Thierry Collaud

Douleur et douceur, les deux mémoires de l’Eglise

Le scandale des abus de toute sorte dans l’Église ne peut plus être ignoré. Régulièrement, comme des rappels vaccinaux, des rapports ou des témoignages viennent nous redire ce que pourtant nous savions déjà, comme pour réactiver notre honte.

Mais là un danger nous guette, celui de nous enfermer dans la mémoire douloureuse. On reste centré sur la blessure avec une indignation qui enfle et qui devient colère. Or celle-ci, quand elle s’auto-entretient, pousse malheureusement plus à la destruction et au rejet qu’à la reconstruction et à la réconciliation. Il faut faire mémoire, mais en respectant un nécessaire double mouvement.

D’une part, il faut impérativement faire mémoire de la douleur. Il nous incombe de creuser avec obstination la mémoire de l’Église, de mettre au jour et d’être à l’écoute des souffrances que trop longtemps on a niées ou tenues cachées. Ce travail nous pousse à regarder lucidement les plaies du corps du Christ qui laissent des traces de sang sur sa tunique. Mémoire de la passion qui nous ouvre les yeux sur les structures de péché que nous avons laissé se développer dans l’Église. Mais si nous en restons là, le désespoir et le découragement ne sont pas loin.

«Il faut faire anamnèse, se raconter les moments où ça a vibré, où nous avons senti l’Église»

Or la mémoire ne sera complète que si elle est aussi la mémoire de la résurrection du Christ qui ne cesse de se réactualiser dans le corps ecclésial depuis le matin de Pâque. Si chercher sans se lasser dans la mémoire de l’Église les taches de sang sur la tunique est fondamental, il faut aussi, tout aussi patiemment, rechercher les expériences de résurrection telles que les ont vécues les disciples, le blessé au bord du chemin quand s’approche le Samaritain, les pauvres et les lépreux embrassés par François d’Assise, les moines de Tibhirine et leurs voisins musulmans et des milliers d’autres anonymes qui sont l’Église-Corps.

Il faut faire anamnèse, se raconter les moments où ça a vibré, où nous avons senti l’Église, senti la fraternité, senti la résonance du Corps, senti la présence du Seigneur et d’où nous sommes repartis tout joyeux, le cœur brûlant.

«›Faire synode’ c’est marcher ensemble en s’efforçant de susciter la parole au centre et dans tous les recoins de l’espace communautaire»

C’est en allant chercher ces deux mémoires, qui nous font éviter à la fois le défaitisme et l’angélisme, qu’il nous est maintenant demandé de «faire synode» et d’avancer vers l’espérance du Royaume. Il ne s’agit pas d’inventer une nouvelle manière de faire Église, mais de redécouvrir, d’amplifier et de réaffirmer ce qu’elle a toujours été, peut-être de manière voilée et trop peu visible, un lieu où circule la parole, parole reçue et parole redonnée constamment. Aller chercher la douleur des compromissions, des transgressions, des crimes commis, mais surtout, pour les contredire, aller chercher la douceur de le grâce reçue, du souffle vivifiant de l’Esprit, aller chercher des chemins de résurrection, des lieux pour rêver dans une Église qui doit se faire poète pour dire l’infini de Dieu.

«Faire synode» c’est marcher ensemble en s’efforçant de susciter la parole au centre et dans tous les recoins de l’espace communautaire pour entendre la mémoire combinée de la passion et de la résurrection du Corps du Christ. Voir les plaies mises au jour, mais savoir qu’il y a eu et qu’il y aura encore en nous et entre nous des dynamiques de guérison. Voir aussi les aspérités et les structures qui déchirent, qui blessent et qui tuent et s’efforcer de les corriger. Non pas démolir l’Église comme certains le proposent ou le craignent, mais patiemment l’aimer, la repenser, la remodeler, la reconfigurer pour qu’elle soit un espace pour la douceur et non pour la douleur.

Thierry Collaud

1er novembre 2021

Ne pas désespérer dans l'Eglise | © Pierre Pistoletti
1 novembre 2021 | 07:37
par Thierry Collaud
Temps de lecture: env. 3 min.
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