préoccupations? Ne devrait-il pas être évident qu’il y a des valeurs à protéger, comme la liberté, la fraternité, le souci du bien-être et de l’aide à autrui ? Et parlons-nous de la célébration de l’Incarnation et de la Résurrection ? Et de la louange de Dieu et de la plainte au sujet de la douleur du monde?

Si les «défenseurs» du christianisme entraient dans de telles attitudes et actions, il me serait facile de rejoindre leurs postulats. Mais s’il en était ainsi, ils devraient situer ailleurs ce qu’ils appellent «des attaques et des menaces» à l’encontre du christianisme et de ses valeurs, à savoir dans l’indifférence, l’insensibilité, l’intolérance, l’érection de barrières et de défenses, ou l’éloignement du regard des gens dans le besoin, dans l’affirmation absolue de sa consommation et son bien-être.

Vraisemblablement, notre «défenseur du christianisme» pourra me reprocher d’être un naïf, un brave type, un idéaliste. On ne doit pas minimiser la violence, la religion radicalisée, l’intolérance, la dévaluation sous prétextes religieux des femmes, des homosexuels ou des dissidents. Sur ce point, je suis d’accord avec eux. Jésus lui-même n’a pas seulement proclamé les «béatitudes», mais il a placé de claires limites lorsque la sainteté de Dieu et la coexistence des personnes sont menacées. La Bible elle-même exige des chrétiens qu’ils soient «sobres et vigilants», et ne ferment pas les yeux sur la violence, la haine et l’inhumanité.

La Bible ne situe pas d’abord les racines du mal chez les autres, chez les étrangers, mais dans le propre cœur de chacun : l’inclination à l’appât du gain, le penchant à penser d’abord à soi, la tentation d’accumuler la richesse au lieu de partager le pain quotidien, la tendance à voir la paille dans l’œil de l’autre, et non la poutre qui est dans le sien.

PS: Là où il est question de s’engager – dans les familles, les écoles, les jardins d’enfants, dans les réseaux sociaux et les médias, dans nos discussions politiques, lors des votations, dans nos attitudes de consommation et dans l’économie, sur les stades de foot et dans les fêtes populaires -, je dirais qu’une «défense défensive» c’est trop peu. Je souhaiterais que les chrétiens y soient présents de manière «offensive» et «engagée». Cela rendrait notre pays plus chrétien, mais aussi plus humain, et en même temps l’intolérance religieuse et les préjugés d’où qu’ils viennent se trouveraient moins d’élan.

Daniel Kosch

Daniel Kosch, secrétaire général de la Conférence centrale catholique-romaine de Suisse (RKZ) (photo Raphaël Zbinden)
22 juin 2016 | 09:00
par Rédaction
Temps de lecture : env. 3  min.
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