Nadine Manson

Donner ou pas?

Après presque trente ans, je suis repartie en camp avec des catéchumènes. L’équipe des catéchètes avait concocté un camp axé sur le thème de la pauvreté. C’est pourquoi une figure moins connue que les grands réformateurs a été choisie: celle de Pierre Valdo (1140-1217). Riche marchand de tissu dans la ville de Lyon, sa lecture de la Bible le conduit à se consacrer aux pauvres. Il vend tout et décide de passer sa vie au service des plus démunis.

Ce genre d’abnégation frappe, bien sûr, nos esprits. Cette question traîne de savoir si à sa place nous aurions personnellement pu faire de même. Et les jeunes adolescents ont été marqué voire surpris d’un tel désintéressement. Afin de mettre en pratique et de rendre plus tangible le renoncement opéré par Pierre Valdo, nous sommes partis dans les rues de Lyon rechercher les signes de pauvreté de toutes sortes. Des personnes assises par terre, une affiche décrivant une situation de vie déplorable, des regards implorant l’aumône.

Nos catéchumènes ont repéré dans la frénésie d’un samedi au centre de Lyon les manifestations de la pauvreté. Et tombe une question symptomatique de notre monde et de son désenchantement: «Ce sont de vrais mendiants ou doivent-ils verser l’argent récolté à un souteneur?». Soudainement les regards sont devenus suspicieux. J’imagine que Valdo n’a pas rencontré ce casse-tête de devoir démêler la vraie misère de la misère exploitée.  

Les temps changent, une lapalissade! De quelle manière prêcher la solidarité aujourd’hui? Comment traiter cette défiance qui s’est instaurée dans nos relations humaines? Chaque catéchumène équipé d’une bourse de quelques euros devait choisir quelle personne aider. Leur question pratique du haut de leur treize ans: «On fait comment pour savoir si c’est vrai?». Je propose de discuter avec la personne. Eux me rétorquent: «Mais ils peuvent nous mentir.» Je rétorque tout de go: «A toi de déceler les indices et de te forger ta propre intuition.»

«Les protestants pensent généralement l’engagement diaconal comme une conséquence de la foi»

Notre recherche de la pauvreté s’était en quelques minutes transmuée en une enquête sur la probité des quémandeurs. Donner ou pas? Mais avance d’une petite voix une catéchumène: «Dans la Bible, on dit que donner aux pauvres c’est être proche de Dieu.» S’ensuit une discussion sur les paroles de Jésus: chaque fois que vous l’avez fait à un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait. Valdo, s’interroge notre groupe, pourquoi a-t-il tout donné après avoir lu la Bible. Parce qu’il avait lu la parabole du jeune homme riche? Parce qu’il voulait être sauvé? Il voulait aller au paradis?

La théologienne Isabelle Grellier souligne que cette question pourrait paraître quelque peu iconoclaste en protestantisme. En effet, précise-t-elle, contrairement à la pensée du Moyen Âge qui faisait de l’exercice de la charité un moyen de salut, les protestants pensent généralement l’engagement diaconal comme une conséquence de la foi, comme une expression de la reconnaissance de la personne croyante envers Dieu. De Valdo à 2022, le saut devient instructif. Valdo précurseur d’une autre économie, d’une autre relation à Dieu, a renoncé à tous ses biens pour faire l’aumône aux plus pauvres.

Non pas pour sauver son âme de quelques années de purgatoire, il ne croyait pas en ce dernier. Mais parce qu’à ses yeux, la richesse de l’Eglise est une anomalie. Alors on donne ou pas? On a donné après être entrés en véritable dialogue avec les personnes mendiantes. Des vies endommagées par la violence; des vies détériorées par des séparations et des deuils; des vies dégradées par la malchance. Donner ou pas? Oui, si cela fait du bien, alors on ne se trompe pas.

Nadine Manson

9 novembre 2022

Quel sens de la charité dans notre monde actuel? | © Marino Velarde/wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0
9 novembre 2022 | 07:06
par Nadine Manson
Temps de lecture : env. 3  min.
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